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JUSTIFICATION, DOCTRINE DE LA RÉFORME


Cependant on croit saisir une autre nuance quand Luther dit que c’est notre foi qui nous est imputée à justice : Fides sufflcit sine Mis operibus, et ita non est operantis sed Dei acceptantis fldem ipsius ad justitiam. Glose interlinéaire sur Rom., x, 6, et iv, 4, Ficker, 1. 1, p. 93 et 37. Foi qui assurément est un don de Dieu, mais qui est aussi une soumission de notre part, propre à lui rendre hommage. De lib. christ., 11, trad. Cristiani, p. 35-36. Où l’on entrevoit que la foi est un acte moral dont la valeur n’est pas à négliger.

De subtils interprètes expliquent, en effet, que la justification d’après Luther serait un processus vital commencé en nous par l’acte de foi et que Dieu accepte, malgré son insuffisance, parce qu’il en comble le déficit au moyen des mérites du Christ déjà vivant en nous. Seeberg, Doymengeschichle, t. iv, p. 108-116 et 238-245. Bien que foncièrement hostile à la doctrine des œuvres, Luther s’en rapprocherait ici d’une manière assez notable et l’on comprendrait par là que cette considération surgisse surtout dans les moments où il s’agit d’atténuer le paradoxe inquiétant de la justification par la seule foi.

Toujours est-il que c’est tantôt le Christ qui est appelé par lui notre justifia formalis, Lettre à Brenz de 1531, dans Enders, t. ix, p. 20, tantôt la foi elle-même, deuxième commentaire sur l’Épître aux Galates, m, 6, édition de Weimar, t. xl, p. 364. Ces variations de Luther sont déjà relevées par Bellarmin, De juslif., ii, 1, Opéra omnia, t. vi, p. 208. Et la raison dernière de cette divergence est sans doute que, dans cette intelligence plus ardente que précise, la foi est moins un acte à nous qu’un acte de Dieu en nous. Denifle, trad. Paquier, t. iii, p. 280 et 284-286. C’est pourquoi sa valeur subjective se confond avec sa portée objective, qui est de nous revêtir de la justice même du Christ : Fides est hase vestis qua induimus justitiam Christi coram Deo. Opéra lat. var. arg., édition d’Erlangeh, t. vii, p. 431-432. Ou encore : Fide apprehensus et in corde habitons Christus est justifia christiana propter quam Deus nos reputat juslos, deuxième com. de Gal., ii, 16, édition de Weimar, t. xl, p. 229. Cf. ibid., p. 233 : Fides apprehendit Christum… includitque eum ut annulus gemmam.

Dans la Confession d’Augsbourg et son Apologie, chaque fois qu’on se trouve en présence de formules précises, c’est partout notre foi qui nous est imputée à justice, parce que, tout imparfaite qu’elle soit, elle est tenue par Dieu comme suffisante… Gratis justifteentur propter Christum per fidem, quum credunt se in gratiam recipi… Hanc fidem imputât Deus pro justifia coram ipso, art. 4, Mûller, p. 39. Fidèle à cette doctrine, Mélanchthon d’exposer à son tour quod fides sit ipsa justifia qua coram Deo justi reputamur. Apol., iv, 86, p. 103. Et encore, ibid., 89, p. 104, à propos de Rom., iv, 5 : Hic clare dicit fidem ipsam imputari ad justitiam. Fides igitur est Ma res quam Deus pronuntiat esse justitiam et addit gratis imputari. Cf. ibid., 114, p. 108 : Hac fide iusti reputamur propter Christum, et xii, 36, p. 172 : Hœc fides justi ficat coram Deo. Pour la position des réformés, voir Calvinisme, t. ii, col. 1403-1404.

d) Rôle de la foi. — Il ne faut d’ailleurs pas se méprendre sur le rôle de cette foi. Les réformateurs entendent bien exclure tout ce qui en ferait une œuvre méritoire. Elle ne reste plus, du côté de Dieu, que comme une condition à l’octroi de sa grâce, de notre côté, que comme le moyen d’appréhender, pour nous en couvrir, la justice du Christ.

