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KANT, L’HOMME

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mise en tête de cet ouvrage eaité par l’Académie de Prusse. A., t. v, p. 515. — 1790. Ueber Schwûrmerei und die Miltel dagegen. (Sur le fanatisme et ses remèdes. ) — 1791. Ueber das Misslingen aller philosophischen Versuche in der Theodicee. (Sur l’échec de toutes les tentatives philosophiques en théodicée.) Kant emploie ici le mot théodicée au sens étroit ; nous dirions aujourd’hui non pas théodicée mais « problème du mal ». — 1792. Vom radikalen Bôsen. (Du mal radical.) Repris comme premier chapitre dans — 1793. Die Religion innerhalb der Grenzen der blossen Vernunjt. (La religion dans les limites de la simple raison.) — 1794. Das Ende aller Dinge. (La fin du monde.) — 1797. Metaphysische Anfangsgrûnde der Rechtslehre. (Premiers principes métaphysiques du droit.) — 1797. Metaphysische Anfangsgrûnde der Tugendlehre. (Premiers principes métaphysiques de la doctrine de la vertu.) — 1798. Der Streit der Fakultàten. (Le conflit des Facultés.) Il s’agit non des facultés humaines, mais des Facultés universitaires (Philosophie et Théologie ) et du droit qui leur revient de concéder ou de refuser V Imprimatur. — 1798. Anthropologie in pragmatischer Hinsicht. (Anthropologie, d’un point de vue pragmatique.) — Après la mort de Kant, on trouva dans ses papiers une grosse liasse, connue sous le nom à’Opus posthumum, et dont nous dirons un mot au paragraphe suivant.

2. Les démélés avec le gouvernement prussien se produisirent pendant la période de réaction religieuse qui va de 1788 à 1798 (10 nov. 1797, mort de Frédéric Guillaume II), mais les origines du conflit sont plus anciennes. Dès 1783, Kant s’inquiète du « fanatisme » qui menace la « liberté de penser », et il regarde avec angoisse du côté du gouvernement berlinois. Il s’imagine que les jésuites ont organisé contre lui et contre tous les « partisans des lumières » une vaste conspiration et il demande à Plessing de lui fournir des renseignements. Plessing répond le 15 mars 1784 dans un style d’apocalypse. Le document mérite d’être cité en partie. On y verra, plus aisément peut-être que dans la Critique, quel était l’horizon intellectuel de Kant. « Tous les honnêtes gens, tous les amis de l’humanité, sont dans le tremblement… Ce sont surtout les jésuites, ennemis de la raison et du bonheur des hommes, qui poursuivent leur œuvre sous tous les déguisements possibles et avec n’importe quels alliés. Cet ordre est plus puissant que jamais. (Il avait été supprimé depuis 1773 par le pape Clément XIV.) Il travaille partout chez les francs-maçons, chez les catholiques et les protestants. On assure qu’un certain roi protestant est lui-même un jésuite caché. Ces esprits infernaux ont empoisonné les cœurs des princes et des souverains ; le semblant de tolérance qu’on voit chez les catholiques (allusion au gouvernement « éclairé » de Joseph II en Autriche) est leur ouvrage. Ils essaient par ce moyen de gagner les protestants au catholicisme… Dans toutes les sociétés protestantes fondées pour combattre Y Aujklàrung se trouvent cachés des jésuites ; ils veulent étouffer jusqu’au. germe même de la raison et semer partout la graine de la bêtise… Le catholicisme et le jésuitisme étendent leur bras jusque sur l’Angleterre, le Danemark et la Suède. L’Angleterre est à la veille de périr… » En terminant, Plessing suppliait Kant de prendre la plume pour défendre la « cause de la raison et de l’humanité », contre les loges des francs-maçons et les jésuites. A., t. x, p. 371-373, cette lettre n’est pas reproduite dans l’édition Cassirer.

