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    1. JUSTIN##


JUSTIN, DOCTRINES : LE VERBE

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tradition ecclésiastique. » A. Puech, op. cit., p. 104. Un pourrait être tenté de demander ici des précisions ; mais il y a beaucoup de chances pour qu’une solution trop précise soit inexacte. C’est dans l’Évangile de saint Jean que la doctrine du Logos fait son apparition dans l’enseignement chrétien. Justin qui connaît l’Apocalypse et qui la cite comme l’œuvre de l’apôtre Jean, a pu difficilement ignorer le quatrième Évangile, bien qu’il ne le cite nulle part de manière expresse. Voir ci-dessus, col. 2258. Mais déjà le IV e Évangile parle du Logos comme d’une notion courante, et lorsqu’il affirme tranquillement : « Le Logos est devenu chair, » Joa., i, 14, il ne croit pas introduire "une révolution dans la théologie, ni même dans la terminologie familière au cercle des lecteurs auxquels il s’adresse. Justin fait de même. Il parle du Logos en toute simplicité et c’est une notion courante, non pas chez les philosophes, mais chez les simples chrétiens ; une notion qui fait partie du dépôt de la foi, et sans laquelle le christianisme serait incomplet. On ne saurait admettre par suite que Justin a été amené à parler du Verbe pour en faire l’instrument de la création et de la révélation, exigé par la transcendance de Dieu ; et que sa philosophie — une philosophie purement rationnelle — a conditionné ses explications. Il a reçu le Verbe de la tradition ; et cVst aussi de la tradition qu’il a appris le rôle du Verbe dans l’œuvre de Dieu.

Dans la création d’abord. Toutes les fois que Justin est amené à traiter ce sujet, il fait de la création l’œuvre de Dieu et très particulièrement l’œuvre du Père. Celui-ci est le démiurge, voir ci-dessus, col. 2253, et l’apologiste n’hésite pas à condamner l’hérésie de Marcion « qui nie le Dieu créateur du ciel et de la terre, et le Christ son fils annoncé par les prophètes pour prêcher un autre Dieu à côté du Dieu créateur de toutes choses et un autre fils. » / Apol., Lvm, 1 ; cf. xxvi, 5, col. 416 A, 368.

Il semble pourtant que Justin distingue, tout au" moins en certains cas, la conception du monde, et son exécution. Il réserve alors à Dieu la conception, pour faire du Verbe un agent d’exécution. Ainsi, dans ce passage de la première Apologie, où il interprète le premier verset de la Genèse, en fonction des fables de la mythologie païenne : « Coré, fille de Zeus, est une copie de cet Esprit de Dieu, qui est représenté porté sur les eaux. La même malice leur a fait inventer Athéna, fille de Zeus, née sans le commerce de la génération. Ils savaient que Dieu avait d’abord conçu dans sa pensée le monde qu’il fit par sqp Verbe, èwo-qOévToc tôv 6eôv Sià X6you —rôv xôct^ov izoïrpca : ils appelèrent Athéna cette première pensée. » / Apol., lxiv, 4-5, col. 425 D. Remarquons toutefois que le sens de ce texte n’est pas assuré, et qu’au lieu de joindre comme on le fait d’ordinaire les mots oà Xôyoo à Ttoûjaai, il vaudrait mieux peut-être les rapprocher de èwO7)0évTa

L’Écriture d’ailleurs suggérait à l’apologiste cette idée que Dieu pour créer le monde avait eu recours à l’assistance du Logos. Le texte de Gen., i, 26 : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance » était chez les rabbins l’objet de dissertations interminables. Justin n’hésite pas à déclarer qu’il s’agit du Verbe prenant part à la création de l’homme. Dial., lxii, col. 617. Un passage célèbre de Prov., viii, 22-26, que Justin cite à deux reprises dans le Dialogue, lxi, 1 ; cxxix, 3, introduisait la Sagesse divine dans l’œuvre créatrice : et la Sagesse, aux yeux de l’apologiste, n’était autre que le Verbe. D’une manière plus générale encore, le récit de la création marquait clairement que Dieu avait fait le monde par sa parole ; Justin pense qu’il s’agit du Verbe. / Apol., lix, 5 ; II Apol., vi, 3, col. 416 C, 453 B.

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Mais tout cela est encore vague ; il est clair que Justin n’a pas besoin de faire créer le monde à Dieu par l’intermédiaire du Verbe, et qu’il n’entend nulle part proposer une théorie de la création.