Propter fidem quæ apprehendit Fitium nos reputat justos, disait Luther, Enarr. in Gen., xv, dans Opéra exeg. lat., édition d’Erlangen, t. iii, p. 301-302. Cf. Th. Harnack, op. cit., t. ii, p. 431-433 et 439-441 ; J. Kôstlin, op. cit., t. ii, p. 195-197. D’une manière un peu moins nette, mais dans un sens manifestement ana logue, Mélanchthon expose que toute la valeur de la foi lui vient de ce qu’elle reçoit ou saisit la promesse du pardon divin. Nam fides non ideo justi ficat et salvat quia ipsa sit opus per sese dignum. sed tantum quia accipit misericordiam promissam. Apol., iv, 56, p. 96. Formule qu’on retrouve ibid., 86, p. 103. Cf. xii, 80, p. 181 : Necesse est contritos apprehendere fide promissionem remissionis peccatorum donatse per Christum

Ce qui fait que la foi n’est, au total, qu’une condition préalable pour bénéficier de l’imputation que Dieu nous fait de la justice du Christ. Quia justifia Christi donatur nobis per fidem, ideo fides est justifia in nobis imputative, id est : est id quo efficimur accepti Deo propter imputationem et ordinationem Dei. Ibid., iii, 186, p. 139-140. Cf. Loofs. Dogmengeschichle, p. 835836. Il avouait d’ailleurs que dans V Apologia il n’avait pas pu dire toute sa pensée et se montrait plus explicite dans sa correspondance. Corp. Re/orm., t. ii, col. 501-502.

e) Conséquence : Justification forensique. — D’où il suit que, strictement parlant, la justification demeure extérieure à notre âme. Elle est seulement une procédure divine qui consiste à ne plus tenir compte de nos péchés et à nous appliquer du dehors les mérites du Sauveur. Un historien protestant, Loofs, p. 697, ramène toute la piété de Luther et toute sa conception du christianisme à cette triple égalité : justi ficari = absolvi ; gratia = misericordia Dei non imputantis ; fides = fiducia misericordiae. Cet extrinsécisme fondamental devait conduire les théologiens de la Réforme à équiparer la justification du pécheur par Dieu à celle que les tribunaux prononcent sur l’accusé.

Mélanchthon, qui semblait tout d’abord réserver l’analogie de Vusus forensis pour caractériser la doctrine de saint Jacques où intervient la considération de nos œuvres, Apol., iii, 131, p. 131, finit par l’adopter pour son propre compte, à propos de Rom., v, 1 : Justificare hoc loco forensi consuetudine signifteat reum absolvere et pronuntiare justum sed propter alienam justitiam, videlicet Christi, quæ aliéna justifia communicatur nobis per fidem. Ibid., 181, p. 139. Il n’a plus cessé de l’entendre ainsi dans la suite. Nim Hebrœis justificare est foreuse verbum ; ut si dicam : populus Romanus justificavit Scipionem accusatum a tribunis, id est absoluit seu justum pronuntiavit. Lie. com., édition de 1535, dans Corp. Reform., t. xxi. col. 421, et édition de 1559, ibid., col. 742. Même principe et même exemple historique dans Com. in Rom., introduction intitulée Summa doctrinse… de jwstificatione, t. xv, col. 510.

On trouve également chez Calvin une doctrine et une image de tous points identiques : Juslificxri coram Deo dicitur qui judicio Dei censetur justas… Quemalmjdum si reus innocens ad tribunal œqui judicis adiacatur, ubi secundum innocentiam ejus judicatum tuerit, justificatus apud judicem dicitur, sic apud Deum justi ficatur qui, numéro peccatorum exemptus Deum habet suse justifias testem et assertorem. Et il va de soi que cette justice n’est pas la sienne, mais celle du Christ dont il est revêtu : Justificabitur Me fide qui, operum justilia exclusus, Christi justitiam per fidem apprehendit, qua vestitus in Dei conspectu non ul peccalor sed tanqaam juslus apparet. Inst. christ., x, 2, édilion de 153J, dans Opéra, t. i, col. 737-738.

Un non-lieu divin, tel serait ainsi le dernier mot de l’économie du surnaturel en nous.

3° Propriétés de la justification — Il suffisait aux premiers réformateurs de marquer leurs principes essentiels, sans se livrer encore à cette analyse méthodique des propriétés de la justification qui devait tenir tant de place dans la scolastique protestante des siècles suivants. Cependant il faut relever encore quelques-unes de leurs positions secondaires, ne lût-ce