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KANT, L’HOMME

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(Jachmann dit sir, mais il se trompe sûrement, cf., I. Kant geschildert in Brie/en en einen Freund, par R. B. Jachmann, édit. Hoffmann, p. 6 ; K. Vorlânder. I. Kant’s Leben, p. 2, 3). Emmanuel était le quatrième (deux des aînés moururent en bas âge). De plus Emmanuel n’avait pas treize ans lorsqu’il perdit sa mère, et, ù cette date, depuis cinq ans déjà il fréquentait les cours du Collegium Fridericianum, sous la direction du Dr F. A. Schultz, l’homme le plus influent de tout Kœnigsberg. Si on veut expliquer l’évolution religieuse de Kant, c’est là, et non ailleurs, qu’il faut aller rechercher les premières influences. Kant lui-même en convenait. Cf. Wasianski, op. cit., p. 340. "

Le Collegium Fridericianum passait pour un établissement piétiste (voir ce mot), encore que ses directeurs n’acceptassent nullement l’épithète. On nous assure même qu’ils rouaient de coups ceux qui s’en servaient sans arrière-pensée. Cf. J. G. Hasse, Merkwûrdige zEusserungen non eincm seiner Tischgenossen, Kônigsberg, 1804, p. 34. C’est au Fridericianum que Kant allait recevoir sa formation religieuse : c’est là aussi que le zèle intempestif de ses maîtres allait le dégoûter à tout jamais, par réaction, des attitudes dévotes et de ce qu’il appellera die schwârmerische Religiositût, le fanatisme ou la bigoterie.

Nous connaissons par des témoignages nombreux et directs les idées de F. A. Schultz. Nous savons par les déclarations de l’inspecteur Schiflert lui-même quels principes d’éducation étaient appliqués aux élèves du Fridericianum. Ils s’inspiraient de ce pessimisme moral qu’on retrouve aussi bien chez les luthériens que chez les réformés ou les piétistes, avant l’époque du rationalisme. Le protestantisme a cristallisé, dès l’origine, autour du problème théologique du salut. Dès l’origine aussi la « conversion du cœur » y a pris une place non seulement importante, mais presque unique. Le cœur humain est « naturellement mauvais ». La question théologique par excellence sera de savoir s’il peut être purifié, et comment. Au Fridericianum, toute l’éducation était commandée par cette dogmatique austère et incomplète. Il s’agissait non pas tant d’instruire et de meubler des esprits, mais plutôt « de sauver de la corruption native » la jeunesse étudiante. Le souci de la science proprement dite était officiellement considéré comme secondaire. L’enseignement de la religion était prépondérant, mais la théologie protestante, déjà fort rétrécie à l’origine, avait encore été mutilée par le piétisme. L’économie du « salut par la foi », une foi de confiance, dont l’essentiel consistait en un enthousiasme attendri pour la personne du Christ, quelques histoires de l’Ancien Testament, des fragments d’épîtres pauliniennes, et l’Évangile, c’était le fond de l’enseignement. Les classiques grecs ne figuraient pas au programme, par peur de contamination païenne. On n’apprenait le grec que dans le Nouveau Testament.

Les exercices pieux occupaient une place importante dans l’ordre du jour : prière commune pendant une heure tous les matins, instructions, admonestations, exhortations, cantiques, on avait organisé tout un système de dressage, dans lequel la discipline militaire de la Prusse de Frédéric II et la conception protestante de la corruption originelle se rencontraient pour obtenir — pour essayer d’obtenir — la « conversion » de la jeunesse.

Cette idée d’une perversion native de l’homme, Kant ne la perdra plus, malgré son admiration pour J.-J. Rousseau. Nous la retrouverons, habillée d’expressions philosophiques, dans la doctrine kantienne du » mal radical » (dus radtkale Bôse) ; cf. (’.., t. vi, p. 181, 182, 291, <lcr Mensch tsi verderbt ; A., t. vi, p. 41, 42, 143 ; H., t. x, p. 47-48, 172. Tout le premier cliapilre de la Religion iiuicrhalb der Grcnzen der blossen Vernunft est destiné à expliquer ce mal radical.

