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JUSTIFICATION, LA DOCTRINE AU CONCILE DE TRENTE


mande et explique le premier. L’auteur invoque à l’appui de cette conception la doctrine de saint Paul sur le baptême commentée par saint Thomas : … Mortem Cliristi, passionem ac meritum nobis donari, nobis imputari in baptismale… Non quod nobis inhæreant, qui jam vivimus, sed quia nobis donantur et imputantur, f° ccvn. Et il s’applique ensuite à réduire les textes de l'Écriture qui semblent parler d’une justice qui nous serait personnelle.

Quelques mots lui suffisent pour la seconde espèce de justification, celle qui consiste dans l’accroissement de la grâce reçue. Accroissement nécessaire, et qui se fait par nos bonnes œuvres inspirées par l’esprit de charité. Cette justification, à la différence de la première, lui paraît pouvoir être dite justiftcatio operum, f° ccxi. Néanmoins Contarini n’aimait pas qu’on parlât proprement de mérite à l'égard de la vie éternelle, parce que celle-ci nous est d’abord donnée gratuitement et que nous ne pouvons acquérir de droit sur elle, de mérite secundum quid, qu’en utilisant les dons mîmes de Dieu.

Aussi fut-il d’avis qu’on devait s’abstenir d’imposer aux piotestants une expression qui les choquait et s’en expliqua-t-il, auprès du cardinal Alexandre Farnèse, dans une lettre spéciale, datée de Ratisbonne, le 22 juin 1541, qui, devenue à peu près introuvable, a été reproduite par Th. Brieger, Theol. Studien und Kriliken, 1872, t. xlv, p. 144-150. Simple résumé dans Dittrich, op. cit., p. 201-202.

2. Histoire.

Grâce à la renommée de l’auteur et au retentissement des accords de Ratisbonne qu’il avait conclus, sa doctrine attira de bonne heure l’attention. D'éminents personnages y applaudirent, tels que le cardinal Pôle. Quirini, t. iii, p. 25-28 et 53-54. Mais déjà les protestants se prévalaient de son attitude, et Jean Eck dut prendre sa défense contre Bucer dans son Apologia pro rev. et ill. princ. catholicis, Anvers, 1542, ꝟ. 145 V-157 v°. Chez d’autres, la formule de compromis trouva la plus vive opposition : ce fut, en particulier le cas pour Jérôme Aléandre, auquel Contarini jugea bon de répondre par une lettre apologétique, en date du 22 juillet 1541, dans Beccadelli, Monumenti di varia letteralura, t. i b, Bologne, 1799, p. 186-190.

Plusieurs théologiens importants exprimèrent à tout le moins des réserves dans des traités spéciaux ; par exemple Ambroisc Catharin, De perjecta jusli/icatione a fide et operibus ad G. Contarenum, 1541, p. 229 sq., et Jacques Sadolet, De justificatione, dans Beccadelli, op. cit., p. 162-167, qui écrivait à Catharin en juilletaoût 1541 : Nunquam milii persuaderi poluil /idem solam per se sine operibus bonis ad adipiscendum regnum Dci idoneam censeri debere… Mini eadem rei summa est ut judicem ad veram justificationem fidem cum operibus c&njunctam este oportere. Episl., xiv, 13, dans Opéra viiinia, Vérone, 1738, t. ii, p. 80.

Finalement le traité, qui avait paru intact dans l'édition de Paris, 1571, fut expurgé par les censeurs de l’Inquisition avant de figurer dans l'édition de Venise, 1589. Il a fallu attendre l'édition de Quirini, 1748, pour qu’en fût rétabli le texte primitif.

3. Appréciation.

Aussi le problème est-il depuis longtemps ouvert, devant l’histoire, du jugement à porter sur la tentative doctrinale de Contarini. Le cardinal Quirini ayant pris la défense de son orthodoxie, op. cit., t. iii, p. xi. i-i. iv, fut vivement con tredit par le luthérien J. R. Kiesllng, qui s’appliquait a montrer en lui un témoin de la « foi » selon la Réformei Quirini répliqua sous forme de lettres adressées à divers savants, auxquelles Kiesllng opposa de nouvelles ripostes. Et ce fut ainsi, au coins des années 1749-1753, une sorte de discussion publique, à laquelle mit fin la mort du docte évéque de Brescia.

