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JUSTIFICATION, THEOLOGIE PROTESTANTE MODERNE


r. CONCLUSION. — Tels sont les principaux enseignements du célèbre décret sur la justification. Il manifeste partout l’intention d’opposer aux nouveautés de la Réforme les principes de la tradition catholique. On y trouve clairement et indubitablement exprimée la conception commune à l’ensemble de la scolastique, qui l’avait héritée de saint Augustin, sur l’essence de la justification. Loofs, Dogmengeschichle, p. (367. Voir également F. Biehler, Die Rechtferligungslehre des Thomas von Aquino mit Hinblick auf die tridentinischen Beschlùsse, dans Zeitschrift fur die kirchliche Wissenschafl und kirchliches Leben, 188C, t. vii, p. 417-434. « Mais, continue F. Loofs, le décret conciliaire est équivoque et prudemment obscur dans le détail, quand il s’agit de toucher aux difféiences qui existent entre la notion augustino-thomiste de la grâce et le néo-semipélagianisme des anciens franciscains, comme aussi de Scot et des nominalistes. » Ce qui revient à reconnaître, de mauvaise grâce, que le concile, comme il s’en était fait une loi, t. i, p. 108, n’a pas voulu trancher les questions librement discutées entre catholiques. Sur presque tous les points on a pu voir le concile s’arrêter à des formules qui planent au-dessus des controverses dont l’écho s’était fait entendre jusque dans son sein. Il faut y chercher la définition du doî-iiucatholique, non l’élaboration d’une théologie systématisée.

Ses tendances sont d’ailleurs tellement nettes que, suivant son mythe familier, F. Loofs, p. 668-669, y trouve aussitôt des traces de « néo-semipélagianisme ». C’est-à-dire que, sous l’action de la grâce divine à qui revient toujours le premier rang en matière de surnaturel, l’homme garde sa part de libre concours, soit, aux origines, soit dans tout le processus ultérieur de la justification. Pour arriver à la grâce, une préparation de notre paît est possible et nécessaire, qui met en œuvre toutes nos énergies morales ; il ne s’agit pas de croire seulement, mais d’agir en conséquence. La justification elle-même se traduit en une grâce de régénération qui vient renouveler notre être spirituel et lui donner la possibilité, en même temps que lui imposer l’obligation, de fructifier en œuvres méritoires de salut. Moyennant cette coopération, la grâce initiale se développe ; mais elle diminue si notre volonté défaut et I eut arriver à se perdre si nos actes sont gravement contraires, quitte à pouvoir se rétablir d’ailleurs par une nouvelle conversion.

Cette mutuelle interaction, dans l’œuvre du salut, de Dieu ( anse première et de l’homme régénéré par sa grâce caractérise la doctrine catholique, qui par là se place à égale distance entre le rationalisme pélagien qui supprime l’action divine et le mysticisme protestant où disparaît la collaboration humaine. De cette doctrine fondamentale on retrouve la trace à toutes les lignes du décret. Sous la pression irrésistible de leur exclusivisme confessionnel, les historiens de la Réforme prononcent volontiers à ce propos le mot de <’compromis ». Loofs, op. cit., p. 671, et Harnack, Dogmengeschichte, 4e édit., t. iii, p. 714. C’est, en réalité, d’équilibre qu’il faudrait parler, en présence d’une doctrine assez large et synthétique pour dominer tous les extrêmes et absorber les vérités partielles qu’ils contiennent jusqu’en leurs excès.