Persuadé pour toute sa vie que l’homme est corrompu, Kant quitta le Fridericianum parfaitement dégoûté du système que ses maîtres avaient employé pour guérir cette corruption. Il supprima de sa conduite toutes les pratiques de dévotion, même les plus rudimentaires. Nous le verrons plus tard essayer de prouver que la prière est immorale, que l’ascétisme est une perversion, que toutes les observances religieuses sont dégradantes, et que l’invocation du Christ est une bassesse idolâtrique. Il ne tolérait pas chez ses propres convives la prière avant ou après le repas. Cf. Hasse, op. cit., ou Vorâlnder, op. cit., p. 192. Il se plaignait en termes méprisants des cantiques pieux que chantaient, dans leur prison, proche de sa demeure, les détenus de Kœnigsberg ; et il demandait à Hippel, directeur de la maison d’arrêt, de faire taire ces « hypocrites ». Borowski, op. cit., p. 217-218. Cf. G., t. ix, p. 253 ; A., t. x, p. 391.

La personne même du Dr A. Schultz n’en exerça pas moins une grande influence sur le jeune Kant. C’est Schultz qui paya l’écolage d’Emmanuel ; c’est lui qui, « malgré son piétisme », comprit la valeur intellectuelle de son élève et l’encouragea dans ses études. Cf. Wasianski, op. cit., p. 310, et c’est à lui que Kant, devenu vieillard, songeait avec une gratitude mêlée de quelques remords. W asianski, ibid.

La carrière académique et littéraire.

Immatriculé à l’université de Kœnigsberg en 1740 ; promu magister en 1755 ; nommé professeur ordinaire de logique et de métaphysique en 1770 ; recteur pour la première fois en 1786 et pour la seconde fois en 1788, Kant prit sa retraite en 1796. Les seuls incidents qui jalonnent cette existence très uniforme sont la publication d’ouvrages philosophiques et les démêlés avec le gouvernement prussien.

1. Nous ne nous occupons ici que des ourrages de Kant ayant trait, directement ou indirectement, à la religion. Les voici en ordre chronologique.

1759. Versuch einiger Belrachtungen ùber den Oplimismus. (Quelques considérations sur l’optimisme.) —

1763. Der einzig môgliche Beweisgrund zu einer Démonstration des Daseins Gottes. (La seule preuve possible pour une démonstration de l’existence de Dieu.) —

1764. Untersuchungen ùber die Deutlichkeit der Grundsâlzc der natùrlichen Théologie und der Moral. (Recherches sur l’évidence des principes en théologie naturelle et en morale.) — 1766. Trûume eines Geistersehers, erlûuterl durch Tràume der Metaphysik. (Songes d’un visionnaire, expliqués par les rêves de la métaphysique. ) Le visionnaire est Swedenborg. Voir ce mot. — 1770. De mundi sensibilis atque intelligibilis forma et principiis. — 1781. Kritik der reinen Vernunft. (Critique de la raison pure.) — 1783. Prolegomena zu einer jeden kùnjtigen Metaphysik, die als Wissenschaft wird auftreten kônnen. (Prolégomènes à toute métaphysique, qui pourra se présenter comme science.) — 1781. Beantwortung der Frage : lVns ist Au/klârung ? (Réponse à la question : qu’est-ce que le progrès des lumières ?) — 1785. Grundlegung zur Metaphysik der Sitten. (fondement de la métaphysique des mœurs.) — 1786. Mutmasslicher Anfang der menschengeschichte. (Conjecture sur le début de l’histoire humaine.) — 1786. Was heissi : Sich im Denken orientiercn ?(Lv sens de la formule : donner une orientation à sa pensée’.) — 1788. Kritik der praktischen Vernunft. (Critique de la raison pratique-.) — 1788. Veber den Gebraueh tcleologischer Primipien in der Philosophie, (Sur l’usage des principes de finalité en philosophie.) — 1790. Kritik der Urteilskra/t. (Critique de la faculté d’apprécier.) On traduit d’ordinaire : « Critique du jugement » mais il s’agit en réalité d’une critique 0^ goût, Kritik des Geschmacks, Cf. Windelband, dans l’Introduction