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    1. JUSTIN##


JUSTIN, DOCTRINES : LES SACREMENTS

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Justin cite les Mémoires des apôtres, non pas d’une manière littérale — le texte qu’il donne n’est nulle part dans les évangiles ni dans saint Paul — mais en suivant le sens ; et il est impossible de méconnaître l’exactitude de sa tradition. L’apologiste ne précise « Tailleurs pas suivant quelle formule est consacrée l’eucharistie. Il est probable que la liturgie a, dès son époque, contenu le récit de la Cène. Le pain et le vin sont eucharisties par une formule de prière qui vient du Christ, Si’eù^/jç Xôyou to>j Trap’aù-roû. Le sens des mots sù^’rjç Xôyou, discours de prières, est assuré par la comparaison avec I Apol., xiii, 1, où il est question d’un Xoyco eùx^ç xai eù/apumaç. Mais le fait que la prière vient du Christ, suggère assez naturellement qu’elle est formée des paroles mêmes du Seigneur. P. Batifïol, L’Eucharistie, lu présence réelle et la transsubstantiation, Ie édit., Paris, 1920, p. 23.

Le pain et le vin eucharisties ne sont pas une nourriture commune, ni une boisson commune : cette nourriture est la chair et le sang de Jésus-Christ. On pourrait difficilement souhaiter une affirmation plus nette de la présence réelle. Non seulement Justin ne défend pas les chrétiens contre l’accusation, si fréquente et si odieuse, d’anthropophagie, mais il affirme, très simplement, que ses frères et lui-même se nourrissent de la -chair et du sang du Christ. Il aurait pu se justifier en prononçant le mot de symbole, ou de figure, mais il ne pense même pas à le faire. C’est la chair et le sang du Seigneur. Afin de mettre sa pensée dans un plus clair relief, il emprunte une comparaison an fait même de l’incarnation. « De la manière dont fait chair, par le Verbe de Dieu, Stà X6yo’j 0eo5 aapxoTtoiTjOsîç, le Christ a eu une chair et du sang, ainsi l’aliment eucharistie par un discours de prière qui vient de lui, Sl eùx^Ç Xôyou toO roxp’ocÙtoû, est la chair et le sang de ce Jésus fait chair. » Il y a parallélisme entre le manière dont le Christ s’est incarné par le Verbe de Dieu, et la manière dont le pain est eucharistie par le verbe de prière qui vient du Christ. Le Christ a eu un corps et un sang réel : cela ne saurait être mis en doute ; de même, l’eucharistie est le corps et le sang de Jésus incarné.

Comment cela peut-il se faire ? Justin ne se pose pas la question, et nous n’avons pas à la poser à sa place. Il n’est pas un théologien qui cherche à rendre compte de ses convictions. Il est un simple fidèle, pris dans la multitude des fidèles et qui expose, en toute loyauté, la foi commune des chrétiens. On lui a enseigné, on a reçu par tradition, que l’eucharistie est le corps et le sang du Christ. Il le répète avec confiance. Il ne serait pas juste de vouloir, à tout prix, en faire le partisan de telle ou telle explication particulière, mais il serait infiniment plus injuste de se le représenter comme un minimiste qui essaie de rabaisser le mystère aux proportions d’une philosophie humaine.

Justin ajoute enfin que de l’aliment eucharistie, nos chairs et notre sang sont nourris en vue de la transformation : è ; ïjç aïpt.* xal aàpxeç xocxà ji.ST0cooX7]v Tp£<povTai y](jiwv. L. Pautigny traduit ici : « Cet aliment qui doit nourrir par assimilation notre chair et notre sang. » A. Puech estime, dans le même sens, que cette phrase i signifie simplement que la nourriture, par le processus de la digestion se transforme en notre chair et notre sang. » A. Puech, Les Apologistes grecs, p. 143. En réalité, l’apologiste semble vouloir exprimer ici l’idée que notre chair et notre sang tirent de cette nourriture un principe de transformation de leur être, un principe d’immortalité. « L’eucharistie en effet n’est pas considérée par Justin à part de l’incarnation, dont elle est une application, une suite, une consommation : la guérison, l’immortalisation de notre être nous est value par l’incarnation et communiquée par l’eucharistie. » P. Batifïol, op. cit., p. 30.

