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JUSTIN, DOCTRINES : L’ESPRIT SAINT l


Abraham, ni Isaac.ni Jacob, ni aucun autre hommeVa, vu le Père et ineffable Seigneur de toutes choses et du Christ lui-même, mais seulement celui qui, selon sa volonté, est aussi Dieu, son Fils et sou ange parce qu’il exécute ses décisions. » Dial., cxxvii, 4, col. 773 A. De telles formules sont dangereuses. A force de répéter que le Fils est engendré par la volonté et la puissance du Père, Dial., lxx, 1 ; cxxvii, 4 ; cxxviii, 4, l’apologiste donne à penser que, pour lui, cette génération pourrait bien ne pas avoir eu lieu, et qu’elle dépend d’un acte libre de Dieu. A force de déclarer que le Verbe obéit au Père et qu’il lui est soumis, il paraît en faire, non cartes un ange au sens strict, du moins un Dieu de seconde majesté. Il est fort possible que ce soit là le résultat d’une erreur d’exégète plutôt que de philosophe : c’est en cherchant à interpréter les livres de l’Ancien Testament que Justin a trouvé le mystérieux ange de Jahvé dont il affirme l’identité avec le Verbe. Mais il est certain que sa terminologie est erronée, et provient d’une pensée insuffisamment mûrie.

L’Esprit Saint.

La construction théologique

de Justin semble complète : Dieu ineffable et incommunicable au point de départ. Le Verbe, premier-né de Dieu, antérieur à toute création, et donc éternel, révélateur de Dieu, intermédiaire indispensable entre Dieu et les hommes. H paraît que ces deux termes pourraient suffire, et l’on a quelque peine à concevoir même la possibilité d’en introduire un troisième.

Justin cependant n’est pas l’homme d’un système, mais d’une tradition ; et la tradition l’oblige à parler de l’Esprit Saint, ou comme il préfère dire, de l’Esprit prophétique. Dans les symboles de foi, il s’agit de l’Esprit prophétique, / Apol., vi, 2 ; que les chrétiens adorent en troisième rang, èv Tpf/rf) TdcÇei. Lorsqu’il est question du baptême, c’est l’Esprit Saint qui est mentionné, / Apol., lxi, 3, 13, conformément d’ailleurs à la formule évangélique, Matth., xxviii, 19. « Le nom d’esprit prophétique implique évidemment que cette troisième personne est considérée comme l’inspiratrice des prophètes de l’Ancien Testament ; mais elle apparaît dès l’origine des choses, car au chapitre lx elle est assimilée à l’Esprit de Dieu qui était porté au-dessus des eaux, Gen., i, 1-3 ; et elle ne peut, à cet endroit, être aucunement confondue avec la deuxième personne. Justin compare à la Trinité chrétienne la Trinité de la seconde lettre platonicienne, en identifiant expressément le Fils avec l’âme du monde du Timée : « Platon donne la seconde place au Verbe venu de Dieu qu’il dit avoir été disposé’en forme de X dans l’univers, et la troisième à l’Esprit qui a été dit être porté sur l’eau ; il s’exprime ainsi : nrà Se xpixee 7tepl tôv Tptxov. » A. Puech, op. cit., p. 322 sq.

Mais Justin est loin d’avoir une idée très claire de la nature et de la personnalité de l’Esprit prophétique. C’est cet Esprit qui inspire les prophètes : tel est son rôle essentiel. I Apol., xliv, 1 ; xxxv, 3 ; xxxiii, 5 ; xli, 4 ; xliv, 2 ; Dial., xxxii, 3 ; xxxviii, 3 ; XLin, 3, etc. Après ce que nous savons du Logos, organe de la révélation divine, nous sommes tentés de nous en étonner. Et Justin écrit en effet : « Lorsque les prophètes prononcent leurs paroles sous la figure de quelqu’un, ce ne sont pas en réalité ces inspirés qui parlent, . mais le Verbe divin qui les meut. » / Apol., xxxvi, 1, -col. 385 A. L’Esprit est-il donc identique au Verbe ?

