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KANT L’HOMME

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"Notre très haute Personne, depuis quelque temps déjà, a remarqué avec grand déplaisir comment vous abusez de votre philosophie pour travestir et pour déprécier un bon nombre de doctrines capitales et fondamentales de la Sainte Écriture et de la religion chrétienne. Vous l’avez fait notamment dans votre livre : La religion dans les limites de la simple raison, et aussi dans d’autres ouvrages moins considérables. De vous nous avions attendu mieux, et vous devez voir vous-même que par votre conduite vous avez manqué d’une façon impardonnable à votre devoir de maître de la jeunesse, et péché — les connaissant fort bien — contre nos désirs de père de notre peuple. Nous attendons de vous, dans le plus bref délai, une justification très consciencieuse et nous comptons bien que pour éviter notre très haut déplaisir vous ne vous rendrez plus coupable désormais de rien de pareil, mais que vous consacrerez — comme c’est votre devoir — votre influence et votre talent à réaliser de plus en plus nos intentions de père de notre peuple. Si vous ne le faites pas, votre insubordination prolongée entraînera infailliblement pour vous des mesures désagréables.

Ce n’était pas la mise à pied, mais la menace n’en demeurait pas moins très claire. Kant répyndit. Des kantiens aussi fervent qu’Emile Arnoldt, Beitràge zu dem Material (1er Geschichte von K<int’s Leben und Schri/tstellertatigkeit, 1898, p. 101, IV Beitrag, ont jugé que sa réponse avait manqué de fierté. Il est même permis de dire que, matériellement parlant, elle manquait de sincérité, malgré la protestation solennelle qui la termine. Kant commence par déclarer que son livre sur la religion n’était pas destiné au public, mais seulement aux étudiants des Facultés. Pour le public, c’est un « livre inintelligible et scellé », C, t. vii, p. 318 ; A., t. vii, p. 8 ; R., t. x, p. 251, affirmation qui contredit nettement la préface même de l’ouvrage (2° édition). « Pour comprendre l’essentiel de ce livre, on n’a besoin que de la morale commune, sans devoir recourir à la Critique de la raison pratique, et encore moins à celle de la raison pure. » Il ajoute que son ouvrage est au moins aussi intelligible que les catéchismes populaires, leicht versiândlich. C, t. vi, p. 152 ; A., t. vi, p. Il ; R., t. x, p. 15. Kant va plus loin. 11 affirme au roi que, dans son livre sur la religion, il a rendu le plus grand service et donné les plus grands éloges au christianisme, à la Bible et à la foi (Glaubenslehre). Jouant sur le mot I.andesreligion qu’il entend au sens de « religion pour le peuple », il répète que les enseignements bibliques sont parfaitement conformes à ce qu’on est en droit d’attendre d’eux et doivent servir de véhicule aux croyances de la foule. L’équivoque est visible pour tous ceux qui ont étudié la Religion innerhalb der Grenzen der blossen Vernunft.

Après cette justification, Kant promet obéissance. « Pour prévenir fût-ce la moindre suspicion, je juge que le plus sûr est de déclarer, comme sujet très fidèle de iwtre Majesté, et de la façon la plus solennelle que désormais, dans mes leçons ou dans mes écrits, je m’abstiendrai totalement de tout expose public concernant la religion, que ce soit la religion naturelle ou la religion révélée. fin 1798, Kant déclara que les mots en italique avaient été choisis par lui à dessein pour restreindre sa promesse à la durée du règne de Frédéric-Guillaume II. l.à encore l’équivoque est voulue et on est un peu embarrassé pour justifier cette suMilii é de casuisle chez le théoricien rigide de l’impératif catégorique. Cf. lïorowski, op. cit., p. 221.

