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JUSTIN, DOCTRINES : SOURCES


une admirable confiance. Et plutôtjque d’abandonner les sages de la Grèce, il aimait à expliquer comment ils étaient déjà des chrétiens sans le savoir.

On trouve même chez lui deux théories juxtaposées pour rendre compte de ce fait. La première, que Justin emprunte à l’apologétique juive, consiste à prétendre que les philosophes païens doivent le meilleur de leur doctrine aux livres de Moïse. « Tout ce que les philosophes et les poètes ont dit de l’immortalité de l’âme, des châtiments qui suivent la mort, de la contemplation des choses célesles, et des autres dogmes semblables, ils en ont reçu les principes des prophètes, et c’est ainsi qu’ils ont pu les concevoir et les énoncer. » / Apol., xliv, 9, col. 396 A. Platon a connu la Genèse et les Nombres et il s’en est inspiré dans le Timée. Dans sa seconde Lettre, la notion des trois personnes divines est également due à Moïse. / Apol., lix-lx, col. 416-420. L’enseignement des philosophes sur la fin du monde provient du Deutéronome. I Apol., lx, 9, col. 120 B. Justin conclut ainsi son exposé. « Ce n’est donc pas nous qui sommes d’accord avec les autres, ce sont les autres qui répètent nos dogmes en les imitant. » / Apol., i.x, 10. Cf. sur l’emploi de cette théorie dans l’apologétique juive, J. Gelïeken, op. cit., p. xxv sq.

Pourtant cette théorie n’est pas celle que saint Justin préfère. L’apologiste donne plus d’importance à une seconde explication, dont on ne peut dire qu’elle lui soit strictement personnelle, mais dont il est le partisan le plus représentatif, et qu’il exprime avec une sympathie visible : c’est la doctrine suivant laquelle tout ce qu’il y a de vérité parmi les hommes leur a été communiqué par le Verbe divin. « Sociale, écrit Justin, jugeant ces choses (à savoir le culte idolâtrique) à la lumière de la raison et de la vérité, essaya d’éclairer les hommes et de les arracher aux démons. Mais les démons, par l’organe des méchants, le firent condamner comme athée, sous prétexte qu’il introduisait des vérités nouvelles. Ils en usent de même envers nous. Car ce n’est pas seulement chez les Grecs et par la bouche de Socrate que ces choses ont été dites par le Verbe ; mais chez les Barbares aussi et par le même Verbe revêtu d’une forme sensible, devenu homme, et appelé Jésus-Christ. » I Apol., v, 3-4, col. 336 B. Plus loin une formule plus expressive encore traduit la même doctrine : « Nous avons appris que le Christ est le premier-né de Dieu, et nous venons de dire qu’il est le Verbe, duquel tout le genre humain a reçu participation. Et ceux qui ont vécu selon le verbe (p.£Tà X6you, c’est-à-dire fait remarquer A. Puech, op. cit., p. 58, avec cette raison que tous les hommes possèdent en puissance), même s’ils ont été jugés athées comme chez les Grecs Sociale, Heraclite et leurs pareils, chez les Barbares Abraham, Ananias et Azarias, Élis et beaucoup d’autres dont il serait trop long d’énumérer les actes ou les noms, tous ceux-là sont chrétiens. De sorte que ceux qui, parmi les hommes du temps liasse, ont vécu sans verbe ont été a/pT.OTOi, (c’est-à-dire inutiles par opposition aux -/pT^Tiavot, de y^rp-uz, utile). furent ennemis du Christ, et meurtriers de ceux qui vivaient selon le Verbe, tandis que ceux qui ont vécu et qui vivent selon le Verbe sont chrétiens, sont sans crainte <-i sans peur. » / Apol., xi.vi, 2-4, col. 3OT BC,

