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JUSTIFICATION, THÉOLOGIE PROTESTANTE MODERNE


-courant de mysticisme, dont J. Arndt fut l’initiateur, voir 1. 1, col. 1983-1984, Spener le théologien, et qui est Allé se développant à travers les xviiie et xixe siècles. Voir A. Ritschl. op. cit., p. 347-363 et 588-606. On y prônait la vie intérieure et l’union avec le Christ comme étant la marque du vrai christianisme et, pour les alimenter, on ne craignait pas de revenir aux sources et aux pratiques de la piété médiévale. Cette tendance ne pouvait que se répercuter sur la doctrine de la justification au détriment du vieux dogme protestant. L’importance de ce mouvement ressort de la grande place qu’il tient dans V. Gass, Geschichte der prot. Dogmatik, t. ii, p. 374-499, et t. iii, p. 12-104.

Un adversaire orthodoxe, G. Thomasius, Christi Person und Werk, t. ii, p. 458, marque en ces termes la principale influence de cette école. « On y mettait sur la vivacité et l’activité de la for un accent tel qu’il pouvait sembler que ce n’est plus la foi comme telle, mais la pénitence qui l’accompagne et la charité qu’elle contient qui serait l’élément justificateur. » « Plus on attache d’importance à l’effort subjectif de la foi, écrit de son côté A. Ritschl, op. cit., p. 363, plus il -apparaît clairement que le jugement divin qui prononce notre justification n’est que la consécration de la valeur représentée par cette foi. » En conséquence, les théologiens de cette école, Schwenkfeld, Weigel, Bôhme, Dippel et, en Angleterre, les Quakers, s’élèvent contre la conception d’une justice imputée et la veulent remplacer par une régénération spirituelle dont le Christ serait en nous l’auteur. Voir Chr. Baur, Die christliche Lehre von der Versôhnung, Tubingue, 1838, p. 459-477. Cf. A. Ritschl, op. cit., p. 360-362.

2. Rationalisme.

Tandis que le piétisme ressuscitait dans les âmes la mystique catholicisante d’Osiander, l’école de l’Au/klârung ramenait les intelligences au rationalisme de Socin. Elle refusait à la vie et à la mort du Christ toute valeur satisfactoire et ramenait toute son œuvre rédemptrice à la vertu d’un exemple. Baur, op. cit., p. 478-530, et Ritschl, p. 363-419. L’imputation de ses mérites était dès lors sapée par la base et le salut ne pouvait plus être dû qu’à nos efforts personnels, sauf que la miséricorde divine veut bien nous tenir compte d’une foi encore imparfaite comme si elle répondait à toutes les exigences de sa loi. Renchérissant encore, Kant ne voit plus dans le dogme ecclésiastique que l’expression symbolique de ce qui se passe dans l’ordre moral, où le premier mouvement de la liberté vers le bien, parce qu’il est un signe et un principe de régénération, compte déjà pour la vie dont il contient la promesse. Baur, op. cit., p. 575-580, et Ritschl, op. cit., p. 438-459.

Sous son action s’est formée, avec Flatt, Staiidlin, Tieftrunk, Sùskind, toute une école de théologie rationaliste, dont Wegscheider est resté le plus important docteur. Voir F. Lichtenberger, Histoire des idées religieuses en Allemagne, t. ii, 2e édit., Paris, 1888, p. 2830. o Le principe que nous sommes justifiés par la foi et non par les œuvres n’y a plus d’autre sens que celui-ci : c’est que Dieu ne regarde pas à nos actions isolées, mais à l’ensemble de notre intention morale, pour laquelle l’homme devient l’objet du bon plaisir divin, et cela dans la mesure où il devient moralement plus parfait. » Thomasius, op. cit., p. 458. Cf. Ritschl, op. cit., p. 477-478.

3. Libéralisme.

Cette crise de moralisme rationaliste, où tout disparaissait du surnaturel chrétien, a suscité par réaction ce mouvement complexe, où semble revivre l’esprit du piétisme mais privé de ses bases dogmatiques, et qui, sous le nom de libéralisme, domine tout le protestantisme contemporain.

