Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/372

Cette page n’a pas encore été corrigée
2153
2154
JUSTIFICATION, OPPOSITION CATHOLIQUE A LA RÉFORME


les débuts de la Réforme allemande furent marqués par un très grand débordement des mœurs. Les témoins contemporains ne manquèrent d’ailleurs pas d’apercevoir les relations de ce fait avec la doctrine de la justification par la foi. Du moment que les œuvres étaient proclamées inutiles, la logique populaire en tirait la conclusion qu’il n'était plus besoin de s’en préoccuper. Voir le dossier de textes réunis dans A. Baudrillart, L'Église catholique, la Renaissance, le Protestantisme, Paris, 1904, p. 306-329, d’après Dôllinger, La Réforme, trad. française, t. i, p. 12-177.

b) Explosion, — Cependant, malgré ces déboires pratiques, les principes restaient saufs. Ils allaient être ébranlés, jusqu'à inquiéter Luther lui-même, par un luthérien de la première heure, Jean Agricola. Voir 1. 1, col. 632-634.

On a mis en doute qu’il lût, en réalité, l’exact interprète du luthéranisme primitif. Loofs, p. 859-860. Toujours est-il qu’il a pu s’en réclamer et que la « pure doctrine » lui paraissait exiger, avec l’inutilité des œuvres, l’abolition totale de la loi pour le chrétien. D’où il concluait qu’il n’y a plus à prêcher la loi, mais seulement l'Évangile, et son enseignement trouva un écho favorable en divers milieux allemands.

Luther, qui commençait à constater les ravages contagieux de ï'inconduite dans son troupeau, ne pouvait rester insensible devant une doctrine qui risquait de la favoriser en lui donnant un fondement spéculatif. C’est pourquoi l’antinomisme d’Agricola deva’t lui paraître un danger.

Un premier conflit mit aux prises Agricola et Mélanchthon, qui se termina, sur l’intervention irénique de Luther, par la conférence de Torgau (26-28 novembre 1527). Dix ans plus tard, Agricola reprenait ia propagande de ses doctrines sur la loi, en visant cette fois Luther en personne. Celui-ci se défendit par deux sermons en date du 1 er juillet et du 30 septembre 1537, puis par des discussions académiques, d’abord modérées, mais qui ne tardèrent pas à devenir violentes, Drews, Disputationen M. Luthers, p. 249-484, où il dénonçait l’erreur criminelle des antinomistes. Une réconciliation momentanée eut lieu le 30 octobre 1537. Mais la controverse reprit de plus belle entre les deux réformateurs en 1538, puis encore en 1539-1540 : ce qui amena Luther à soutenir de nouvelles thèses et à publier son petit traité Contre les antinomistes (janvier 1539), édition de Weimar, t. l, p. 461-477. Agricola finit par se soumettre, mais sans guère renier ses principes, dont nous retrouverons l’influence quelques années plus tard. Les principaux documents de la controverse sont publiés dans C. E. Fôrstemann, Neues Urkundenbuch zur Geschichle der evang. KirchenRe/ormalion, Hambourg, 1842, t. i, p. 291-356. Ils sont utilisés dans G. Kawerau, Johann Agricola, Berlin, 1881, p. 168-222, repris par le même auteur dans Beilrâge zur Rclormationsgeschichle, Gotha, 1896, p. 6080 ; résumés dans Realenajclopâdie, art. Agricola, et Antinomistische Streitigkeilen, t. i, 3e édit., p. 249253 et 585-590.

Cet épisode de la première Réforme fournit en général aux théologiens protestants l’occasion de célébrer la victoire de Luther sur le « faux esprit évangélique ». J. Kôstlin, op. cit., t. 1, p. 400-402. Il est peutêtre plus intéressant et plus révélateur, pour l’histoire, de voir l’initiateur de la Réforme réagir contre ses propres principes, aussitôt que la logique intransigeante de quelques extrémistes les poussa jusqu'à leur plein épanouissement.

