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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, THEORIE DE LA RELIGION

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gianisme les poussait à des outrances : volonté asservie au mal, intelligence captive de l’erreur, le premier terme appelait symétriquement le second. Kant s’en souviendra lorsque, « pour faire place à la foi », il s’imaginera devoir « écarter la connaissance ». L’antagonisme des deux notions était traditionnel chez les luthériens.

Wolf, travaillant dans la ligne de Leibniz, distinguait deux parts dans la connaissance des choses divines ; la part naturelle, découverte et vérifiée par la pure raison ; la part surnaturelle, notifiée par révélation céleste. Piétistes et protestants orthodoxes l’avaient vivement attaqué ; les premiers parce qu’il limitait le champ de la grâce en permettant à la pure raison de connaître Dieu ; les seconds parce qu’il ouvrait les voies à l’athéisme en émancipant la raison, toujours destructive d’elle-même dès qu’elle n’est pas « captivée » par la Parole de Dieu. Cf. Joach. Lange, Causa Dei et religionis naturalis adversus atheismum, 1723 ; Joh. Franz Buddeus, Bedenken ilber Wolf’s Philosophie, 1724 ; Vollstândige Sammlung aller Schriften in der W’olj-Lange’schen Streitigkeit, 1737. Cette distinction entre connaissance naturelle et connaissance surnaturelle, admise et éprouvée depuis longtemps chez les théologiens catholiques, devait amener la mort de la théologie protestante. Wolf notait déjà quod qui naturalistes vocantur ita sludeant theologiæ naturali ut revelatam prorsus contemnant aut saltem insuper habeant. Theolog. naturalis methodo scienlifica pertractata, Pars prior, prolegom., § 19. En elïet, privé de toute autorité doctrinale capable d’interpréter la révélation, le^protestantisme bornait la théologie surnaturelle à la seule Écriture. Theologia enim revelata nititur hoc principio ; quicquid Scriptura sacra de Deo affirmât, illud ipsi convenit… quamobrem ibidem sufficit ostendere quod talia atlribula tnli Mi, quod Deum vocat, tribuit Scriptura sacra. Id., ibid., § 9. L’appoint fourni par cette théologie révélée à la théologie naturelle était fort mince. Wolf ne parvient pas lui-même à découvrir une seule thèse un peu ferme dans la théologie révélée. La doctrine de la Trinité par exemple avec les trois personnes distinctes, ou la procession ab utroque, ne jaillissait pas « évidemment » du texte même de la Bible. Tout ce qui était clair, complet, systématique et solide en théologie relevait ainsi de la théologie naturelle, c’est-à-dire de la philosophie solo naturæ lumine. Ibid., § 1. Le reste apparaissait d’autant moins valable qu’à ce moment même la critique biblique, appliquant la philologie à l’interprétation du texte, ruinait l’idée majestueuse que le protestantisme s’était faite de la divinité de la Bible. Cf. J. S. Semler, 1 1791 ;.1. D. Michælis, t 1791 ; J. A. Ernesti, t 1781.

De plus, une fois la théologie naturelle constituée indépendamment de toute révélation, le christianisme se vidait de son contenu doctrinal. Les dogmes que le protestantisme du xvie siècle découvrait dans l’Écriture et dont l’ensemble formait « la vérité chrétienne », ces dogmes étaient en partie confisqués par les philosophes qui en faisaient des thèses rationnelles, et en partie contestés par les critiques, qui ne les retrouvaient plus dans l’Ecriture. Aussi, pendant tout le cours du xvrae siècle, nous voyons les défenseurs du christianisme protestant abandonner lentement le terrain dogmatique et livrer bataille au nom de la morale chrétienne. Jésus n’est plus que le pédagogue du genre humain. Ses disciples, ce ne sont pas ceux qui répètent ce qu’il a dit, mais qui vivent comme il a vécu. Le christianisme n’est qu’un ensemble de pré ceptes moraux. Voir Bartels, Veber den Werthund die Wirknngen der Sittenlehre Jesu, 17X8, contre le pamphlet violent de.lac. Mauvillon, Dus cinzig wahre System der christlichen Religion, 1787.