Il propose au contraire une théorie de la révélation. Il admet avec l’Évangile, comme nous l’avons dit, que Dieu est inconnaissable et que personne ne l’a jamais vu. A vrai dire, le Fils n’est pas moins inconnaissable que le Père, et Justin le déclare expressément en citant, sous une forme particulière le témoignage de Matth., xi, 27 : « Personne ne connaît le Fils sinon le Père et ceux à qui le Fils le révélerait. » / Apol., lxui, 3 ; Dial. c, 1, col. 424 B, 709 A. Mais dans le plan divin, le Fils est le grand révélateur : c’est par lui que Dieu s’est manifesté à l’humanité.

A toute l’humanité d’ailleurs ; aux païens comme aux juifs. Tout ce que les philosophes de la Grèce ont enseigné de bon, ils le doivent au Verbe ; et s’ils se sont trop souvent contredits eux-mêmes, c’est qu’ils n’ont pas connu tout le Verbe. // Apol., x, 2 sq. ; xiii, 3-6, col. 460 C, 465 BC. Quant aux Juifs c’est encore au Verbe qu’ils doivent la connaissance de Dieu. Toute les théophanies de l’Ancien Testament ne sont que des manifestations du Verbe. Le Dieu qui reste dans les régions supracélestes, le créateur et Père de toutes choses ne s’est jamais fait voir à personne, Dial., lvi, col. 596 D-597 A, mais chaque fois que Dieu est apparu aux patriarches, qu’il a parlé aux prophètes, il l’a fait par l’intermédiaire du Verbe. Sur ce point, la pensée de Justin est aussi ferme qu’elle était vague et imprécise lorsqu’il s’agissait de la création du monde. Le Verbe, pour lui est essentiellement le révélateur.

Mais quelle est la véritable nature du VerK’, dans la pensée de saint Justin ? Il est hors de doute que, pour lui, le Logos a une réalité substantielle ; qu’il est ce que nous appellerions aujourd’hui une personne. Il est numériquement distinct de Dieu : « Les paroles mêmes de Moïse permettent de reconnaître que Dieu parle à quelqu’un de distinct par le nombre et de nature raisonnable : Xôyouç tojç £tpy)ij.évoj< ; ûtt’aÙTOÙ toù Mcoastoç mxXw laTopqaw, IE, wv àvxpt.qHXé’CTWÇ 7tp6ç Twa, xal àp16[£tô ôvra eTSpov xal Xoyixoy ûroxp}(ovTa, â)(i.iX7)X£vat aùxôv è7uyvwvai. exo[Lsv. » Dial., lxii, 2 ; cf. lvi, 11, col. 617 B, 600 C.

En même temps le Logos est Dieu : 6eôç xxXetTai xal 0s6ç èciTi xal sarat. Dial., lviii, 9, col. 60J B. Les c. lvi-lxii du Dialogue sont consacrés à montrer qu’à côté du Dieu suprême il y a un autre Dieu, qui n’est pas un ange, mais véritablement Dieu. Il est, semble-t-il, assez vain de faire remarquer qu’ici le mot 0e6ç est employé sans article, et d’ajouter que, / Apol., x, 6, Justin se contente de dire ô X6yoç Qsïoç wv. Ces observations auraient leur importance si nous avions affaire à un philosophe capable de construire une théorie entièrement cohérente. Mais l’apologiste se contente d’affirmer les réalités que suppose sa foi chrétienne. « Je sais, dit-il, qu’il en est qui veulent s’emparer à l’avance de ces passages (de l’Ancien Testament) et assurent que la puissance venue d’auprès du Père de l’univers pour apparaître à Moïse, à Abraham, à Jacob, est appelée ange dans sa venue ver 1 ; les hommes, parce que par elle les choses du PJre sont annoncées aux hommes ; et gloire parce qu’elle paraît quelquefois en une image indéterminée ; qu’elle est appelée homme, parce que pour apparaître elle a revêtu les formes humaines voulues par le Père ; qu’on l’appelle encore Verbe, parce qu’elle porte aux hommes les discours du Père. Ils disent qu’on ne peut ni couper, ni séparer cette puissance du Père pas plus qu’on ne peut coupçr et séparer la lumière du soleil sur la terre du soleil qui est dans le ciel : lorsqu’il se couche la lumière disparaît. De même le Père peut, lorsqu’il le veut, disent-ils, projeter sa puissance, et lorsqu’il le

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