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    1. KANT ET KANTISME##


KANT ET KANTISME, THÉORIE DE LA RELIGION

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par « une nouvelle espèce d’électricité », l’épidémie qui sévissait parmi les chats de Copenhague, ou l’aspect « savonneux » des nuages, ou ses propres maux de tête, YYasianski, op. cit., p. 314, ses amis le considéraient déjà comme atteint de « radotage » et s’abstenaient de le contredire.

Kant n’aimait pas la musique, qu’il trouvait « une folie », parce qu’elle l’empêchait de parler ; il ne montra jamais aucune sympathie pour l’art ; les orateurs l’impatientaient. L’histoire n’avait pour lui aucun intérêt et il ne la considérait pas comme une science. N’ayant jamais voyagé, il ne connaissait le monde que par les livres. On peut, sans injustice, considérer que son optique générale était bien défectueuse. Même parmi les doctrinaires de l’Aufklûrung, on trouve des esprits infiniment plus ouverts.


II. Théorie de la religion.

Remarques préliminaires.

1. Kant ignorait profondément la théologie catholique. Dans sa bibliothèque — assez restreinte d’ailleurs, cf. Bonnvski, op. cit., p. 231, et de composition bizarre — ne figurait aucun des grands traités de dogmatique, anciens ou récents. Il n’avait fort probablement jamais ouvert la Somme de saint Thomas ; il ne fait aucune allusion à aucun des docteurs catholiques. Leibniz avait lu et étudié Suarez ; on ne trouve chez Kant nulle trace d’un travail analogue. Aussi, chaque fois qu’il touche à un point de la doctrine catholique, son ignorance éclate. Jamais il n’a pris la peine de vérifier. Sur la théorie de l’opus operatum, ou la fides imperata, sur la définition du probabilisme, la grâce, l’organisation de l’Église romaine, les pouvoirs du pape et le rôle des fidèles, comme sur le péché originel, il a des méprises totales, et d’ailleurs parfaitement sereines. Inutile de dire que les saints Pères sont pour lui aussi inexistants que les seolastiques. Si quelqu’un s’avisait aujourd’hui de juger le kantisme en appliquant la méthode que Kant emploie pour juger le christianisme, il n’est pas douteux que ce travail ne serait pris au sérieux par personne. Kant ignore non seulement toute la tradition catholique mais — le mot n’est pas trop fort — toute l’histoire de la pensée humaine, Kuno Fischer (après Hamann, Rink, Nicolaï et d’autres) admet lui-même que cette ignorance chez Kant a été complète. Il ajoute qu’elle lui a été avantageuse et a sauvegardé l’originalité de son esprit. Cf. Stûckenberg, p. 127. Nous nous bornons ici à la constater. Aristote et Platon ne sont pour Kant que deux schèmes. Il ne les connaît qu’à travers son petit manuel scolaire, et il voit dans Aristote la méthode d’induction et dans Platon l’intuition a priori. Il n’avait pas même étudié Spinoza. Cf. Stûckenberg, ibid., p. 127, déclaration de Hamann. De son disciple Fichte, il n’avait lait que lire superficiellement quelques pages. C, t. x, p. 81 ; A., t. xi, p. 284.

Il n’a donc connu le christianisme que sous la forme piétiste enseignée par ses maîtres du Fridericianum. Nous le verrons plus en détail au paragraphe suivant.