Soit qu’il s’agisse, avec Schleiermacher, de la conscience du renouvellement intérieur qui accompagne Ja conversion, Baur, op. cit. p. 635-638, et Ritschl,

| op. cit., p. 531-538, ou, avec Ritschl, du sentiment que Dieu qui est un père plein d’amour est tout prêt à nous accueillir malgré nos péchés si, de notre côté, nous sommes disposés à travailler à l’œuvre de son règne, la justification n’est plus qu’un phénomène subjectif. Sur la doctrine de ce dernier, voir Die christliche Lehre von der Rechtlerligung und Versôhnung, t. iii, p. 84183 ; résumé en français par Ern. Bertrand, Une conception nouvelle de la Rédemption, Paris, 1891, p. 111139.

Aussi la doctrine classique de l’imputation y est-elle l’objet d’une critique en règle. Ritschl, op. cit., t. iii, p. 84-90 ; cf. p. 60-61 et 255-256. La justification ne saurait être qu’une modification de nos états de conscience, qu’on s’efforce de rattacher plus ou moins vaguement à l’œuvre du Christ. Voir Lichtenberger, op. cit., t. ii, p. 213-222, et Gass, op. cit., t. iv. p. 435649.

De bonne heure, le subjectivisme libéral a été importé en France. Auguste Sabatier, Les religions de l’autorité et la religion de l’esprit, Paris, 1904. p. 253403, et Eugène Ménégoz, Publications diverses sur le fidéisme, Paris, 1909-1921, spécialement t. i, p. 15-34, 259-263, 282-285 ; t. ii, p. 16-50, 390-408 ; t. iii, p. 487491 ; t. iv, p. 109-112 ; t. v, p. 182-183, en fuient d’illustres et très écoutés propagateurs. Quoi qu’il en soit des nuances qui distinguent leur pensée, ils sont d’accord pour ramener la foi à un sentiment de religieuse confiance et tous les libéraux souscriraient sans doute à la formule par laquelle Ménégoz entend concilier saint Jacques et saint Paul, op. cit., t. iv, p. 49 : « à savoir que Dieu accorde le salut à tout homme qui lui consacre sincèrement son cœur. »

4. Critique historique.

Le même auteur a écrit, op. cit., t. iii, p. 148, que « la grande ennemie de l’orthodoxie…, c’est l’histoire. » Lui-même oppose volontiers l’enseignement de Jésus à celui de ses disciples et de saint Paul lui-même, t. ii, p. 405-407, à plus forte raison à celui des Églises, t. iii, p. 489-491. Cette arme redoutable est, depuis quelque temps surtout, dirigée avec une particulière insistance contre la citadelle de l’orthodoxie.

Au cours de pamphlets célèbres, publiés en 1873 puis en 1891, P. de Lagarde en dénonçait crûment les points faibles. La doctrine de la justification, d’après lui, n’est pas l’Évangile, mais une petite découverte paulinienne due à l’esprit judaïque de l’Apôtre. Même dans saint Paul, ce n’est pas la seule ni la plus profonde manière de résoudre la question du rapport de l’homme avec sa dette de péché. Elle n’a pas été non plus le principe fondamental de la Réforme et aujourd’hui elle est entièrement morte dans’les Églises protestantes. Et cela avec raison. Car les doctrines de la justification et de l’expiation sont des mythes qui ne sont acceptables qu’à condition d’admettre le vieux dogme de la Trinité : ce qui n’est plus le cas pour personne aujourd’hui. Ueber einige Rcrliner Theologen et ivas von ihnen zu lernen ist, Gœttingue, 1897, p. 104-108. Cf. Deutsche Schriflen, Gœttingue, 1886, p. 58. On dirait que, depuis lors, divers auteurs ont pris à tâche de réaliser les diverses parties de ce programme agressif.

Des historiens de l’Église ont contesté que la justification ait été le centre de la Réforme et joué un rôle. capital dans son histoire. W. Dilthey, Gesammelte Schri/len, Leipzig, 1914. t. ii, p. 211, cf. p. 157, et J. Haller, Die Ursachen der Re/ormalion, Tubingue, 1917, p. 42. Plus graves étaient les coups portés par les exégètes au rôle joué par elle dans les origines chrétiennes. Déjà Weizsàcker ne lui accorde plus qu’un rang secondaire dans le développement de la pensée de saint Paul. Das aposlolische Zeitalter, 2e édit., Fribourg-en-B. , 1892, p. 138-139. Wrede ne lui attribue