Dans la seconde Apologie, la même théorie est exprimée en termes plus strictement stoïciens. Justin, qui a appris à connaître et > estimer davantage la philosophie du Portique, emploie volontiers quelques-unes de s< s formules, il parle de la semence du l ogos qui est innée dans tOUl le génie humain, II Apol., vin, 2, col. 4. r >7A ; il oppose ceux" qui n’ont possède qu’une parcelle de la raison séminale, mzzzi.-/~ : yjy> Xôyo’J [iipDÇ à CeUX <|"i possèdent la connaissance et la

science du Logos total, toù rcarvTèe. Àôyou yvcÔTtv xai Œcopîav. Il ajoute que < tout ce qu’ont jamais dit et découvert de juste les philosophes et les législateurs, (’est par l’effort d’une raison imparfaite qu’ils l’ont atteint, grâce à leur pénétration et à leur réflexion, mais comme ils n’ont pas connu tout ce qui est du ressort de la raison (7rocvTa Ta toS Xôyoo), qui est le Christ, ils se sont souvent contredits. Ceux qui ont, antérieurement au Christ, essayé de comprendre et de prouver la vérité par la raison, avec les moyens dont dispose l’humanité, ont été traduits en justice comme impies et téméraires… Socrate n’a convaincu personne de mourir pour cette croyance, mais le Christ, que Socrate a connu partiellement, à : rè [i, épouç, car il était et il est la raison partout présente, ô èv tzco>tI wv, … a persuadé non seulement les philosophes et les lettrés, mais même les artisans et des hommes absolument ignorants. » // Apol., x, col. 460 C-461 A.

Noble théorie en vérité que celle qui attribue ainsi au Verbe tout ce qu’il y a de vrai et de bien dans l’humanité, et qui fait des meilleurs philosophes de la Grèce les précurseurs du christianisme. On serait même tenté de concevoir quelque inquiétude et de se demander à quoi sert encore le christianisme et la révélation apportée par Jésus-Christ, si la raison humaine est déjà une participation au Verbe divin. Quelques commentateurs de Justin s’y sont mépris, et ont fait de lui un simple philosophe, à peine teinté de christianisme. A. I larnack, J.ehrbuch (1er Dogmengeschichle, t. i. 1e édit., p. 507. Rien n’est plus contraire à la réalité des faits. Vue fois converti, Justin garde sa sympathie pour ceux qui ont été les premiers maîtres de son esprit, mais il ne leur appartient plus. Il est chrétien, tout entier, // Apol., xiii, 2, col. 465 B, et il accepte l’enseignement traditionnel avec une foi sans réserve.

Aux philos’ip lues incomplet es du paganisme, il oppose le christianisme comme la seule philosophie sûre et utile. DinL, vin. 1. col. 192 D. Il insiste sur cette idée que les chrétiens sont les seuls à pouvoir démontrer leur croyance, ulovoi, [iz-c’àTToSît^sfoç, I Apol., xx, 3, col. 357 C ; et peu de mots reviennent chez lui plus fréquemment que ceux d’àTroSsî.x.vou.t, , àrtôSepiç. Il a une si belle confiance dans la valeur de la raison qu’il la croit capable de l’aire la preuve de la vérité chrétienne.

Cependant, il reconnaît qu’en pratique la raison ne suffit pas à produire la conversion, et qu’il faut y ajouter des dispositions morales : « Il n’est pas facile, écrit-il, de changer en peu de mots une âme possédée par l’ignorance. » / Apol., xii, 11, col. 345 A. Et ailleurs : < Nous pourrions citer encore beaucoup d’autres prophéties ; mais nous nous arrêlerons-là, persuadés que celles-ci suffisent à convaincre ceux qui ont des oreilles pour entendre et comprendre… Tous ces fails… peuvent à bon droit produire la persuasion et la loi chez ceux qui aiment la vérité, qui ne sont pas esclaves de l’opinion publique et qui ne

se laissent pas guider par leurs (lassions. » / Apol., i.m, 1 el 12, eol. 105 C-408 B.

Plus encore, Justin sait que pour croire.il faut le secours de Dieu. Le vieillard qui l’a mis sur le chemin du christianisme le quitte en disant : « Avant tout, prie, pour que les portes de lumière le soient ouvertes, car personne ni’peu ! voir ni comprendre, si Dieu et sou Chris ! ne lui donnent de comprendre. » Dial., vu, 3, col. 192 (’.. Ce secours est particulièrement indispensable pour comprendre le sens véritable des livres saints : Si quelqu’un n’a pas reçu une grande jg

venue de Dieu, et entreprend de comprendre es sjue

les prophètes oui dit et l’ail, il ne lui servira de rien de se donner l’air de rapporter des paroles et des événements dont il ne peut rendre raison. » Dial.,