Kant avait alors soixante-dix ans. Fiente, objet d’une remontrance analogue, avait aussitôt demis Slonné, mais Fichte était jeune. Kant, qui avait sinise un instant à descendre de sa chaire, préféra céder et se soumit, comme il dit, in tiejster Dévotion, au pouvoir civil. C, t. vi p. 320 ; A., t. vii, p. 10 ; R., t. x, p. 257 ; cf. lettres à Biester et à Campe, C, t. x, p. 250 et 240 ; A., t. xi, p. 51(j et 501. Cette soumission, qui n’excita aucun enthousiasme, - lui valut de vivre en paix jusqu’en 1797. Le 10 novembre de cette année, Frédéric-Guillaume II mourait. Son successeur Frédéric-Guillaume III inaugura aussitôt une politique religieuse beaucoup plus libérale. "Wôllncr fut renvoyé et les édits de censure considérablement mitigés. Kant en profita pour publier son ouvrage sur le Conflit des Facultés (1798).

3° Mœurs, caractère, tendances d’esprit. — La vie de Kant nous est connue dans le menu détail. Des biographes de valeur diverse, Denina, Borowski, Jachmann, Vasianski, ont réuni sur son compte tout un trésor d’anecdotes vécues. Kant a lui-même revu et approuvé une de ces biographies, celle de Borowski. Nous ne nous occupons ici que des indications pouvant éclairer la vie religieuse du philosophe.

Les mœurs de Kant, sans être austères, étaient fort correctes. Borowski nous assure que personne n’eut jamais à lui reprocher un seul écart de conduite. Op. cit., p. 270. Célibataire, il n’avait cependant aucune objection de principe contre la vie conjugale, et même, par deux fois, il lut sur le point de se marier. Borowski, op. cit., p. 235.

La régularité de ses habitudes était proverbiale. Avec l’âge, elle dégénéra en manie. L’heure de son coucher (10 heures), celle de son lever (5 heures), ses promenades, ses repas, son travail, tout, jusqu’à son unique pipe matinale et sa tasse de thé, tout était prévu et ordonné d’avance. Il se demande dans son Anthropologie, C, t. viii, p. 115 ; A., t. vii, p. 2Î6 ; R., t. xub. ]>. 138, si ce ne sont pas « les têtes mécaniques », plutôt que les génies novateurs, qui contribuent le plus au progrès des arts et des sciences. « Elles ne produisent rien d’étonnant, mais elles ne causent aucun désordre. »

Il n’aimait pas les contestations et. souffrait très difficilement qu’on parût en savoir plus long que lui, même sur des sujets fort éloignés de la philosophie. Son goût pour l’a priori l’exposait cependant à des mésaventures. Il avait affirmé que Bonaparte, en 1798, irait en Portugal et non en F.gypte, et il refusa de se dédire même après que les dépêches officielles eurent annoncé le débarquement. Stûckenberg, p. 140. Un de ses grands admirateurs, le comte Purgstall, de Vienne, qui avait fait le t pèlerinage » de Kœnigsberg, nous le décrit « perdant patience dès que quelqu’un lait mine de connaître mieux que lui ce dont on parle ; monopolisant la conversation, déclarant qu’il n’ignore rien des autres pays de la terre et « un exemple — continue Purgstall — il prétendit savoir mieux que moi quelles espèces de volailles nous avions en Autriche, quel était l’esprit du pays, le degré de culture de nos prêtres catholiques, etc. Sur toutes ces questions, il m’a contredit. » Jbid., p. 141.

Quand il avait imaginé une théorie, personne ne pouvait plus l’en faire démordre. Il ne voulait pas qu’on ouvrît la fenêtre, ni même qu’on poussât les contrevents de sa chambre a coucher, parce qu’il avait établi on ne sait quelle relation fantaisiste entre la lumière du soleil et les punaises dont son matelas était rempli. VVasianski, op. cit., p. 303-305. Il expliquait que la vaccination ne pouvait produire aucun bon effet et devait infailliblement « bestlallser » l’homme. Ibid., p. 310. Ses théories sur l’odeur des nègres, qui provient « du sang déphlogistise par la peau », ou sur la couleur des Peaux-Rouges, causée par » le voisinage des mers glacées », C, t. IV, p. 237 ; A., t. viii, p. 103 ; R., t. vi. p. 350, n’ont pas l’excuse do la faiblesse sénilo. En revanche, lorsqu’il expliquait