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JUSTIFICATION, THÉOLOGIE CATHOLIQUE : EXPOSÉ


extrinsèque et où tout se ramène â la non-imputation

du péché, il ne saurait être question de degrés dans la justification. Ou elle n’existe pas, ou elle est un nonlieu égal pour tous les pécheurs. Une mesure d’amnistie peut couvrir des fautes plus ou moins nombreuses et graves : en elle-même elle ne comporte pas d’inégalité. Il en va autrement dans la conception catholique, où la justification se traduit par une réalité intérieure, par une sanctification effective de l’âme qui la reçoit. Dès lors, l’inégalité est non seulement possible, mais nécessaire et normale. « Nous recevons en nous la justice, enseigne le concile de Trente, chacun selon sa mesure. » Deux causes la font varier, savoir < le Saint-Esprit qui distribue à chacun ses dons comme il le veut, 1 Cor., xii, 11, puis notre propre disposition et coopération. » Sess. vi, c. vii, Denz.. n. 789. et Cav., n. 879. Ces principes valent éminemment pour le cas de la contrition parfaite, mais aussi pour le cas des sacrements, dont l’efficacité ex opère operato se diversifie suivant les dispositions personnelles du sujet. Voir Sacrement.

3. Développement de la justification. - — En conséquence de cette inégalité initiale et sous l’action des mêmes causes, la grâce de la justification peut et doit se développer. Mais il importe ici d’en bien distinguer l’origine et le processus ultérieur.

Bien qu’elle soit l’objet d’une préparation qui dans beaucoup de cas peut être lente et progressive, la justification en elle-même, sous peine de perdre son caractère surnaturel, doit être considérée comme un acte divin qui se produit instantanément. C’est la doctrine foimelle de saint Thomas, D Ilæ, q. r.xiii, art. 7, et des théologiens modernes. Voir Grâce, t. vi, toi. 1631, et Katschthaler, op. cit., p. 271-275. Mais cette première grâce est destinée à s’accroître et dans ce sens la justification est progressive. Voir Grâce, l. vi, col. 162(5-1028. Ce progrès est souvent marqué dans l’Écriture, Prov., iv, 18 ; Eccli., xviii, 22 ; Il Cor., iv, 10 ; Apec, xxii, 11 ; II Petr.. iii, 18, et expressément enseigné au concile de Trente, c. x, Denz., n. 803, et Cav., n. 873. Est-il besoin d’ajouter qu’il n’est pas de loi plus conforme aux conditions générales de notre vie intérieure ici-bas et plus capable, en même temps qie de grandir l’homme à ses propres yeux, de stimuler ses ell’orts dans la voie du bien ?

Ce développement de la justification est dû pour une large paît aux initiatives incontrôlables et aux poussées mystérieuses de la grâce divine. Mais il dépend aussi et en même temps de notre action personnelle. Parce qu’elle a reçu une grâce de régénération et de vie, l’âme justifiée peut et doit devenir l’ouvrière de son propre perfectionnement. Obligés à faire une place aux œuvres, les protestants ne les voulaient admettre que comme signes de la justilical tion. Contre eux le concile de’fiente en marque expressément la valeur réelle : de même qu’elles préparent l’avènement de la grâce sanctifiante dans nos âmes, elles sont la cause de son développement, eau. 21, Denz.. n. 834, et « ’.av., n. 892. Voir MÉRITE.

Nulle part n’apparaît mieux l’économie du surnaturel selon l’Église catholique, qui associe l’homme à l’action de Dieu et lui accorde l’honneur, en même . temps qu’elle lui impose le devoir, d’y collaborer. Conçue dans son principe comme une grâce de régénération spirituelle, la justification devient ensuite le moyen de la réaliser par des actes effectifs. N’est-il pas écrit que le bon arbre porte "le bons fruits et que, s’il vient a être stérile, il sera coupé el jeté au feu’.'