Le piétisme, d’autre part, avec son dédain pour les théories intellectuelles et son goût d’expérience mystique, avait malgré lui contribué à déprécier la valeur doctrinale de la religion chrétienne. C’est dans ce milieu que Kant allait lancer sa Religion innerhalbder Grenzen der blossen Vernunft.

Là comme ailleurs, son procédé consistait à ignorer presque totalement ses devanciers. Borowski — un de ses admirateurs pourtant, et un de ses disciples — nous révèle que jamais il n’avait abordé le terrain de la littérature théologique et qu’il se désintéressait totalement de l’exégèse et de la dogmatique. Op. cit., p. 252. Il ne connaissait presque rien des travaux de Semler, de Teller ou d’Ernesti. Il ignorait même l’existence de J. F. Jérusalem, dont les Betrachtungen ùber die Religion étaient pourtant très répandues. Il avouait que depuis les années 1742-1743 (il avait alors 18-19 ans), il n’avait plus rien lu sur cette matière : il ne connaissait que les volumes de J. F. Stapfer († 1775), Grundlegung zur wahren Religion et il gardait encore quelque souvenir des « entretiens dogmatiques », c’est-à-dire des exhortations pieuses du Dr Schultz, le directeur du Collegium Fridericianum. Là se bornait toute sa documentation théologique.

Quand on lit la Religion innerhalb der Grenzen der blossen Vernunft, on ne peut se défendre d’une impression assez singulière. Il semble que l’auteur se soit évertué à revêtir ses théorèmes purement philosophiques d’un vocabulaire religieux. Le placage biblique est très visible sur le fond rationaliste et simplement moral. Or cette impression qu’on éprouve dès la première lecture de l’ouvrage, trouve une justification parfaite dans un détail anecdotique, garanti formellement par Borowski.

Pendant qu’il rédigeait son manuscrit, Kant s’était procuré une Grundlegung der christlichen Lehre, c’est-à-dire un de ces petits catéchismes populaires, comme il en existait encore des centaines en pays protestant. C’était un catéchisme publié en 1732 ou 1733. Il le lut fort attentivement et s’en servit pour habiller de termes chrétiens un ouvrage foncièrement étranger, dans toute son inspiration, à la religion et à la personne de Jésus-Christ. Borowski, op. cit., p. 253.

Il n’est donc pas nécessaire de chercher très loin les sources littéraires de la philosophie religieuse de Kant. Sa connaissance du christianisme n’avait jamais dépassé le niveau d’une science de collégien, et quand il écrivit la Religion innerhalb etc., il avait quitté le collège depuis cinquante-trois ans.

La préparation philosophique.

1. Critique de la raison pure.

Quelle que soit la manière dont Kant ait abouti au criticisme, et sans discuter le rôle que Leibniz ou David Hume ont joué dans cette évolution, nous nous bornons à exposer les conclusions de la philosophie kantienne, telles que Kant les formule lui-même dans deux lettres très importantes, à Moïse Mendelssohn, C, t. ix, p. 232 ; B., t. x, p. 344 et à Jean Schultz, C, t. ix, p. 369 ; B.. t. x, p. 551. Ces conclusions tiennent tout entières en cinq propositions.

a) Les jugements, dont l’ensemble forme la connaissance humaine, se divisent en deux classes entièrement distinctes : analytiques et synthétiques. Les jugements analytiques sont des jugements de stricte identité : le prédicat n’exprimant rien de plus et rien de moins que le concept même du sujet. Ces jugements sont « réciproques » ; on peut les retourner, comme on peut toujours intervertir les termes d’une identité. Ils ne développent pas les connaissances ; ils n’indiquent pas un progrès du savoir. Quand ils sont faux, ils sont nécessairement contradictoires. Il suffit donc pour les « justifier » (Kant, employant le langage des juristes, dit i. pour les déduire » ) de les confronter avec le principe de contradiction.

Les jugements synthétiques sont tout différents, Chez