Ailleurs, l’apologiste commente les récits évangéliques de la conception virginale : « Une puissance de Dieu, dit-il étant venue sur la Vierge, l’a couverte de son ombre et l’a fait concevoir, elle qui était vierge… C’est là ce que nous avons appris de ceux qui ont raconté la vie de notre Sauveur Jésus-Christ, et nous le croyons parce que, comme nous l’avons dit, l’Esprit prophétique annonça sa future naissance (celle du

Sauveur) par la bouche d’Isaïe dont nous avons parlé : Par l’Esprit et la vertu de Dieu, nous ne pouvons entendre que le Verbe, qui est le premier-né de Dieu : cet Esprit venant sur la Vierge et la couvrant de son ombre, la rendit enceinte non par commerce charnel.’mais par puissance. » I Apol., xxxut, 4-6, col. 331 AB, La difficulté avec laquelle Justin se trouve aux prises est réelle : sa source en est dans le texte évangélique lui-même, où figure la mention du Saint-Esprit et que l’on pouvait être tenté d’interpréter comme si le Saint-Esprit lui-même s’était incarné. Pour éviter cette exégèse si contraire à renseignement traditionnel. Justin ne découvre d’autre solution que d’identifier provisoirement le Verbe et l’Esprit Saint.

Toutefois, l’apologiste n’accepte pas cette solution simpliste, car il tient à sauvegarder la réalité de l’Esprit prophétique. Un passage particulièrement obscur du Dialogue, lxxxvii, 2 sq., col. 684, explique en effet que les puissances de l’Esprit qui s’étaient manifestées partiellement chez les prophètes de l’Ancien Testament se sont toutes reposées et terminées dans le Christ, qui les communique à ses fidèles en inaugurant ainsi la tradition d’une prophétie nouvelle. Il ne s’agit pas évidemment d’une incarnation de l’Esprit qui se serait produite au moment du baptême de Jésus ; mais les textes évangéliques qui parlent du baptême amènent pourtant Justin à rappeler qu’à ce moment l’Esprit Saint se manifeste de manière spéciale. Cf. A. Puech, op. cit., p. 324-326.

Il reste qu’il ne faut pas demander à Justin une théologie de l’Esprit Saint. Sa pensée s’embarrasse manifestement lorsqu’il veut expliquer la nature et le rôle de cet Esprit, mais il tient, au nom de la tradition, à en affirmer l’existence ; et c’est à titre de représentant de la prédication ecclésiastique, de la foi commune, que son témoignage est précieux.

77I. LES ESSErONEMENTS DE JUSTIN SUR LE GHUIST

ET SUR la rédemption. — 1° Divinité de Jésus-Christ. Le Verbe de Dieu, après s’être communiqué partiellement aux philosophes, après s’être manifesté aux patriarches dans les théophanies de l’Ancien Testament, s’est incarné en Jésus-Christ. « Ce n’est pas seulement chez les Grecs, par l’intermédiaire de Socrate que ces enseignements ont été donnés par le Verbe (Û716 Xôyou) mais aussi chez les barbares par le Verbe lui-même revêtu d’une forme sensible (^opej>cù9évTO< ;), devenu homme, et appelé Jésus-Christ. » / Apol., v, 4, col. 336B. « Jésus-Christ seul est proprement le Fils de Dieu, son Verbe, son premier-né, sa puissance ; et devenu homme par sa volonté, il nous a donné ces enseignements. » / Apol., xxiii, 2, col. 364 AB. Aucune doctrine n’est plus claire ni plus fermement tenue, par Justin que celle de l’incarnation du Verbe et de la divinité du Christ.

Il va sans dire qu’une telle doctrine étonne les adversaires de l’apologiste et particulièrement Tryphon : « T’entendre dire que ce Christ est Dieu, objecte le juif, qu’il a préexisté avant les siècles, puis qu’il a consenti à se faire homme et à naître, et qu’il n’est point homme d’entre les hommes, cela ne me paraît pas seulement paradoxal, mais insensé. » Dial., xlviii, 1, col. 580 A. A quoi Justin répond : « Il en est de votre race qui reconnaissent qu’il est Christ, tout en déclarant qu’il fut homme d’entre les hommes. Je ne suis pas de leur avis, et un très grand nombre qui pense comme moi ne consentirait pas à le dire ; car ce n’est pas à des enseignements humains que le Christ lui-même nous a ordonné d’obéir. » Dial., xlviii, 9, col. 581 A.

La divinité de Jésus comporte des conclusions pratiques, dont la première est pour les chrétiens le devoi de l’adorer. Tryphon ne voit qu’un blasphème dans cette prétention, Dial., xxxviii, 1 ; l’apologiste s’efforce