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JUSTIFICATION, DOCTRINE DE LA REFORME


que pour comprendre l’enseignement que le concile de Trente dut leur opposer. Elles sont relatives à l’état de l’âme justifiée, point sur lequel la Réforme naissante n’est pas parvenue à sortir d’une profonde confusion.

1. FIBSI de la justification.

D’une part, en effet, la justification est ici un état progressif et jamais achevé. Semper homo fchristianusj est… in fïeri, disait Luther dans ses premières notes sur l’Épître aux Romains, xii, 2, Ficker, t. n. p. 266-267. Ce qui est vrai d’un point de vue objectif : Deus est adhuc in aclu juslificationis non completo, mais aussi du point de vue subjectif : Colidie justificamur immerita remissione peccatorvm. Disp., édition Drews, p. 49 et 154. Tous les historiens protestants ont insisté sur cet aspect de la pensée luthérienne, qui peut tout d’abord sembler favorable à l’action conquérante de la grâce en même temps qu’à l’effort moral de l’homme pour y coopérer. Voir Seeberg, Dogmengeschichte, t. iv, p. 111-112.

Mais Luther ne se rapproche du catholicisme qu’en apparence. Car ce fieri de la justification emporte pour lui la conséquence que le point de départ n’en est jamais acquis. Non justificavit nos, id est perfecit et absolvil justos ac justiliam, sed incepil ut perfteiat. In Rom., iii, 21, Ficker, t. ii, p. 94. Incipit enim remissio peccatorum in baptismo et durât nobiscum usque ad mortem. Disp., édit. Drews, p. 46. Le point d’arrivée n’en est pas moins problématique ; car notre justification tst seulement commencée, donc à peine réelle. Omnis qui crédit in Christum juslus est, nondum plene in re, sed in spe. Cceplus est enim juslificari et sanari. Ccm. in Gal., ii, 17, édition de Weimar, t. ii, p. 495.

De telle sorte que nous ne sommes pas précisément des juslificali, mais plus exactement des justifleandi. In Rem., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 111. II s’ensuit que la justification n’est, en somme, qu’une espérance et non point une réalité. Sic ergo in nobis sumus peccatores et lemen, reputante Deo, justi per fidem… Numquid ergo perjecte juslus ? Non, sed simul peccator et justus, peccator rêvera sed juslus ex reputatione… Ac per hoc sanus perjecte est in spe, in re autem peccator, sed inilium habens jusliliw. Ficker, ibid., p. 107-108.

Pour paradoxale qu’elle nous paraisse, aucune conception n’était plus logique dans un système qui identifie le péché originel et la concupiscence, Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 446-454, et subordonne à la foi la valeur, non seulement de nos œuvres, mais encore des sacrements. Ibid., t. iii, p. 70-71.

2. Certitude de la justification.

Malgré cet état précaire de notre justification, chacun de nous peut et doit la tenir pour certaine.

Au début sans doute Luther affirmait plutôt le contraire. Le lait a été mis en évidence par Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 443-444, et accepté par des protestants tels que Loofs, p. 707, contredit par R. Seeberg, t. iv, ]). 108. Il faut d’ailleurs en chercher la raison moins dans un reste d’attachement à la tradition catholique que dans le pessimisme moral qui désole en ce moment l’âme du réformateur. Car, s’il est certain que nous sommes sauvés par la foi, cette foi elle-même demeure incertaine. Quamquam enim certi simus nos in Christum credere, non tamen certi sumus nos in omnia quæ ipsius sunt credere. Ac per hoc cliam in ipsum credere incertum est. In Rom., iii, 22, Ficker, t. ii, p. 89. Et, si c’est la pure acceptation divine qui inuis sauve, qui peut être assuré de celle-ci V Ignorant fsancii) quando justi sunt, quia ex Dca reputante justi taiitummodo sunt, eu jus reputationem nemo m, vil. sed solum postulare et sperme débet. Ibid., IV, 7, p. 104.

