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JOËL. UNITÉ DU LIVRE

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dent que les sauterelles désignent l’armée assyrienne qui venait du Nord.

Mais de nos jours on préfère d’ordinaire et avec raison l’interprétation réaliste. La manière dont sont décrits les envahisseurs et le dégât causé par eux montre clairement qu’il s’agit d’insectes rongeurs : Comme avec des dents de lions ils broutent tout, même le feuillage et l'écorce des arbres. ï, 6 sq. Ils sont comparés à des chevaux et à des guerriers, n. 4 sq. ; c’est dire qu’ils ne forment pas une armée d’hommes.

Le caractère réel du fléau des sauterelles une fois admis, on peut se demander si Joèl en parle comme d’une calamité actuelle ou seulement comme d’une catastrophe prévue pour l’avenir ? A lire le texte, il semble qu’aucun doute ne soit possible. Il s’agit, au premier chapitre, de ravages causés par les insectes dans le passé et. au second, d’une nouvelle invasion tout à fait imminente. Comment expliquer autrement la description si vive du fléau dont soutirent hommes et animaux et qui est si extraordinaire qu’il doit être raconté à toutes les générations à venir ? Comment expliquer les appels si pressants au repentir, qui n’ont aucun sens s’ils ne sont pas adressés aux contemporains du prophète à cause d’une grande calamité qui les accable ?

Pourtant quelques exégètes modernes (Schegg, IWerx mais surtout van Hoonacker, Les douze petits prophètes, 1908 et Tobac, 1 es prophètes d' Israël. n-m, 1921) ne sont pas satisfaits de cette interprétation réaliste et historique. Ils relèvent plusieurs passages qui ne cadrent pas avec l’idée d’une invasion ordinaire et actuelle de sauterelles. Il est dit par exemple que les magasins sont démolis et les granges détruites. ï, 17. L’armée des insectes est nommée « le Septentrional ». ii, 20. Or en Palestine les sauterelles viennent toujours du Midi et non du Nord et « le Septentrional » est un terme nettement eschatologique. Quelques expressions qui servent dans la seconde partie du livre à décrire le jour du Seigneur se retrouvent dans la première, absolument identiques, pour la description des sauterelles. Comparer ii, 10-11, avec ii, "31, et iii, 15 et 16. Le jour du Seigneur est étroitement lié à l’invasion de ces insectes. ï, 15 ; ii, 1-2, 11.

Pour ces raisons les exégètes en question veulent déjà donner à la première partie du livre un sens eschatologique et remplacer l’explication symbolique et l’exégèse réaliste historique par une interprétation réaliste elle aussi, mais apocalyptique. Ils voient dans les sauterelles des êtres apocalyptiques, qui représentent les forces de la nature en tant qu’elles sont hostiles aux desseins de Dieu et qu’elles seront domptées définitivement au jour du Seigneur.

Cette opinion semble difficilement acceptable. 11 est vrai que dans la description des sauterelles on peut relever des traits escbatologiques et que le fléau de leur invasion est inséparablement lié au jour du Seigneur Mais faut-il dire pour cela que le prophète projette ce fléau dans un avenir lointain ? Ne faut-il pas conclure plutôt qu’il rapproche le jour du Seigneur de la calamité actuelle ? Par là s’explique pleinement le coloris eschatologique de la première partie du livre ; et l’explication réaliste historique garde une base solide contre l’explication artificielle que patronnent MM. van Hoonacker et Tobac.

III. Unité bv livre.

les derniers commentateurs du livre de Joël ont proposé une solution radicale des difficultés que présente l’Interprétation « le sa première partie : c’est d’attribuer les deux pièces de cel écrit à deux ailleurs différents.

