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JUSTIFICATION, THÉOLOGIE CATHOLIQUE : EXPOSÉ


On est donc suffisamment’fidèle à la pensée de l’Église en restant dans l’ordre des réalités morales. Dans ce sens on peut tout au plus accorder aux œuvres de l’homme un mérite de congruo. Cette position de l’ancienne école franciscaine est aujourd’hui adoptée par les théologiens de la Compagnie de Jésus. Voir Chr. Pesch, Prælect. dogmat., Fribourg-en-B., 1897, t. v, p. 197 et Hurter, Theol. dogm. compendium, 10e édit., 1900, t. iii, p. 134. Mais les écoles thomistes et augustinienne s’en tiennent généralement à la doctrine de saint Thomas, Ia-IIæ, q. cxiv, a. 5, qui n’admet pas de mérite à l’égard de la première grâce. Voir Bartmann, Lehrbuch der Dogmulik, Fribourg-en-B. , 1911, p. 486.

Diverses questions ont encore été soulevées dans l’École sur les rapports de l’acte de contrition et de l’acte de charité, c’est-à-dire exactement sur le point de savoir si la dernière préparation à la grâce relève déjà de la grâce habituelle ou d’un secours divin spécial. Saint Thomas se rattache à la première conception, tandis que Suarez défend la seconde. La controverse est exposée à l’art. Grâce, t. vi, col. 1630-1633, ainsi que les raisons qui militent pour l’opinion de saint Thomas.

Ces discussions subtiles auxquelles se complaisait le génie de l’École supposent acquise cette vérité fondamentale qu’il dépend de l’homme de se disposer à la justification par une préparation effective. Préparation, on ne saurait trop le redire, qui s’accomplit sous l’action de la grâce actuelle, mais qui associe l’homme à Dieu en vue d’aboutir à la grâce sanctifiante qui est le terme normal de cette collaboration.

Nature de la justification.

Ainsi préparée, la

justification ne peut être logiquement qu’une grâce de régénération intérieure. C’est, en effet, le point par où la doctrine catholique se distingue le plus fondamentalement de la Béforme.

1. Notion générale de la justification.

On s’est donné autrefois beaucoup de peine chez les protestants pour établir que, d’après l’Ancien Testament, la justification est une métaphore empruntée à l’ordre judiciaire et dont, par conséquent, l’application à l’ordre spirituel ne comporterait pas une modification réelle de l’âme qui en est l’objet. Toute la question, dès lors, semblait être de savoir si saint Paul avait ou non conservé ce sensus jorensis. Ces préoccupations peuvent se comprendre dans une théologie où la lettre de la Bible était censée dire le dernier mot de tous les problèmes : elles s’évanouissent dans une vue intégrale de l’économie de la divine révélation telle que l’Église l’a toujours professée.

Il est clair, en effet, que, d’une manière générale, l’Ancien Testament ne donne des mystères divins qu’une idée encore imparfaite et n’est, dès lors, pas qualifié pour fournir la clé du christianisme. Bartmann, op. cit., p. 475. On tiendra compte également que les images de l’ordre humain sont à la fois nécessaires et inadéquates pour traduire les réalités divines : ce n’est donc pas, en bonne méthode, celles-ci qu’il faut ramener à celles-là, mais inversement celles-là qu’il faut interpréter à la lumière de celles-ci. Si l’on se place sur ce large terrain, n’est-il pas incontestable que, même dans l’Ancien Testament, les justes apparaissent comme l’objet des complaisances de Dieu ? A plus forte raison en est-il ainsi dans le Nouveau Testament, où une mystique solidarité assimile les croyants à la personne et à la vie même du Christ. Et l’on sait que ce mysticisme n’a pas eu d’interprète plus éloquent que saint Paul. Or ces données religieuses ne se comprendraient pas si elles ne correspondaient à une réalité. Toute autre conception est Inacceptable tant du côté de Dieu que du côté de’homme.