Frédéric-Guillaume II nomma, en juillet 1788, le théologien Joh. Christophe’Wôllner, ministre de la Justice et chef du département du Culte. Quelques jours plus tard, celui-ci lançait son édit de religion contre les prédicateurs et les professeurs qui, « sous prétexte à’Aujklàrung, sapent les fondements de la foi et l’autorité de la Sainte Écriture. » « Le gouvernement prussien, tolérant par tradition, n’interdit à personne de penser comme bon lui semble, mais il ne peut pas permettre que l’on propage des opinions contraires à la foi. » Cette mercuriale ne devait pas rester purement théorique. En décembre 1788, on renforçait la censure ; en 1790, on établissait une sorte d’inquisition officielle à tous les examens des Facultés de théologie : en 1791, on instituait des commissions spéciales chargées elles-mêmes d’interroger les candidats… La suspicion s’attachait à tous les partisans des idées de l’Aujklàrung.

Kant était averti de tout ce qui se passait à Berlin et à Potsdam par un ami, son ancien élève, Kiesewetter. Celui-ci enseignait la Philosophie critique aux dames de la cour, qui se passionnaient, paraît-il, pour les jugements synthétiques a priori. C, t. x, p. 23 ; A., t. xi, p. 156. Désireux de ne pas attirer la foudre sur ses leçons, Kiesewetter s’efforçait de montrer qu’entre la Raison pratique de Kant et la doctrine morale du christianisme, l’accord était complet.

Toutefois la présence de cet allié dans les cercles de la cour de Prusse n’empêcha pas Kant d’être atteint par les soupçons et les censures de Wôllner. Le roi Frédéric-Guillaume II, sans abandonner ses maîtresses, était en proie à des crises de sentimentalité religieuse fort suspectes. Il croyait avoir eu des apparitions du Christ et pendant des heures entières il sanglotait tout seul, assis sur des coussins. C, t. x, p. 78 : A., t. xi, p. 265. Une des maîtresses du roi poussait au fanatisme pieux. Il était question d’imposer au peuple l’assistance aux offices et la participation à la cène. Wôllner exploita ces dispositions pour renforcer partout les surveillances. L’heure était favorable. Les excès de la Révolution française semaient l’épouvante à l’étranger (1792-1797) et tous les « libres penseurs » — Kant le premier — avaient chaudement approuvé les principes de 1789. On accusait V Aujklàrung en général de préparer pour les pays allemands des catastrophes politiques.

En 1792, Kant voulut présenter au public un exposé complet de son système religieux. Il comptait faire paraître quatre études dans le Berliner Monatschrift, et les réunir ensuite en volume. La censure était rigoureuse. Cependant le premier article sur « le mal radical reçut l’imprimatur de Hillmer et put paraître. Le second fut arrêté par le censeur O. Hermès. Kant alors recourut à une manœuvre. Au lieu de s’adresser à Berlin, il se tourna vers l’université de Kœnisberg, dont il était sûr. Il soumit les trois articles non encore parus, à la Faculté de théologie et lui demanda une déclaration de compétence au sujet de la censure. La Faculté répondit qu’elle était incompétente, le sujet traité relevant de la philosophie. C’était ce que Kant souhaitait. Délivré des Biblische Theologen, il présenta son ouvrage à ses collègues de la Faculté de philosophie d’Iéna, qui, sans hésitation, accordèrent la licence d’impression. A Pâques de 1793, les libraires de la foire de Leipzig vendirent donc la Religion innerhalb der Grenzen der blossen Vernunjt, et, en 1794, Kant en publia une nouvelle édition, sans que Wôllner intervînt.

La manœuvre avait réussi, mais les soupçons et la mauvaise humeur des adversaires de Kant s’en étaient accrus. En mars 1794, le roi de Prusse écrivait à Wôllner qu’il fallait « en finir avec les ouvrages nuisibles de Kant ». L’attention se concentrait sur Kœnigsberg. On affirmait que Kant allait être sommé de se rétracter ou de se démettre. Le 12 octobre, il recevait une ordonnance royale, datée du 1 er. Plus tard, après la mort du roi, en 1798, il en publia le texte intégral. En voici la traduction :