Cette hypothèse, suggérée déjà au xie siècle par Veines, Le peuple d’Israël et ses espérances relatives à sou avenir, Strasbourg, 1871, p. 46 sq, et plui par Rotbstein dans l'édition allemande de l’Intro duction lo the Literatur oj the Old Testament de Driver, 1896, p. 333 sq, a été reprise par Duhm, Anmerkungen zu den zwolj Propheten, 1911, p. 99, en vue spécialement de résoudre l'énigme exégélique des deux premiers chapitres. Elle a été adoptée depuis, sous différentes formes, par un grand nombre d’exégètes, tels que Marti, dans : Die Heilige Schrijl des Allen Testamentes, ùberselzt von E. Kautzch, 4e édit., 1922, t. ii, p. 23. Sievers. Alttestamentliche Miseellen, vi, 1907 ; Hôlscher, Die Profeten, 191 4, p. 430 sq. Bewer, The International Critical Commentait} : Obadiah and Joël, 1912, p. 49 sq. pousse le système jusqu'à distinguer trois auteurs.

Le fond commun de leur argumentation est d’attribuer uniquement à Joël la description historique du fléau des sauterelles et de rapporter à un auteur différent tous les versets qui ont une portée eschatologique ainsi que l’apocalypse qui remplit la dernière partie. Quelques auteurs invoquent en outre des différences de style. Le premier morceau serait poétique, le second serait écrit en prose.

Chez Sellin, Das 'Zwv Ij prophète nbuch, 1922, p.lll sq., nous trouvons cette hypothèse sous la forme la plus modérée et la plus raisonnable. Selon lui Joël a écrit les deux premiers chapitres sauf les y. ï, 15 ; ii, lb, 2a, lia, 11b et quelques mots des y. h. 20, 23, 27. Plus tard un autre prophète aurait vu dans cette description de l’invasion des sauterelles un signe précurseur du jour du Seigneur ; il aurait pour cela intercalé les versets qui viennent d'être cités et composé tout le morceau qui comprend m et iv. Pour Sellin toute la question revient donc à celle-ci : les versets qui donnent aux deux premiers chapitres une couleur eschatologique sont-ils pour des raisons sérieuses à envisager comme hétérogènes au contexte primitif ?

Au sujet du premier verset de ce genre, i, 15, Sellin dit que d’après ï, 14, il devrait être le commencement de la prière, à laquelle les prêtres invitent le peuple, mais qu’il annonce au contraire le jour de Jahvé. La prière, contenue dans lesꝟ. 16-20, serait tout autre, si i, 15, était authentique, c’est-à-dire si vraiment l’on avait attendu le dernier jugement. Mais est-ce que réellement la prière ne pourrait pas s’ouvrir par ce cri que nous lisons ï, 15 : « Ah, quel jour ! Car il est proche le jour de Jahvé ! » Et si l’invasion des sauterelles était prise pour le signe avant-coureur du jour de Jahvé, est-il tellement invraisemblable que les juifs, par suite de leur esprit matérialiste, aient exposé dans leur prière, i, 16-20, uniquement l'état lamentable du bétail et les champs ? N’est-il pas plutôt tout naturel qu’ils aient voulu attirer l’attention de Dieu sur leur misère par la description détaillée du dégât causé par les sauterelles et la sécheresse, et implorer ainsi la miséricorde de Jahvé pour qu’il éloigne le fléau et sa suite : le grand jugement ? Lu reste il n’est pas certain que les » ï, 15-20, contiennent une prière. Bien des exégètes (Knabenbauer, Wttnsche, Schegg, Keil, Schmalohr) les regardent avec raison comme une seconde description de l'état lamentable des pays, faite par Joèl pi ur rendre plus efficace l’exlr rtation au jeûne et à la prière du j 14.

L’argumentation par laquelle Sellin veut prouver que le 1. 1, 15, n’appartient pas au livre primitif, n’est clone pas concluante. Elle ne l’est pas davantage pour les f. ii, 16^20 et 11b. Car la raison principale pour laquelle il les retranche du texte primitif est le fait qu’ils contiennent également L’annonce du jour de Jahvé. Pour 16-2a il relève en outre qu’ils détruisent le mètre. Aussi longtemps que les règles de la métrique hébraïque ne sont pas établies d’une façon certaine, les arguments qu’on en tire n’ont guère qu’une valeur subjective. Du reste Sellin avoue lui-même que le schéma métrique de a, l-ll, n’est pas rigoureux. Pour b il fait remarquer comme pour ï, 15, que le