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JUSTIFICATION, DOCTRINE CATHOLIQUE : EXPOSÉ


C’est ce qu’enseigne le concile de Trente en rappelant que la liberté de l’homme doit donner à la grâce son assentiment et sa collaboration : eidem gratiae libère assenliendo et eooperando disponuntur. Denz., n. 797, et Cav., n. 877. Où l’on peut observer que les deux termes employés par le texte conciliaire sont intentionnellement progressifs pour mieux marquer l’étendue de notre concours, lequel ne consiste pas seulement à recevoir la grâce (assenliendo). mais à la faire efficacement fructifier (eooperando). Sous l’action de Dieu, c’est donc toute une vie morale qui peut et doit se développer dans le pécheur en vue de le disposer à la giâce de la justification.

Rien de plus conforme aux données de la révélation qu’une préparation humaine ainsi conçue. A titre d’indication, le concile rappelle que, s’il est des textes scripturaires, comme I.ament., v, 21, qui soulignent l’action prévenante de la grâce, il en est d’autres qui professent non moins nettement notre liberté. « Convertissez-vous vers moi et je me convertirai vers vous, » dit Jahvé, dans Zacli., i, 3. D’une manière générale, la prédication des Prophètes, comme d’ailleurs celle du Christ et des Apôtres, ne se résume-t-elle pas dans l’appel à la pénitence, c’est-à-dire au redressement effectif des sentiments et de la conduite ? S’il promet la régénération par la vie dans le Christ, le christianisme aussi, par un cercle qui n’a rien de vicieux, la suppose déjà commencée dans l’âme qui en doit recevoir le bienfait. Il s’agit de pleurer ses fautes comme la pécheresse, de réparer ses torts comme le publicain, de se retourner vers Dieu comme le prodigue ; pour tous, en un mot, de t faire la volonté du Père. » Matth., vii, 21. Quiconque est animé de ces dispositions n’est « pas loin du royaume de Dieu. » Marc, xii, 34.

De cette pédagogie élémentaire le principe rationnel est bien dégagé par saint Thomas. « La justification de l’impie s’accomplit par le fait que Dieu meut l’homme à la justice… Mais Dieu meut toutes choses selon la nature de chacune… Or l’homme a dans sa nature d’être libre. C’est pourquoi, dans un être doué de libre arbitre, la motion divine vers la justice n’a pas lieu sans une impulsion donnée à son libre arbitre. Dieu donc infuse de telle façon le don de la grâce justifiante qu’il imprime en même temps dans le libre arbitre un mouvement pour l’accepter. » Sum. theol., la Hæ q. cxiii, a. 3. Et s’il en est ainsi pour recevoir le don de la grâce, à plus forte raison pour s’y disposer. Ibid., q. exii, a. 2. On s’explique par là l’accueil différent fait à la prédication de l’Évangile. Suarez, .Z)e gratia, t. VIII, c. vi, 9, Opéra, t. ix. p. 336.

Chaque fois qu’on parle de cette préparation humaine, les protestants affectent de redouter qu’on ne fasse tort aux mérites souverains du Christ. Mais il était dans l’ordre que la grâce de la rédemption nous fût appliquée moyennant notre part de libre concours. « Par sa passion, explique saint Thomas, le Christ nous a délivrés de nos péchés par manière de cause… Car la passion du Christ précède comme une sorte de cause universelle de notre pardon ; mais il est nécessaire qu’elle soit appliquée à chacun pour la rémission de ses péchés personnels. » Sam. Iheol., Illa, q. xlix, a. 1, ad 2ume t 3uiu. Et cette application demande que nous soyons configurés à sa passion. assimilés à son corps mystique, en un mot pénétrés de son esprit. Ibid., a. 3, ad 2um et 3um.