4. Amissibililé de lu justification. Comme tout le capital spirituel de l’homme ici-bas. la grâce de la justification peut se perdre. Plus encore que la raison, l’expérience atteste la versatilité du libre arbitre. Aussi l’Écriture multiplie-t-elle les appels à la vigilance

devant le danger toujours menaçant. Et cette instabilité, en même temps qu’elle est une condition inévitable de l’épreuve présente, devient une source d’effort moral.

Il faut pour échapper à ces évidences céder à un pharisaïsme naïf comme celui de Jovinien, voir col. 1577, ou tomber dans le prédestinatianisme absolu qui fut l’erreur de Calvin. Voir Calvinisme, t. ii, col. 1405-1406. Aussi le concile de Trente se contentet-il de quelques mots pour déclarer qu’< une fois justifié l’homme peut pécher encore et perdre la grâce, » can. 23, Denz., n. 833, et Cav., n. 892. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne fut pas véritablement justifié, mais qu’il a cessé d’en remplir les conditions.

Parmi ces conditions le protestantisme ne demande que la foi. Aussi le paradoxe passionné de son mysticisme et son mépris des œuvres conduisaient-ils Luther à déclarer la grâce de la justification compatible avec les pires désordres, tant que la foi restait sincère et vivace. La doctrine catholique, au contraire, fait dépendre de nos œuvres la durée tout comme l’origine de notre justification. Ce n’est pas seulement l’infidélité, mais tout péché grave qui peut la détruire. Voir Grâce, t. vi, col. 1628-1630. En quoi l’Église manifeste une fois de plus son intention de ne pas séparer, dans l’économie pratique de notre salut, l’élément religieux de l’élément moral, et de solidariser ou, mieux encore, de fondre dans la plus intime union la grâce de Dieu et le concours de notre volonté.

Conclusion générale. — Ainsi la doctrine catholique bien comprise se présente avec un caractère de plénitude propre à satisfaire tout â la fois le philosophe et le théologien. Tandis que celui-là y peut découvrir une conception harmonieusement équilibrée de l’ordre surnaturel, celui-ci constate sans peine, par de la les déviations tendancieuses du protestantisme, les multiples attaches qui la mettent en continuité avec la révélation scripturaire et la tradition patristique. Le rapport est ici tellement direct entre la foi définie au concile de Trente et les sources du christianisme primitif, si l’on prend celui-ci dans toute sa teneur, qu’on peut â peine parler de développement, sinon au sens tout extérieur d’un progrès dans la précision des analyses et l’ampleur de la systématisation.

Sans le trouble jeté par la Réforme dans les intelligences et les âmes, l’Église n’aurait peut-être jamais eu à intervenir en matière de justification et il n’est sans doute pas de définition dogmatique qui se tienne plus près du donné traditionnel, lai plus de son auto rite surnaturelle qui fixe le croyant, la raison, l’histoire et l’expérience s’unissent pour reconnaître dans ses formules discrètes le juste milieu propre à consolider, entre les prétentions inverses d’un rationalisme areligieux et d’un mysticisme amoral, le plus précieux de l’héritage chrétien.

Bibliographie. — Sans revenir sur les sources qui ont été signalées aux endroits respectifs de cet article, ou se contentera de grouper ici les principales publications modernes qui les ont exploitées et qui peuvent, à des titres divers, permettre encore d’en tirer parti. Cette question est naturellement le Bel des protestants et e’est assez dire quelles réserves s’imposent, en ce qui concerne la doctrine catholique, à l’égard de travaux toujours plus ou moins inspirés par les préjugés confessionnels.

I. Histoire de la doctrine : fin ois <i m h mi Une.doctrine aussi complexe que celle de la justification n’est guère susceptible d’être traitée sous forme de monographie. Mais elle tient une grande place :

1° Dans les histoires, surtout protestantes, du dogme de lu Rédemption. La plus complète a cet égard est Albert Rltschl, Die christliche Lettre von der Rechlfertigung und

Versôhnung, lîonn. Il’édit., 1889, I. i. On trouve aussi de

précieux renseignements, pour l’Allemagne, dans Chr. Baux,