S’il est vrai que la justification consiste en ce que Dieu prononce qu’une âme est juste, comment imaginer qu’il soit dupe d’une fiction ? Non seulement il y a là un anthropomorphisme enfantin, mais, dès lors qu’il s’agit du Tout-Puissant devant qui tous les cœurs sont ouverts, une véritable absurdité. Aussi les protestants sont-ils amenés à concevoir que le jugement divin ne peut qu’être secundum veritatem.

On a vu également que, pour être acquise à une âme, la grâce divine doit normalement être préparée par un effort de sa part. Comment échapper à l’évidence que cette préparation indispensable est déjà un commencement de la justification qui en est le tenuet que celle-ci couronne et consacre l’œuvre spirituelle esquissée par celle-là ? La conclusion est particulièrement rigoureuse dans la conception catholique, où la préparation humaine signifie un exercice complet de toutes nos puissances de vie morale. Mais elle ne s’impose pas moins dans la conception protestante, où la foi requise s’entend d’une foi vivifiée par le repentir et l’amour. L’imputation pouvait avoir un sens dans le mysticisme radical de Luther, où la foi n’était qu’un simple sentiment de confiance en Dieu. Ce qui lui permettait d’aboutir à ce paradoxe que nous sommes a la fois justes et pécheurs. En reculant devant cette extrémité, ses disciples ne peuvent pas échapper à cette conséquence qu’au moment où Dieu nous déclare justes cette justification est déjà nécessairement réalisée en nous.

Quant à distinguer avec l’orthodoxie protestante moderne deux moments théoriques : l’un qui serait la justification, acte purement déclaratif et judiciaire, l’autre la sanctification proprement dite, ce n’est plus qu’un artifice pour sauver les apparences d’un système dont on abandonne toute la réalité. « L’Église catholique, dit avec raison Bossuet, ne comprend pas cette subtilité superflue. Elle procède plus simplement : elle recherche les Écritures avec les anciens docteurs orthodoxes et elle n’y remarque aucune raison sur laquelle cette distinction puisse être fondée. » Rêfu’ation du catéchisme de Ferry, Ve partie, sect. ii, c. m. Œuvres, t. xiii, p. 399 ; cf. Réflexions sur l’écrit di Molanus, t. xvii, p. 560.

Voilà pourquoi la logique et la mystique sont d’accord pour définir la justification comme une modification réelle de notre état spirituel : Translalio abe i statu in quo homo nascitur filius primi Adx in statum gratin 1 et adoptionis filiorum Dei per secundum Ad i n Jesum Christian s : di>alorem nostrum, ainsi que s’exprime le concile de Trente, sess. vi, c. iv, Denz., n. 796, et Cav., n. 876. Formule qui, prise au sens actif, exprime l’acte divin qui nous justifie et, au sens passif, la réalité spirituelle qui en est le résultat. Elle répond à celle de saint Thomas, Ia-IIæ, q. cxiti, a. 1 : Transmutatio quædam de statu injustitiie ad statum jusliliie, et tout de même à celle de saint Augustin, De spiritu et litlera, xxvi, 45, P. L., t. xiiv, col. 228 : Quid est enim aliud justificali quam justi facli abe > scilicel qui justi ficat impium (Rom., iv, 5), ut ex impiu fiât jus tus ? Ce réalisme ainsi affirmé à travers les âges est l’expression même du sens chrétien tel qu’il s’impose à tout esprit que les systèmes préconçus ou les passions confessionnelles ne font pas dévier.

2. Effets de la justification.

Sur la base de cette donnée fondamentale, la justification se décompose en deux actes distincts au moins en théorie : rémission du péché et infusion de la grâce, dont le commun résultat est une transformation réelle de notre état spirituel.

a) Rémission du péché. — Puisqu’on suppose, par hypothèse, le péché comme point de départ, le premier effet de la justification doit être de le faire disparaître.

Quelques textes exclusivement retenus et tendan-