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JUSTIFICATION, DOCTRINE DE LA RÉFORME


imputée. — Même sur ce point capital l’unité des vues ne serait pas absolument parfaite parmi les premiers réformateurs.

1. Chez les Luthériens.

On a vii, col. 2144, que Luther, au moins dans ses débuts, admettait que le principe formel de notre justification est la justice même du Christ. D’autre part, il parlait volontiers de la foi comme étant rêvera regeneratio qu&dam in novitatem, Disp. de ftde, th. 65, dans Drews, p. 13, et Opéra lat. var. arg., édition d’Erlangen, t. iv, p. 328, de la remissio peccati comme d’une resurrectio.

Sans peut être marquer qu’il s’agit là plutôt d’un effet psychologique et subjectif que d’une réalité objective, dos historiens protestants tels que Loofs, op. cit., p. 697-698, ont souligné ces traits qui dénoteraient une « intelligence religieuse du christianisme ». Et comme cette foi est une production directe de l’esprit de Dieu, Luther en arrivait à dire, par occasions, que la justification a pour résultat, mieux encore, pour caractère constitutif, de faire habiter et vivre en nous le Christ : fide apprehensus et in corde habitons Christus. In Gai, ii, 16, édition de "Weimar, t. xl, p, 229. Dans son entourage, quelques-uns comme Brenz, voulaient entendre la valeur de la foi en ce qu’elle est un principe de renouvellement. Voir la lettre écrite par Mélanchthon pour le ramener à de meilleurs sentiments. Corp. Reform., t. ii, col. 501-502, et la réponse de celui-ci, ibid., col. 510-512. Toutes formules qui révèlent une impression assez nette du mysticisme chrétien, mais qu’il était assez difficile de réduire en théorie et, plus encore, de concilier avec la doctrine reçue de l’imputation.

Aussi chez les spéculatifs, qui cédaient moins aux impulsions capricieuses du sentiment qu’au besoin de systématisation claire, c’est l’idée d’imputation qui fut retenue de préférence et qui répondait d’ailleurs à un autre aspect de la pensée de Luther. C’est surtout Mélanchthon, Loofs, p. 847-850, qui est rendu responsable de cette théorie, où la justification se ramène à un acte extérieur et juridique par lequel Dieu consent à ne plus nous imputer le péché et à nous tenir pour justes, tandis que la régénération est un second élément, inséparable sans doute mais formellement distinct du premier. Ainsi s’est constituée la doctrine classique du protestantisme orthodoxe, où l’on aboutit à une théorie cohérente de la justification, mais qui a le tort de la vider de sa signification religieuse. Ce serait là un des traits caractéristiques de ce « philippisme » qui devait prendre une place croissante dans le luthéranisme postérieur. Loofs, ibid., p. 868.

Il faut bien avouer que les contemporains furent moins sensibles à ces nuances que ne le sont les historiens récents, puisque Luther, comme Loofs, p. 856857, en fait lui-même la remarque, ne cessa jamais de témoigner à Mélanchthon la plus entière confiance. Mais ce fait permet de comprendre la réaction que nous verrons se produire bientôt contre la justification forensique par les soins d’André Osiander, plus bas col. 2195 sq, et que celui-ci avait bien quelque droit d’opposer la pensée authentique de Luther à celle de ses interprètes officiels.

2. Chez les réformés.

D’après le sentiment de ceux qui l’ont analysé avec le plus de soin et de pénétration, le concept de la justification chez les réformés se caractériserait également par une semblable nuance. Mathias Schneckenburger, Yergleichende Darslellung des lutherischen und reformierten Lehrbegrifjs, Stuttgart, 1855, t. ii, p. 45-92.