2. Quand on parle du système de Kant, il est bon de préciser que ce système n’a jamais existé d’une manière définitive ; qu’il est demeuré à l’état de projet et que, de l’aveu même de Kant, les trois critiques n’en étaient que la préparation. Il avait démoli, déblayé ; il voulait ensuite construire « la partie dogmatique ae son œuvre ». Il assurait même que celle-là surtout l’intéressait. C, t. ix, p. 333 ; A., t. x, p. 494. Malheureusement il se heurta à l’impossibilité complète de rien organiser de définitif sur les bases qu’il avait préparées. Quand il mourut, sa philosophie constructive, était représentée par une liasse de manuscrits tellement informes que, jusqu’à l’heure présente, personne n’a osé les publier. Cet Opus posthumum, Kant en parlait à ses amis comme d’un travail « presque achevé » et auquel manquaient seulement les derniers détails de mise au point. Par tout ce que nous connaissons de l’Opus posthumum, nous pouvons juger combien cette appréciation de son travail par Kant était erronée. Sur les points les plus essentiels, il n’arrive pas à s’exprimer clairement. La définition même de la « philosophie transcendentale » — notion aussi importante dans le kantisme que celle de « forme » chez Aristote — est reprise et remaniée plusieurs centaines de fois. Kant ne parvient pas davantage à déterminer l’objet de la philosophie. Aussi ses partisans ont-ils déclaré que l’Opus posthumum n’est qu’un brouillon sénile et que le système tient tout entier dans les trois critiques, ou même dans les deux premières. Il est cependant incontestable que ce point de vue n’est pas celui de Kant, et que jusqu’à sa mort celui-ci travailla, sans y réussir, à construire sa philosophie. De cet effort est née la Rechtslchre (cf. supra) : la Tugendlehre (id.), l’Anthropologie in pragmatischer Hinsicht (id.) et aussi la théorie constructive de la religion, die Religion innerhalb der Grenzen der blossen Vernunft. Avec VOpus posthumum, c’est tout ce qui nous reste de la philosophie positive de Kant. Nous avons déjà vu ce que représente la liasse informe de l’Opus posthumum. L’Anthropologie (1798) est tout aussi sénile. C’est une suite de réflexions, parfois ingénieuses, souvent banales ou saugrenues, sur les sujets les plus ordinaires : les avantages du tabac à priser, C, t. viii, p. 45 ; A., t. vii, p. 160 ; R., t. vt16, p. 53 ; la manière de présider une table, et la définition du parfait bien-être (un bon repas en bonne compagnie : eine gule Mahlzcit in guter Gesellschajt, C, t. viii, p. 169 ; A., t. vii, p. 277 ; R., t. vu b, p. 204), les grimaces et les perruques, C, t. viii, p. 190-193 ; A., t. vii, p. 297-301 ; R., t. vu b, p. 228-231 ; la facullas divinatrix et la facultas signatrix, C, t. viii, p. 75 et 78 ; A., t. vii, p. 187 et 191 ; R., t. vu &, p.93 et 99. Aucune discussion un peu serrée, aucun aperçu original, des lieux communs et des platitudes, avec toutes les naïvetés du xviiie siècle. Qu’il suffise de signaler la description des peuples de l’Europe. C, t. viii, p. 204 sq. ; A., t. viii, p. 311 ; R., t. vu b, p. 247. La Tugendlehre et la Rechtslehre n’ont rien d’original et ne se distinguent guère du verbalisme wollffien Seule la Religion innerhalb der Grenzen der blossen Vernunft se présente comme une œuvre systématique. On ne peut, à son sujet, parler de sénilité. Kant était encore en possession de tous ses moyens quand il la composa. Il nous déclare formellement qu’il y expose son système religieux.

Le milieu doctrinal. —

Il faut se garder de considérer la tentative de Kant comme l’effort d’un génie isolé. Pendant toute la seconde moitié du xviiie siècle, l’atmosphère intellectuelle de l’Allemagne est restée saturée de critique religieuse. Dès 1719, Wolf (voir ce mot) avait publié ses Vernùnftige Gedanken von Golt, der Well und der menschlichen Secte (Halle), et Bern. Bilfinger avait suivi la même direction dans sa Dilucidatio philosophica de Deo, anima humana, mundo et generalibus rerum afjectionibus (1725). Il s’agissait d’introduire la philosophie dans la spéculation religieuse. Cette tentative, qui nous paraît aujourd’hui assez innocente, marquait, en fait, une réaction profonde contre la dogmatique protestante des débuts, et un retour à la scolastique. La Réforme avait honni « la raison et la philosophie » au nom d’un paulinisme mal compris et par une conséquence naturelle de la doctrine luthérienne ou calviniste de la « perversion totale » de l’homme par le péché. Seuls Mélanchthon et Théodore de Bèze avaient mitigé quelque peu ces anathèmes, et il est remarquable que précisément l’un et l’autre penchaient pour la scolastique et ne dédaignaient pas Aristote. Dans l’ensemble, les réformés, loin d’émanciper la raison, l’opposaient à la foi et la décrivaient comme infirme et trompe ise. L’antipéla-