Pour achever l’étude des renseignements fournis par Justin sur l’eucharistie, il faut encore signaler trois passages du Dialogue qui complètent sur certains points la doctrine de l’Apologie. Dial., xli, 1, col. 564. Justin nous apprend en effet que le Christ nous a prescrit de célébrer l’eucharistie, « en souvenir de la souffrance qu’il a subie pour tous les hommes qui sont purifiés dans leurs âmes de tout péché ; afin que nous rendions grâces en même temps à Dieu d’avoir créé le monde avec tout ce qu’il contient à cause des hommes, de nous avoir délivrés du mal dans lequel nous som ne nés, et d’avoir ruiné définitivement les principautés et les puissances par celui qui est devenu souffrant selon sa volonté. » Nous trouvons ici le thème de la prière d’actions de grâces, et l’indication précieuse que l’eucharistie est un mémorial de la passion. La même idée est exprimée encore un peu plus bas. Dial., lxx, 4, col. 641 A.

Justin ajoute que l’eucharistie est un sacrifice : « Des sacrifices que nous, les nations, nous lui offrons en tout lieu, c’est-à-dire du pain de l’eucharistie et semblablement du calice de l’eucharistie, Dieu en parle à l’avance, quand il dit que nous glorifions son nom, tandis que vous le profanez. » Dial., xli, 3, col. 564 C. Ailleurs il écrit : « Tous les sacrifices faits par ce nom, que Jésus-Christ a prescrits d’offrir, c’est-à-dire ceux qui par l’eucharistie du pain et de la coupe en tout lieu de la terre, sont offerts par les chrétiens, Dieu témoigne d’avance qu’ils lui sont agréables. Les prières et les eucharisties faites par des nom. ne dignes sont les seuls sacrifices parfaits et les s mis agréables à Dieu, je l’affirme moi aussi. Ce sont les seuls que les chrétiens ont reçu la tradition d’offrir dans la commémoraison de leur aliment sec et humide où est commémorée la passion que souffrit pour eux le Fils de Dieu. » Dial., cxvii, 1-3, col. 745 B. La pensée de l’apologiste n’est pas très claire, et plusieurs critiques ont interprété ces passages comme si Justin ne voyait dans l’eucharistie qu’un sacrifice de prière. Il est certain que Justin a écrit que Dieu n’a pas besoin de sang, ni de libations, ni d’encens et que les chrétiens le louent selon leur pouvoir par un discours de prière et d’eucharistie dans tout ce qu’ils offrent, / Apol., xjii, 1, mais il n’est pas moins certain que pour lui c’est le pain et le vin de l’eucharistie qui sont le sacrifice pur offert en tout lieu, et non pas la prière elle-même. Cf. P. Batifïol, L’Eucharistie, 2e édit., p. 150-153.

Par la description de l’eucharistie s’achève cet examen de l’enseignement de Justin. L’importance de cet enseignement est considérable ; car avec Justin, c’est vraiment toute l’Église du milieu du n° siècle dont on reçoit le témoignage. Après sa conversion, l’apologiste n’est plus qu’un fidèle disciple du Christ : c’est à l’Écriture, c’est encore à la tradition qu’il emprunte cette doctrine. Sans doute, il n’oublie pas qu’il a été philosophe, il conserve pour la philosophie la tendresse que l’on garde toujours aux études de la jeunesse ; il est heureux de pouvoir à l’occasion montrer l’accord de la sagesse antique et de l’enseignement du Christ. Mais il ne cherche jamais à faire entrer l’Évangile dans des cadres qui n’ont pas été faits pour lui, ni à rabaisser la doctrine du Verbe à la mesure des systèmes humains. S’il aime à montrer l’action du Verbe dans l’humanité entière, aussi bien chez les païens que chez les juifs, c’est qu’il désire généreusement le salut de tous les hommes. Il a horreur de tous les exclusivismes, des sectes étroites, des écoles mesquinement fermées. Il enseigne le christianisme traditionnel ; mais il l’enseigne avec joie, avec tendresse, avec amour, de manière à en ouvrir les portes aux bonnes volontés hésitantes. Ses qualités morales, plus encore que ses qualités intelle tuelles qui paraissent