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JUSTIFICATION, LA DOCTRINE AU CONCILE DE TRENTE


Le concours de l’homme souleva plus de discussions ; car, en vertu d’un « augustinisme mal compris », Hefner, p, 140, d’aucuns crurent pouvoir réduire cette part de notre libre arbitre. Dans les consultations préalables, quatre théologiens soutinrent, d’après le résumé de Massarelli, t. v, p. 280, quod liberum arbilrium se habet mère passive et nullo pacto active ad justificationem. Voir p. 263-264 le détail de leurs vues, qui semblent avoir été plus nuancées, puisqu’ils admettent les œuvres de l’homme, sinon comme « nécessaires », du moins comme dispositiva ou disponentia, encore qu’on ne puisse parler proprement de dispositiones effectives. Au cours des débats, l’archevêque de Sienne, François Piccolomini, s’exprima dans le même sens — omnes justificationis partes ad Christum tribuit, au rapport de Severoli — et fut, de ce chef, mal noté apud plerosque, t. i, p. 86 ; cf. t. v, p. 286. C’est assez dire qu’en dépit des augustiniens la majorité n’eut pas d’hésitation à reconnaître le rôle effectif de notre liberté.

Une fois l’accord sur le fond réalisé, la rédaction fut assez rapide. Ébauché dans le projet de juillet, c. x-xi, t. v, p. 387, le texte actuel est à peu près acquis dans celui du 23 septembre, c. vi, p. 422, qui suit en le modifiant d’une manière assez heureuse le brouillon de Séripando, p. 829. Les principaux changements qu’il reçut dans la suite n’intéressent guère que la forme : troisième personne du pluriel au lieu de la première ; suppression de quelques pléonasmes tels que præveniente (misericordia seu) gratia, per (impietaies et) peccata ; adoption pour écarter l’erreur protestante, au lieu de l’image un peu forte tamquam exanime quoddam organum, d’une formule à la fois plus philosophique et plus atténuée : ita ut… neque homo nihil omnino agat. Un seul détail touche un peu le fond : c’est l’addition à la dernière ligne, après movere se ad justitiam, des deux mots coram Deo ou plus tard coram illo. Proposée par Claude Le Jay, procureur du cardinal d’Augsbourg, à la séance du 23 novembre, p. 658 et 681, elle était encore discutée le 7 décembre, parce qu’elle paraissait exclure opéra moralia et mérita de congruo, p. 693 ; mais, le 9, l’ensemble de l’assemblée s’y montrait acquise, p. 695.

Comme ailleurs, le concile a eu soin de se maintenir ici dans la ligne des principes certains. Il affirme la nécessité de la grâce, mais sans dire le mode de son efficacité ; la possibilité et l’obligation de notre libre concours, donc la valeur de nos œuvres préparatoires à la justification, mais en évitant de prononcer, malgré l’avis favorable de la majorité des théologiens, p. 280, qu’elles constituent un mérite de congruo. Un canon primitivement prévu pour condamner la doctrine d’après laquelle nos œuvres antérieures « pourraient mériter vraiment et proprement la justification devant Dieu, » t. v, p. 426, fut définitivement écarté pour ne point heurter de front la thèse scotiste sur ce dernier point.

Des mêmes principes s’inspire le can. 4, spécialement dirigé contre les erreurs protestantes.

Si quis dixerit liberum hominis arbitrium a Deo motum et excitatum nihil cooperari assentiendo Deo excitanti atque vocanti, quo ad obtinendam justifleationis gratiam se disponat ac præparet, neque posse dissentire si velit, sed velut inanimé quoddam nihil omnino agere mereque passive se habere, anathema sit.

Denzinger-Bannwart, n. 814, et Cavallera, n. 892.

Si quelqu’un dit que le libre arbitre de l’homme mû et excité par Dieu ne coopère aucunement en donnant son assentiment à Dieu qui l’excite et l’appelle, par où il se prépare et dispose à obtenir la grâce de la justification, et qu’il ne peut pas refuser son consentement s’il le veut, mais que, à la façon d’un être inanimé, il est absolument inerte et joue un rôle purement passif, qu’il soit anathème.