Les lettres de Riesling sont réunies dans ses Epistolx anti-quirinianec, Altenbourg, 1765, p. 201-430, et les historiens modernes admettent, après Dôllinger, Die Reformation, t. iii, p. 312, qu’il eut gain de cause contre son adversaire. Plus récemment le procès de Contarini a été repris dans une longue étude de Th. Brieger, Theol. Studien und Kriliken, 1872, p. 87-150, qui conclut, p. 141-142, en disant que, par son fond et ses tendances, cette doctrine est « authentiquement protestante ».

Il y a plus de modération et de vérité dans l’appréciation de H. Lâmmer, qui termine une consciencieuse analyse, op. cit., p. 186-197, en faisant ressortir les équivoques de ce traité, dues à l’imprécision de la matière et au désir d’aboutir à une formule de conciliation, mais en notant aussi les points qui le distinguent de la théologie protestante. La justification y demeure une grâce de sanctification, mais beaucoup trop imparfaite, puisque tout ce qui compte, en somme, c’est l’imputation de la justice du Christ que nous obtient la foi.

Par analogie avec d’autres controverses historiques, Hefele applique à cette théorie de la double justice, telle qu’elle fut développée par l'école de Cologne, le terme de « semiluthéranisme », Hisl. des conciles, trad. Leclercq, t. vin b, p. 1247, et la formule a eu quelque succès chez les historiens postérieurs. Elises, toc. cit. p. 183. Bien que cette qualification paraisse excessive, appliquée à des théologiens qui voulaient retenir l’essentiel de la doctrine catholique et que l'Église, en somme, n’a jamais censurés, elle n’en souligne pas moins le fait d’une tendance incontestable à jeter sur le fossé qui déjà se creusait entre catholiques et protestants une sorte de pont.

C'était aussi l'époque où des mystiques encore moins pondérés tels que le Vénitien Ant. Paleario, sous prétexte de faire ressortir aux âmes le « bienfait de Jésus-Christ », parlaient de notre « impuissance » à obéir aux commandements divins, proclamaient que « Dieu nous donne le Christ et sa justice sans aucun mérite de nos œuvres, » que nous sommes justifiés « par la foi seule » et que cette conception s’impose à tous les chrétiens qui n’ont pas « des âmes hébraïques ». Trattato utilissimo del beneflcio di Giesu Christo, Venise, 1543, reproduction fac-similé de l'édition originale, Londres et Cambridge, 1855, c. ii, ꝟ. 5 r° ; c. iv, ꝟ. 29 r° et v°, ꝟ. 36 v° et 37 r° ; c. vi, ꝟ. 70 r° et v°.

Soit sous forme d’infiltrations théologiques inconscientes, soit par l’attrait suspect d’un mysticisme mal défini, le protestantisme menaçait évidemment d’introduire la confusion dans bien des esprits. Il était temps pour l'Église d’intervenir.


III. DÉFINITIONS DE L'ÉGLISE : CONSTITUTION du concile de Trente (13 janvier 1547). —

Parmi les 41 erreurs de Luther condamnées par Léon X, dans sa bulle Exsurge Domine du 15 juin 1520, aucune ne porte sur le point précis de la justification. Tout au plus les principes directeurs du système protestant y sont-ils implicitement visés dans les propositions relatives au caractère coupable de la concupiscence, n. 2-3, Denzlnger-Baruvwart, n. 742-713, et Cavallera, Thésaurus, n. 1019 et 1460, à l’extinction du libre arbitre et à la malice de tous nos actes même bons, n. 31-32 et 35-36, ibid., n. 771-776 et 869, au rôle nécessaire et suffisant de la foi dans la rémission du péché par l’absolution sacramentelle, n. 10-12 et 15, ibid., n. 750-755 et 1209, 1236.

Loin de se soumettre, Luther accentua sa révolte et la controverse ne tarda pas à taire apparaître au grand jour que la justification formait la clef de voûte du nouvel évangile. Aussi cette question allait-elle former le centre et le bloc principal des définitions que le concile de Trente opposerait à l’hérésie,