Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/398

Cette page n’a pas encore été corrigée
2205
22
JUSTIFICATION, THEOLOGIE PROTESTANTE MODERNE
» 

œuvres, » un développement psychologique d’où il appert que la foi est « une œuvre aussi, la première des œuvres, l’œuvre des œuvres pour ainsi dire…, un acte qui contient tous ceux qu’il faut faire, qui exclut tous ceux dont il faut s’abstenir. » p. 300. Cf. J. F. Astié, Les deux théologies nouvelles, Paris, 1862, p. 277-280.

En France, Edm. de Pressensé a consacré son éloquence et sa piété à la défense des mêmes conceptions. Pour lui, l’appropriation du salut réclame 1’ « assimilation au Christ, » autrement dit un « douloureux travail de sanctification. » Sans doute cette appropriation se fait par la foi. s Mais cette foi justifiant ; est déjà sanctifiante, elle implique la renonciation au mal et l’entrée dans une voie nouvelle ; elle est repentir et amour, et, par conséquent, elle a été précédée par des actes libres, par des déterminations de volonté. > Op. cit., p. 105-106. Il est vrai que l’auteur tient à se distinguer du concile de Trente en ce que « cette régénération commencée » est seulement un « moyen pour nous de saisir sérieusement le sacrifice parfait de la rédemption. » Mais, dès là que ce moyen est « le seul », autant dire qu’il a une valeur causale et, s’il subsiste encore des différences avec la doctrine catholique, comment n’être pas plutôt frappé des convergences réelles qui tendent à s’établir sous la diversité des mots ? La foi qui justifie, pour M. Jean Monod, est pareillement « la foi vivante qui porte en elle le principe des bonnes œuvres. » Encycl. des sciences religieuses, art. Foi, t. v, p. 7.

En Suisse, un exégète de grand crédit, Fréd. Godet, ne veut pas non plus entendre parler d’une opposition entre saint Paul et saint Jacques. Éludes bibliques, Paris, 1874, t. ii, p. 255-260. Pour les concilier, il distingue « la justification d’entrée », dont parlerait saint Paul et qui s’obtient par la seule foi, de la justification finale, qui comporte les œuvres et à laquelle s’attache saint Jacques. Ibid., p. 260-267. Ainsi s’établirait « la vérité simultanée des deux formules. » D’autant que l’œuvre, pour Jacques, est « celle qui est accomplie en état de foi, » et que, « aux yeux de Paul, l’élément actif de l’âme, la volonté, est compris dans la notion de la foi, » c’est-à-dire que « l’œuvre émane spontanément de la foi dans laquelle elle est virtuellement renfermée comme la conséquence dans son principe » et qu’il n’y a de foi efficace que « celle de la conscience embrassant l’homme complet et opérant par la volonté. » Ibid., p. 265-267. Voir du même auteur le Commentaire sur l’Épîlre aux Romains, Paris, 1879, t.. i. p. 311-130.

Tout en critiquant cette distinction d’une double justification, op. cit., t. iv, p. 4Il et 417-419, Aug. Grétillat ne laisse pas d’en tenir compte, puisque les œuvres doivent intervenir dans l’appréciation de la personne morale au jugement, p. 422. Pour sa part, il se rallie sans doute à la « doctrine de l’imputation », p. 388. et tient, en conséquence, que « la justification est un acte déclaratif ou forensique résidant en Dieu et non pas un effet se réalisant en l’homme, » p. 392. Tous traits, semble-t-il, de la plus scrupuleuse orthodoxie protestante. Cependant cette justification, à son sens, doit avoir, non seulement unellet négatif ou rémission des péchés, mais un effet positif, qui est de « réhabiliter l’homme dans son droit primitif, fondé d’ailleurs comme tout droit de l’homme sur la grâce divine qui l’a institué et qui le restitue : le droit de filiation, » d’où suit le libre accès auprès du Père et « la réceptivité rendue à l’homme pour tous les dons de Dieu, p. 400. La justification ainsi conçue s’obtient par la foi ; néanmoins cette foi se traduit par « une appropriation personnelle de la justice de Christ, » p. 403, c’est-à-dire, en somme, par « une œuvre », p. 413, mais qui tire sa valeur de l’objet qu’elle s’approprie et dont le Christ qui en est le terme supplée l’imperfection,

p. 416-417. Dans le moule des anciennes formules un esprit nouveau, ou, plus exactement, le vieil esprit catholique, n’est-il pas évidemment jeté ?

