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JUSTIN, DOCTRINES : LE VERBE

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Josophie qu’une exigence de sa vie religieuse, c’est que l’apologiste insiste sur l’activité créatrice de Dieu. Pour lui, Dieu est le créateur de l’univers, tÔv 8-qy.iovpycv TOûSe toû TiavTÔç, / Apol., xiii, 1, col. 345 B ; le créateur et père de toutes choses, 7TOW]T7)v twv ôXcov v.-xi —a-rspa, Dial., lvi, 1, col. 597 A. Il a fait le monde à cause des hommes, / Apol., x, 2 ; II Apol., iv, 2, col. 340, 452 A, ce qui est une doctrine stoïcienne, mais tout autant une doctrine contenue dans l’Ancien Testament. Il gouverne tout par sa Providence : nous devons le remercier « pour la vie qu’il nous a donnée et le soin qu’il prend de nous conserver en santé, pour les qualités des choses et les changements des saisons. » 1 Apol., xiii, 2, col. 345 B. « Par sa loi divine, les astres du ciel qu’il a créés aussi manifestement pour l’homme, doivent concourir à la croissance des fruits de la terre et au changement des saisons. » II Apol., v, 2, col. 452 B. Les stoïciens encore ont insisté sur la beauté et l’ordre du monde, mais, parmi les chrétiens, Clément de Borne a devancé Justin dans cet éloge de la Providence ; et faut-il rappeler que le Sauveur dans l’Évangile a magnifié le Père céleste qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, tomber sa pluie sur les justes et sur les injustes, qui nourrit les oiseaux du ciel et habille les lis des champs ? « Justin, écrit très justement A. Puech, op. cit., p. 100, paraît confondre le Dieu Père et le Démiurge. Comment s’il avait eu une répugnance à les rapprocher, aurait-il pu en venir, pour retrouver chez Platon un emprunt à la Bible mal comprise, à interpréter le texte du Timée sur l’âme du monde de telle façon que le Démiurge platonicien est identifié avec le Père des chrétiens, et l’âme du monde avec le Verbe ? » Cf. Timée, 36 B C ; I Apol., lx, 1. Le mot même de 8Y)fJ.ioopy6ç, qui apparaît fréquemment dans les Apologies, est réservé à Dieu le Père. Toute la tradition biblique devait amener Justin à voir en lui le créateur du monde : il n’a aucune hésitation à accepter cette tradition. Et sans doute l’aurait-on bien embarrassé si on lui avait posé en termes philosophiques le problème des rapports du fini et de l’infini, du multiple et de l’un. Justin n’a que faire de ces subtilités. Il estime qu’aucun homme doué d’intelligence ne saurait croire que le créateur et père de l’univers abandonnerait jamais ce qui est au-dessus du ciel pour apparaître en un petit coin de terre, Dial, lx, 2, col. 612 C : il fait ainsi de la transcendance divine une notion de sens commun. Mais, à ses yeux, cette transcendance n’exclut pas Dieu du monde. Elle l’empêche seulement de se révéler aux hommes. En un certain sens, l’introduction du Verbe dans la philosophie de Justin s’explique par la nécessité où est l’apologiste de faire comprendre comment Dieu est connu à l’humanité. Disons, si l’on veut, que le problème est plutôt de l’ordre logique que de l’ordre ontologique. Dieu est transcendant non parce qu’il ne peut agir sur les choses créées, mais parce qu’il ne peut être connu par l’intelligence abandonnée à ses seules forces.

Un texte, particulièrement remarquable, résume l’idée générale que Justin se fait de Dieu, en même temps qu’il laisse voir les lacunes d’une théorie inachevée : " Le l’ère qui est inexprimable et Seigneur de l’univers, ne va nulle part, ne se promène pas, ne dorl ni ne se lève, mais il resle dans sa demeure où qu’elle soit. Sa vue est perçante, son ouïe est perçante, non qu’il ail des yeux et des oreilles, niais par une puissance indéfinissable.. Il surveille tout, connaît tout, cl aucun de nous ne se dérobe à lui ; il ne se niciil pas ; aucun lien ne peut le contenir, pas même le monde tout entier, car il était avant même que le monde fût fait. » Dial., ex xvii, 2, col. 772 B.