SOUS la pression croissante « le son mysticisme, l’évolution de Luther tut d’ailleurs rapide. Dès son commentaire UI l’Épître aux Hébreux, commencé en

1517, il admet une « présomption » confiante appuyée sur les promesses du Christ. Loofs, p. 711. En août

1518, les resolutiones des fameuses 95 thèses font déjà intervenir la certitude, th. 7, édition de Weimar, t. i, p. 542, et cette theologia nova est par lui défendue contre Cajétan : Dixi neminem juslificari posse nisi per fidem. sic scilicel ut necesse sil eum certa fi de credere sese juslificari et nullo modo dubilare quod graliam consequatur. Si enim dubilat et incertus est, jam non justificatur sed evomit graliam. Acta aug., édition de Weimar, t. ii, p. 13. Désormais il n’y a plus de doute sur ce point et le sentiment contraire est rejeté par Luther comme une fable scolastique. In Gai, i, 4, édition de Weimar, t. ii, p. 458. Textes dans Seeberg, t. iv, p. 107-108, et 230-232.

La certitude de la grâce emporte d’ailleurs pour lui la certitude du salut. Bien que moins accusée peut-être que chez Calvin, cette conséquence s’affirme à l’occasion chez Luther, comme en conviennent ses plus récents interprètes. Voir Denifle, trad. Paquier, note du traducteur, t. iii, p. 41-42. Ni son mysticisme, ni son opposition à l’Église ne lui permettaient de penser autrement. L’absolue certitude de la grâce divine était la contre-partie nécessaire de la justification par les œuvres qu’on voulait écarter et l’aboutissement normal de la justification par la foi.

Cette même conception fut recueillie de bonne heure par Mélanchthon, Loc. com., édition de 1521, Corp. Relorm., t. xxi, col. 196 et 197 : Necesse est certos nos esse de gralia, de benevolenlia Dei erga nos… Nihil christianismus ni ejusmodi vila quæ de misericordia Dei certa sit. Elle se reflète également dans la Confession d’Augsbourg, art. 20, Millier, p. 45 : Conscienlise non possunt reddi tranquillæ per ulla opéra sed tantum fide, quum certo statuant quod propler Christum habeant pacatum Deum. L’Apologia, iv, 110, p. 107, ne veut pas non plus d’une incerta remissio et la subordonne également à une persuasion certaine de chacun : Non diligimus nisi certo statuant corda quod donala sit nobis remissio peccatorum. Cf. xii, 88-89, p. 183. Cette assurance est étendue formellement par Calvin à la certitude même du salut, qui est devenue une des caractéristiques de l’esprit calviniste, encore que, sur ce point, le réformateur ne fasse, comme on l’a vii, que développer les principes de Luther. Voir Calvinisme, t. ii, col. 1405-1 106.

Il resterait maintenant à concilier cette certitude nécessaire avec le perpétuel devenir qui pèse sur notre justification. Jusque dans son Apologia, Mélanchthon concède que notre foi se débat toujours dans la lutte : Hase fûtes paulatim crescit et per omnem vitam luctatur cum peccalo. xii, 37, p. 172. Comment dès lors peut-il y avoir place pour cette ferme assurance qui est requise par le système ? Obtenue dans ces conditions paradoxales, la certitude de la grâce risque fort de se réduire à une promesse illusoire ou de se tourner en auto-suggestion. Le protestantisme, comme l’a bien marqué Loofs, Dogmengeschichle, p. 767-768 et 834836, ne pouvait qu’aboutir à cette impasse, du moment qu’il s’imposait la tâche de transposer en système objectif du salut ce qui avait été d’abord et devait nécessairement rester un fait de conscience tout subjectif.

IV. PRBltlÈRSS DIVBRQBKCE3. — Si l’accord fondamental était suffisamment réalisé chez les premiers réformateurs sur les principes essentiels de la justification, de bonne heure aussi on voit s’affirmer parmi eux des tendances divergentes qui ne feront que s’accentuer plus tard. Les principales sont déjà

marquées dans J. A. MdhJer, Symbolik, 8° édit., Mayence, 1872, p. 117-118, 140-112, 158-160 et 203 205.

l u Essence de la justification : Justice inhérente ou