Tout cela suppose que le péché laisse intactes les forces vives de notre âme. L’Eglise a toujours professé ce minimum d’optimisme spirituel et le concile de Trente en défend le principe contre le pessimisme radical de la Réforme. Dès lors, si nous sommes capables de quelque bien, il est normal que nous soyons invités à le fournir et il y a une vue psychologique des plus

profondes, en même temps que des plus salutaires, dans cette idée de l’homme travaillant sous l’action de la grâce à sa propre régénération. Le surnaturel selon la pensée de l’Église comporte une exaltation et, par conséquent, une utilisation de la nature. Toute autre conception n’est pas seulement une diminution spéculative de la dignité humaine, mais une atteinte grave portée à la valeur morale du christianisme.

3. Part de l’homme : Application. — De ce principe l’application est une simple affaire de psychologie religieuse qui ne saurait guère offrir de difficultés.

a) Rôle de la foi. — La première de ces dispositions est évidemment la foi.

Tout ce que les protestants ont dit de son importance et des textes scripturaires qui l’exigent peut et doit être retenu comme un élément positif de la révélation divine. Voir Foi, t. vi, col. 512-514. La foi est, d’après le concile de Trente, humanæ salutis initium. fundamentum et radix omnis juslificationis. Sess., vi, c. viii, Denz., n. 801, et Cav., n. 881. La raison en est, comme l’expose saint Thomas, qu’elle est logiquement et réellement le premier mouvement de l’âme vers Dieu. « Il faut pour la justification de l’impie un mouvement du libre arbitre, en tant que l’âme de l’homme est mue par Dieu. Or Dieu meut notre âme en la tournant vers lui-même…, et c’est pourquoi il faut pour la justification de l’impie un mouvement de l’âme en vue de se tourner vers Dieu. Or ce premier mouvement se fait par la foi, selon ce mot de l’épître aux Hébreux, xi, 6 : « Quand on s’approche de Dieu, il faut d’abord croire qu’il est. » Sum. theoi, D II », q. cxiii, a. 4. Voir Infidèles, t. vii, col. 1758-1827.

Par cette foi il faut entendre, non pas un sentiment personnel de la miséricorde de Dieu, mais l’adhésion au message divin de la révélation. Assurément cet acte ne peut aller sans des dispositions du cœur où la confiance a sa part : l’Église et la théologie lui maintiennent néanmoins un caractère essentiellement intellectuel. Voir Foi, t. vi, col. 56-84. La foi qui sauve est éminemment théocentrique et signifie la soumission de notre raison créée à la suprême autorité divine. Conc. Vatic., Const. Dei Filins, c. ni, Denz., n. 1789, et Cav., n. 145-147. Sinon on aboutit au fidéisme moderne où la foi n’est plus qu’un vague sentiment religieux sans aucun élément de croyance proprement chrétienne.

Néanmoins, parmi les vérités révélées et les promesses divines que nous devons croire, se trouve « surtout, celle-ci : que Dieu justifie le pécheur par sa grâce. » Principe général qui est évidemment susceptible d’une application personnelle. Aussi y a-t-il place pour un acte subjectif où le pécheur s’élève à « la confiance que Dieu lui sera favorable à cause du Christ. » Conc. Trid., sess. vi, c. vi, Denz., n. 798, et Cav., n. 878.

b) Rôle des œuvres. — Mais la foi ne saurait aller sans les œuvres. « Il est facile de se rendre compte que la foi tend nécessairement à devenir pratique… Comment, en effet, quelqu’un pourait-il croire que le Fils de Dieu fait homme est mort pour expier nos péchés sans être en même temps pénétré d’un très vif sentiment de contrition, et comment un tel désir pourrait-il être sincère s’il ne conduisait pas à l’aire des actes de pénitence ? … Enfin comment croire à l’incarnation et a la rédemption du Christ sans être pénétré pour lui d’un sentiment d’amour’?… La foi conduit donc d’elle-même à l’action, c’est-à-dire à la pénitence, à l’espérance, à l’aniouret à toutes les œuvres intérieures et extérieures que dictent de telles dispositions… Une foi qui ne contiendrait pas en elle-même tout au moins l’exigence de l’action ne serait pas la vraie foi. » Voila pourquoi « le chemin qui mène à la justification, c’est la foi et la charité jointes ensemble, réunies comme