Au regard de l’histoire comme de la théologie, le mérite du concile <ie Trente est d’avoir officiellement fixé les iiK ||( s maîtresses de cette synthèse. Son œuvre

i ce point de vue est assez, heureuse pour que, malgré

tous ses préjugés, Ad. 1 larnack lui-même, » Pcit., p. 711, ne puisse lui refuser un hommage significatif. » Bien qu’il soit un produit artificiel, le décret sur la justification est, à plusieurs égards, parfaitement travaillé. On peut même douter que la Réforme se lût

développée, si ce décret avait été publié par le concile du Latran au commencement du siècle et était effectivement passé dans la chair et le sang de l’Église. »

Ce qui importe, c’est que, pour atteindre ce résultat, le concile n’eut qu’à puiser dans le trésor de l’ancienne tradition catholique. Qu’il y ait apporté les précisions rendues nécessaires par les besoins nouveaux, ce n’est pas douteux. Mais, si l’on peut noter avec Ad. Harnack, p. 693, après F. Loofs, p. 663, que la Réforme a contribué à cette « régénération du catholicisme », c’est à condition d’ajouter, pour ramener ce paradoxe historique à ses véritables proportions, que ce fut à la manière dont le mal engendre le bien, dont l’erreur sert à la manifestation plus éclatante du vrai.


V. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION DEPUIS LE CONCILE DE TRENTE.

En proclamant définitivement la doctrine de l’Église en matière de justification, le concile de Trente avait terminé la cause ; mais il était loin d’avoir, par là-même, mis fin à l’erreur. Les protestants semblent n’avoir profité du décret conciliaire que pour élaborer plus fermement, de leur côté, leur propre doctrine. Œuvre d’ailleurs laborieuse et précaire, comme toutes les entreprises tentées en vue d’aboutir à une consolidation dogmatique de la Réforme, et qui n’allait pas tarder à subir, sous l’action combinée des divergences intestines, du temps et de la critique, une dissolution progressive, qui n’en laisse presque plus aujourd’hui subsister de traces. Elle n’en a pas moins amené, par réaction, la théologie catholique à défendre ce point capital toujours menacé et à l’enserrer de plus en plus dans cette armature technique que le génie de l’École a pour mission d’élever autour des vérités de la foi.

I. Théologie protestante. —

Par suite de la place centrale que la justification a toujours occupée dans le protestantisme, l’histoire de cette doctrine se confond avec celle des mouvements théologiques et religieux qui ont successivement agité la Réforme. Il suffira d’en noter ici les traits les plus généraux.

I. ÉLABORATION DU PROTESTANTISME OFFICIEL.

— Bien que déjà constituée dans toutes ses lignes essentielles, la doctrine protestante de la justification allait prendre, à l’occasion du concile de Trente, un surcroît de précision.

Polémique anti-catholique.

Elle a tout d’abord

développé cet aspect polémique dont Luther avait marqué ses origines, que l’Apologia de Mélanchthon lui avait conservé et qui reste, sinon sa principale ressource, du moins son caractère le plus constant. Adversarii… inopes urgumentorum et divites calumniarum, faisait observer déjà Bellarmin, De justifie, i, 3, Opéra omnia, édit. Vives, t. vi, p. 152. Seulement aux pamphlets du premier jour ou aux batteries légères, improvisées plutôt pour les besoins de la propagande que construites suivant les exigences d’une méthode scientifique, allaient succéder les œuvres massives, où, pour établir la foi nouvelle sur les ruines de l’ancienne, la dialectique la plus insidieuse s’unirait à la plus imposante érudition.

1. Polémique spéciale contre le concile de Trente. — A cet égard, le décret du concile de Trente était un document dont les controversistes de la Réforme ne manquèrent pas de mesurer l’extrême importance et qu’ils ne voulurent pas laisser sans contrepoids.

Dès 1517, Calvin donnait l’exemple en publiant un volume intitulé : Acta synodi Trldeniinet evan untidoto, où sont, en effet, reproduits les décrets concilaires avec les aniinadversiones de l’auteur. Voir Joannis Calvini opéra, édition Baum, Cunitz et Reuss, t. vii,

Brunswick, L868, p. xxxiv-xxxvii pour l’histoire littéraire de l’ouvrage et col. 360-506 pour le texte. Les actes de la VI* session y tiennent naturellement la