4. Doctrine caluiniste.

On ne trouve pas les mêmes déchirements ches : les réformés, parce que la place y fut toujours plus nettement faite aux œuvres humaines dans l'économie du salut. Par où ils accusent

un nouveau trait de différence avec le luthéranisme strict. Après Schneckenburger, op. cit., t. ii, p. 91, il est assez couramment admis, chez les protestants, « que l’une des deux Églises a plus insisté sur la justification et l’autre sur la sanctification. » A. Matter, art. Justification, dans Encycl. des se. relig., t. vii, p. 569.

F idem oporlel esse fontem operis, professait déjà Zwingle, et il estimait paradoxal qu’on ait pu dire omne opus noslrum esse abominationem. Pourvu que nos œuvres soient inspirées par l’esprit de foi et rapportées à Dieu par l’humilité, elles sont, non seulement utiles, mais nécessaires. Si fidèles sint, opère sese nobis probent esse fidèles ; fidem sine operibus (urgemus) morluam esse…, in Christo nihil valere nisi fidem quæ per caritatem operatur. Expos, christ, fidei, dans Niemeyer, p. 57-59. Sur quoi Môhler, op. cit., p. 204, a noté que Zwingle expose ici la doctrine protestante d’une manière inexacte : il serait plus juste de dire qu’il en représente une très intéressante variété.

On la retrouve à peu près identique chez Calvin. Fatemur quidem cum Paulo non aliam fidem iustificare quam illam caritate efficacem. Inst. chr., édit. de 1539, x, 11, Opéra, 1. 1, col. 743. Et plus loin : Non enim aut fidem somniamus bonis operibus vacuam, aut juslificationem quæ sine eis constet. Mais il ajoute aussi par manière de précision : Hoc tantum interest quod, quum fidem et bona opéra necessario inter se cohserere faleamur, in fide tamen, non in operibus justificationem ponimus. Ibid., 57, col. 776 ; cf. col. 743 : Abrilla caritatis efficacia justificandi vim (fides) non sumit. C’est assez dire que nous sommes toujours sur le terrain fondamental de la Réforme ; mais n’est-il pas significatif que la justification par la foi se réduise ici à une simple distinction formelle dans un acte total où les œuvres ont nécessairement leur part ?

Sans exagérer la portée de ces dissentiments, qui laissent subsister le plus complet accord dans une commune opposition à la tradition catholique, on n’en saurait méconnaître la réalité. Ils commencent dès la première heure la longue série de ces « variations » dont si justement les controversistes catholiques se plairont toujours à tirer parti.


II. RÉACTION DE LA THÉOLOGIE CATHOLIQUE. —

Ces critiques et ces nouveautés de la Réforme naissante ne restèrent pas sans réponse. Les défenseurs de la cause catholique s'élevèrent en nombre, dont l’effort prépare avec plus ou moins de bonheur et, par conséquent, conditionne dans une large mesure l’oeuvre du concile de Trente. Par suite de ces répercussions ultérieures un certain intérêt s’attache aux solutions, même imparfaites, que le problème central de la justification fit naître, au cours de cette controverse, dans l’esprit des théologiens qui improvisèrMit alors la défense de la foi.

I. DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE.

A côté des

points qui avaient plutôt trait à l’ordre pratique, le thème spéculatif de la justification est entré pour sa part dans les premières controverses. Dôllinger, Die Rejormation, t. iii, p. 277, estimait que l’importance de cet article ne fut pas bien aperçue par les théologiens catholiques jusqu'à la Confession d’Augsbourg. Ce jugement a été rectifié, sur une étude plus complète des sources, par H. Lâmmer, Die vortridentinischkatholische Théologie, Berlin, 1858, p. 176-177. Sans méconnaître les développements et les précisions que cette question devait recevoir dans la suite à l’occasion des colloques où s’affrontèrent les deux confessions, les faits permettent d’affirmer que les positions fondamentales de la théologie catholique furent prises dès le début.

Premières controverses.

 Il y a seulement lieu

d’observer que les premiers adversaires du protestan-