Bref, le Dieu de.lustin est le Dieu d’un mono théisme qui pouvait, au i’r ou au n’siècle de noire ère

rallier à lui aussi bien les philosophes que les Juifs et les chrétiens. On retrouve la même doctrine chez les autres apologistes, mais on la trouve également chez Celse, dont Origène devait réfuterle Discours véritable. Pour Celse, il existe un Dieu très grand, ô [iÉyiaxoç 8e 6ç ; et entre ce Dieu et les hommes, il existe des anges, des démons et des héros. Origène, Contra Cels., iii, 68, édit. Koetschau, p. 217 : P. G., t. XI, col. 1517 B. Le nom de ce Dieu très grand importe peu, il est indifférent de l’appeler Zsùç û<Jnafoç ou Zyjv ou Adonaï, ou Sabaoth ou Amoun ou Papaï, l’essentiel est de le connaître. Contra Cels., v, 41-42, édit. Koetschau, p. 45 ; P. G., t. xi, col. 1245 B. — M. Puech cite avec raison ce passage de Josèphe, au second livre contre Apion : « Moïse enseigne à regarder vers Dieu comme vers la cause de tous les biens, que possèdent en commun tous les hommes ou qu’ils ont obtenus après les avoir demandés dans l’épreuve ; il enseigne qu’il n’est pas possible qu’aucune action ou même aucune pensée secrète lui échappe ; qu’il est unique, sans origine, et éternellement immuable ; qu’il l’emporte en beauté sur tout ce que peut imaginer l’esprit humain ; qu’il se fait connaître à nous par sa puissance, niais que nous ne pouvons comprendre quelle est son essence. Que les plus sages d’entre les Grecs ont appris à avoir cette idée de la divinité et que Moïse leur en a donne le principe, je le laisse de côté pour le moment ; mais qu’elle est belle et convenable à la nature et à la dignité de Dieu, ils en sont grandement témoins : Pythagore, Anaxagore, Platon, et après lui les philosophes du Portique, presque tous, semblent avoir pensé ainsi sur la nature de Dieu. » Josèphe, Contra Apion., ii, 66-69.

Le Verbe dans la théologie de Justin.

Toutefois

Justin ne s’arrête pas à la prédication du Dieu innommable, Père et créateur de toutes choses. « Avec lui, dit-il, nous vénérons, nous adorons, nous honorons en esprit et en vérité, le Fils venu d’auprès de lui qui nous a donné ces enseignements et l’armée des autres bons anges qui l’escortent et qui lui ressemblent, et l’Esprit prophétique. » / Apol., vi, 2, col. 336 C-337 A. Il paraît hors de doute que c’est à l’Évangile et au christianisme que l’apologiste doit sa croyance à la Trinité. Sans doute, il s’efforcera, et nous le verrons tout à l’heure, de démontrer rationnellement l’existence du Verbe ; mais cette démonstration n’est pas au point de départ de sa pensée. Lui-même déclare que s’il croit au Verbe incarné, c’est d’après l’autorité de la tradition et des mémoires des Apôtres : « Le Christ est le premier-né de Dieu, son Verbe : c’est ce qu’on nous a enseigné et que nous avons déclaré. » / Apol., xlvi, 2, col. 397 B. « 11 était Fils unique du Père de l’univers, il était proprement engendré de lui. Verbe et puissance ; dans la suite il s’est fait homme par la Vierge, comme nous l’avons appris des Mémoires. » Dial, cv, 1, col. 720 A-721 C.

Le nom par lequel Justin désigne le plus habituellement la seconde personne de la sainte Trinité est celui de Verbe, de Logos. Il est remarquable que la manière même dont il introduit ce nom suppose qu’il le considère comme reçu par ses coreligionnaires. Dè « ; le c. v, 4, de la première Apologie, col. 336 H, il est amené à parler du Logos lui-même, Ù7t’aù-roû ToûXoyou. qui a pris une forme sensible chez les Barbares, et qu’il semble opposer au Logos humain, ÛTto Xoyo’J, qui a permis à Sociale d’enseigner des doctrines vraies. « Ce n’est doue pas assez de dire que Justin se sert de la notion du Logos comme d’une notion familière aux esprits de CSUX à qui il s’adresse, aussi bien des païens cultivés que des Juifs de la Dispersion plus ou moins frottés de philosophie. Il faut ajouter qu’elle est pour lui un élément sinon du Credo à proprement parler, du moins de l’interprétation de ce Credo par la