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JUSTIFICATION, THÉOLOGIE CATHOLIQUE : EXPOSÉ


peculiari voluntate quasi cooperaliva Dei ad remissionem peccaii. — Contre ces diverses nuances du nominalisræ l'école thomiste soutient que l’opposition entre le péché et la grâce est l’ondée sur la nature même des choses et que, dès lors, la justification a pour terme nécessaire une véritable rémission des péchés. Voir Billot, op. cit., th. xv, p. 214-224. En plus des autorités qui l’appuient, cette conception théologique a l’avantage de s’opposer plus nettement au protestantisme et de mieux correspondre à nos manières actuelles de penser.

Quoi qu’il en soit de ces discussions spéculatives, ce qu’il importe de retenir en tout cas, c’est que, dans le plan actuel de la Providence surnaturelle, la justification du pécheur signifie la communication d’une réelle sainteté. Par où le dogme catholique, en plus de ses attaches traditionnelles incontestables, s’enracine au plus profond de la vie chrétienne.

3. Essence de la justification.

Mais encore de cette sanctification peut-on se demander quelle est l’essence intime ou, en termes d'école, le principe formel.

Du moment que la grâce est une réalité d’ordre surnaturel, il est certain que c’est en Dieu qu’il en taut chercher la source. Étant une participation à la vie divine, voir Grâce, t. vi, col. 1612-1615, elle ne peut qu'être en elle-même un bien d’ordre essentiellement divin. Voilà pourquoi le concile de Trente enseigne que la « cause formelle unique de notre justification est la justice même de Dieu. » Non pas évidemment cette justice qui est l’attribut personnel et la propriété immanente de l'être divin, mais celle qui de lui découle sur sa créature : Justifia Dei, non qua ipse justus est, sed qua nos justos jucil. Mais, comme cette vie surnaturelle nous vient dans et par le Verbe incarné, on peut et doit dire avec saint Paul, I Cor., i, 30, que le Christ est « notre justice » ou, avec le concile de Trente, sess. vi, can. 10, que notre justice est celle du Christ. Les deux principes ainsi hiérarchisés n’en font, en réalité, qu’un seul : d’après le langage de l’Apôtre, II Cor., v, 21, « dans le Christ nous sommes laits justice de Dieu. >

Cependant il ne peut en être ainsi que si cette justice devient véritablement nôtre, c’est-à-dire se réalise et s’actualise en nous. Voilà pourquoi le concile de Trente précise qu’elle nous est accordée, qua ab eo donati, que nous la recevons en nous, justiliam in nobis recipienles, que la grâce est répandue dans nos cœurs et leur devient inhérente, c. vu et can. 11. Par où il condamne la conception des protestants qui ne voulaient admettre qu’une justice imputée, c’est-à-dire n’emportant aucune modification de notre être intérieur, et concevaient tout au plus la grâce simplement comme une dénomination extérieure pour exprimer la « faveur de Dieu » à notre égard. Mais, par là-même, il semble bien écarter aussi la conception de Pierre Lombard et de quelques autres anciens scolastiques, qui n’admettaient qu’une grâce incréée. Voir Katschthaler, De gratia, Ratisbonne, 1880, p. 282-283.

Il s’ensuit donc qu’il laut considérer la grâce comme un effet créé, qui a son principe en Dieu assurément, mais qui en est distinct et se réalise mystérieusement en notre âme pour l’assimiler à Dieu. Dans ces termes généraux, Suarez estime que cette doctrine est de foi définie depuis le concile de Trente, op. cit., t. VI, c. iii, p. 12-20. Elle exprime, en tout cas, la pensée la plus cei taine de l'Église et de la théologie catholique. Le concile du Vatican se proposait de la fixer encore une fois en définissant la grâce comme un donum supernaturale permanens et in anima inhserens. Cependant, puisque l'Église s’est soigneusement abstenue d’imposer les concepts scolastiques de qualitas ou d’habitus, il s’ensuit qu’elle n’excl it pas absolument l’opinion ancienne, reprise par Petau, qui explique la grâce

par l’habitation du Saint-Esprit, à condition d’entendre que ce principe se traduit par une réalité spirituelle et permanente en nous.