Le dogme catholique de notre coopération à la grâce est fixé ; mais les divers problèmes théologiques qui s’y rattachent sont laissés à la libre discussion des écoles. Hefner, p. 146-147.

2. Question d’application.

Après avoir ainsi posé le principe de notre préparation, le concile en décrit aussitôt le mode, c. vi, Denzinger-Bannwart, n. 798, et Cavallera, n. 878.

Disponuntur autem ad ipsam justitiam dum, excitati divina gratia et adjuti, fidem ex auditu concipientes, libère moventur in Deum, credentes vera esse quæ divinitus revelata et promissa sunt atque illud imprimis a Deo justificari impium per gratiam ejus per redemptionem quae est in Christo Jesu ; et dum, peccatores se esse intelligentes, a divinse justitise timoré quo utiliter concutiuntur ad considerandam Dei misericordiam se convertendo in spem eriguntur, fidentes Deum sibi propter Christum propitium fore illumque tamquam omnis justitiae fontem diligere incipiunt ; ac propterea moventur adversus peccata per odium aliquod et detestationem, hoc est per eam pænitentiam quam ante baptismum agi oportet ; denique dum proponunt suscipere baptismum, inchoare novam vitam et servare divina mandata.

Or ils se disposent à la justice dans ce sens que, excités et aidés par la divine grâce, ils conçoivent la foi par l’ouïe et se tournent librement vers Dieu ; qu’ils croient aux vérités et aux promesses révélées par Dieu, à celle-ci surtout que l’impie est justifié par la grâce de Dieu au moyen de la rédemption qui est dans le Christ Jésus ; que, se reconnaissant pécheurs, de la crainte de la divine justice qui les frappe utilement ils en viennent à considérer la miséricorde de Dieu et s’élèvent à l’espérance, ont confiance que Dieu leur sera propice à cause du Christ et commencent à l’aimer comme source de toute justice ; que, par conséquent, ils se retournent contre leurs péchés dans un sentiment de haine et de détestation, c’est-à-dire par cette pénitence qu’il faut faire avant le baptême ; qu’ils se proposent enfin de recevoir le baptême, de commencer une vie nouvelle et d’observer les commandements divins.

Logiquement cette doctrine est précédée par celle du canon 9, dirigé contre le point central de la conception protestante. Denzinger-Bannwart, n. 819, et Cavallera, n. 892.

Si quis dixerit sola fide impium justificari, ita ut intelligat nihil requiri quo ad justificationis gratiam consequendam cooperetur, et nulla ex parte necesse esse eum su » voluntatis motu præparari atque disponi, anathema sit.

Si quelqu’un dit que l’impie est justifié par la foi seule, de telle sorte qu’il entende que rien d’autre n’est requis pour coopérer à la grâce en vue d’obtenir la justification, et qu’il n’est aucunement nécessaire qu’il se prépare et dispose par un mouvement de sa propre volonté, qu’il soit anathème.

Contre les scrupules de quelques Pères, t. v, p. 453 et 508, il fut entendu, p. 522, que ce canon ne visait aucunement le cas de ces baptêmes hâtifs, tantum christianæ credulitatis confessione clariftcata, autorisés par une fausse décrétale attribuée au pape Victor. Hinschius, Décrétâtes pseudo-Isidorianæ, p. 128. -Il ne pouvait être question ici que de condamner le dogme capital de la Béforme. Aussi, sans rien dire des spéculatifs qui tenaient à la vertu justifiante de la foi, le concile se place-t-il dans l’ordre des réalités morales, en réprouvant ceux qui donneraient la foi comme la seule condition nécessaire et suffisante de notre part. Il demande en outre « un mouvement de volonté », qui reste indéterminé ici, mais dont le chapitre vi a précisément pour but d’analyser le détail.

Une marche psychologique y est tracée, où, sous l’action antécédente et concomitante de la grâce, on voit l’âme du pécheur franchir progressivement les étapes suivantes : foi en Dieu et en ses promesses,