Tandis que l’élément objectif, c’est-à-dire l’acte divin de non-imputation, est le principal élément pour le luthérien, ici l’on insisterait plutôt sur l’élément subjectif de régénération, dont la justification proprement dite serait ensuite le fruit. La justification luthé rienne se ramènerait à ce jugement synthétique : le pécheur est juste, c’est-à-dire déclaré tel, tandis qu’elle se résoudrait, pour le réformé, en un jugement analytique comme celui-ci : le croyant est juste, c’est-à-dire qu’il est et se sent réellement tel. Ici la foi serait justifiante par elle-même, tandis que là elle est plutôt une condition de la justification. Schneckenburger, ibid., p. 112-115. Et il ne saurait échapper à personne, ibid., p. 30, que cette dernière conception est beaucoup plus éloignée que la première de la doctrine catholique.

Ces subtiles analyses ont d’ailleurs été contestées par A. Ritschl, op. cit., p. 212-213. F. Loofs doit cependant reconnaître, op. cit., p. 884-885, que la doctrine calviniste est plus apparentée à ce qui lui paraît être la pensée primitive de Luther qu’à la scolastique inaugurée par Mélanchthon. D’où il faut au moins retenir qu’un même système d’opposition à la tradition catholique pouvait recouvrir bien des variétés, qui préparaient pour l’avenir des controverses à grand éclat.

2° Conséquences morales de la justification : Rapport de la foi et des œuvres. — S’il n’y avait pas d’article plus essentiel à la Réforme que celui de la justification par la foi seule, il n’y en avait pas non plus de plus déconcertant. Ce mysticisme ne semblait-il pas faire fi de la morale, sinon même la condamner ? Aussi les premiers réformateurs s’efforcèrent-ils d’incorporer à leur système une doctrine des œuvres. Tâche laborieuse entre toutes, et qui n’alla pas sans de longs et pénibles tâtonnements.

1. Diverses tendances du protestantisme primitif. — D’après tous ses principes, Luther devait combattre les œuvres ou tout au moins les dédaigner. La corruption profonde de notre nature et l’absence de vrai libre arbitre les rendent impossibles. Puisque la foi seule justifie, comment ne seraient-elles pas inutiles ? Elles sont même dangereuses, parce qu’elles nous exposent à la tentation de la suffisance et de l’orgueil.

Ces diverses conséquences ont été tour à tour accueillies par le réformateur. Par suite de notre perversion, nos meilleures œuvres, pour lui, sont encore des péchés, même après le baptême : Cum sit fomite corruptus, ideo invenietur iniquitas in justilia ejus, id est quod etiam opéra ipsa bona injusta sint et peccatum. In Rom., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 123. Voir Denifle, trad. Paquier, t. iii, p. 47-58. C’est pourquoi elles n’ont rien à voir avec la justification, qui se produit sans elles, sine adjuiorio et cooperalione operum… ; non enim hic opéra necessaria sunt ut vivas et salvus sis. Gloses sur Rom., iv, 6, et x, 6, Ficker, 1. 1, p. 38 et 93. A quoi il faut ajouter la théorie bien connue d’après laquelle le Christ a rempli les obligations de la loi pour nous, Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 436-440, et ci-dessus, col. 2138 : ce qui entraîne logiquement que nous soyons dispensés de l’accomplir. C’est une des formes, la principale, sous lesquelles s’affirme la « liberté du chrétien ». De lib. christ., 8-10, trad. Cristiani, p. 3235. D’une manière générale, il n’est pas de thème plus familier à Luther que l’opposition entre la Loi et l’Évangile, l’annulation de celle-là par celui-ci, Loofs, p. 721-722, et l’observation a été faite par des historiens protestants que le concept de loi demeure assez indéterminé chez lui pour s’étendre même à la loi morale. Loofs, p. 770-778.

Néanmoins on voit ailleurs que la foi n’est jamais seule, bien que seule elle justifie. Doctrine résumée dans cette antithèse : Fides sola justificat, sed nunquam est sola, dont les éléments, bien que pris en divers endroits de son œuvre, expriment bien la pensée de Luther. Loofs, p. 765. Voir Com. in Gen., xv, Opéra exeg. lat., édition d’Erlangen, t. iii, p. 305-306. Cf. In GaL, v, 21, édition de Weimar, t. ii, p. 591 : Vides