C’est à la théologie de la grâce qu’il appartient de développer cette notion, voir t. vi, col. 1609"-1612. Il sullit d’en retenir ici le principe qui caractérise exactement le concept catholique de la justification et que l’on ne saurait mieux résumer que dans les termes si pleins du concile de Trente, c. xvi, Denz., n. 809, et Cav., n. 889 : « Ainsi notre propre justice n’est pas déclarée propre comme si elle venait de nous, et l’on n’ignore ni ne repousse la justice de Dieu, Rom., x, 3. Car la même justice qui est dite nôtre parce qu’elle nous est inhérente et que par elle nous sommes justifiés est aussi la justice de Dieu pane qu’elle nous est infusée par Dieu au nom des mérites du Christ. »

On s’explique par là que la justice nous soit étrangère par son origine et que saint Paul puisse la comparer à un habit dont nous sommes revêtus, Eph., iv, 24, et Gal., iii, 27, mais aussi qu’elle soit réellement devenue notre propre bien depuis que la charité de Dieu est répandue en nous. Rom., v, 5. Dans ce sens, Bellarmiii, Z)e/'(is//y., ii, 7, Opéra, t. vi, p. 227, et d’autres après lui, Katschlhaler, op. cit., p. 261-205, ont admis qu’on puisse d’une certaine façon parler d’imputation. Non pas d’une imputation tout extérieure qui ferait de la justice du Christ le principe formel de notre justification — justificari sola imputatione justilue Christi, suivant la nuance très précise du concile de Trente, can. Il — mais, si l’on peut dire, d’une imputation active qui nous communique réellement la vie surnaturelle dont le Christ est en nous l’auteur et l’agent.

Propriétés de la justification.

-Cette conception

catholique de la justification commande celle de ses caractères. Quelques mots nous suffiront, la question ayant été largement traitév à l’art. Grâce, t. vi, col. 1616-1630, dont la justification est ici particulièrement inséparable.

1. Incertitude de la justification.

En vertu de leur conception anthropocentrique, les protestants étaient obligés de dire que la justification peut et doit être connue d’une manière certaine, sous peine d'être pratiquement comme si elle n'était pas. Le drame de conscience dont le péché est la cause ne peut se dénouer que par une assurance subjective, quand la foi en est le terme, ou, sinon, par le désespoir.

Au contraire, la doctrine catholique, parce qu’elle fait consister la foi dans la soumission à Dieu et dans l’effort moral qui en est la suite logique, est bien placée pour reconnaître ce fait d’expérience indéniable que nos dispositions sont toujours imparfaites et fort au-dessous de ce que Dieu était en droit d’attendre de notre collaboration. Quelles que soient donc les garanties objectives de notre salut, il reste un aléa dans leur application subjective. Ainsi voit-on dans l'Écriture que les meilleures âmes témoignent de cette humble défiance à laquelle personne ne saurait sans une funeste illusion échapper ici-bas. Eccl., ix, 1 ; Job, ix, 20 ; Prov., xxix, 9 ; Eccli., v, 5 ; I Cor., iv, 4 ; Phil., ir, 12. La raison théologique de son côté montre que la grâce n’est pas affaire d’expérience. Billot, op. cit., p. 207-208. Il n’y a aucun moyen d’excepter de cette règle la première grâce ou le fait même de la justification. C’est pourquoi il faut dire que la justification ne peut pas être connue d’une manière absolument certaine, bien qu’on la puisse conjecturer par des indices suffisants pour nous en donner une certitude morale. Voir Grâce, t. vi. col. 1616-1626. Ainsi se concilie la souveraine sainteté de Dieu, qui doit toujours nous inspirer une crainte salutaire, avec le besoin de confiance qui est une loi de notre vie.

2. Inégalité de la justification. '- Dans le système protestant, où la grâce de Dieu n’esl qu’une faveur