<) Angleterre. — On retrouverait la même tendance chez de notables représentants de l’anglicanisme moderne, sauf qu’en général l’attachement aux formulaires du xvi 1’siècle y est moins prononcé. Voir, par exemple, J. Macleod Campbell, The nature of the alonemenl, l re édit., 1855, cité d’après la 6e édit., Londres, 1906, p. 80-92 et 333-310 ; R. V. Monsell, The religion of Rédemption, l re édit., 1866, cité d’après l’édition populaire, Londres, 1901, p. 219-254 ; J. Scott Lidgett, The spiritual principle of the atonemenl, Londres, 1897, p. 398-409 ; R. C. Moberly, Alonemenl and personalitg, Londres, 1907, p. 136-153 et 277-285 ; J. Denney, The Christian doctrine of reconciliation, Londres et NewYork, 1918, p. 286-332 ; P. L. Snowden, The atonement and ourselues, Londres, 1919, p. 191-264. D’aucuns mêmes deviennent nettement agressifs à l’égard de l’ancienne orthodoxie : tels l’évêque Forbes, qui, au cours d’une explication des trente-neuf articles, dénonce la 8 grave erreur » commise par Luther dans son insistance sur la justification forensique et l’inutilité des œuvres. A cette doctrine classique une autre est opposée, qui présente la justification comme a certain supernatural change. « Changement » qui consiste en ce que « nous sommes rétablis dans la grâce de Dieu, en ce que nos péchés nous sont remis et nos âmes renouvelées. » Exposé dont on a pu dire avec raison « que le retour au point de vue romain y est incontestable. » Grensted, op. cit., p. 268-269. D’une manière générale, la caractéristique de la théologie récente, ibid., p. 363, serait que « la justification, quelque distincte qu’elle puisse être en stricte logique de la sanctification, ne peut pas, en fait, être séparée d’elle sans devenir une abstraction sans valeur. »

Ce n’est pas, bien entendu, que les théologiens protestants de toutes confessions et de tous pays renoncent à la justification par la foi, qui fut le mot d’ordre de la Réforme, et ne S2 fassent, en général, de cette formule une arme contre les doctrines romaines. Mais, pour tout observateur impartial, l’examen objectif des faits montre cjue ces polémiques portent à faux et que les anciens vocables conservés par habitude recouvrent un tout autre contenu. Déjà signalé par Môhler, Neue Unlersuchungen, 1872, p. 216, ce fait est reconnu par des protestants eux-mêmes. « On est en droit de publier ouvertement que, dans la conscience protestante aujourd’hui régnante, la direction semipélagienne du dogme catholique est plus sensible que la conception de la Réforme dans son austère majesté. D’où il est arrivé que les théologiens protestants de nos jours, et de ceux qui s’estimaient les porteurs du pur luthéranisme, ont présenté comme la foi justifiante celle-là précisément qui agit dans l’amour, conformément au concept scolastique de la fides formata, et l’ont opposée à un prétendu dogme catholique de la justification par les bonnes œuvres. » K. Hase, Handbuch der protestantischen Polemik, 7e édit., Leipzig, 19d(i, p. 2(51-262. « La théologie croyante moderne ne peut pas s’empêcher de reconnaître que sa doctrine de la justification est substantiellement d’accord avec la conception romaine et mystique. » Fr. Ad. Philippi, Kirchliche Glaubenslehre, Stuttgart, 1867, t. v, p. 203. Cf. R. Bartmann, Lehrbuch der Dogmalik, Fribourgen-B. , 2e édit., 1911, p. 482-483.

Ainsi, pour le dogme de la justification comme pour celui de la rédemption qui en est la base, voir J. Rivière, op. cit., p. 498-548, c’est à rencontre de leurs symboles les plus officiels et dans le sens de la tradition de l’Église toujours méconnue que, par la force des choses, s’orientent aujourd’hui les théologiens pro-