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JUSTIFICATION, DOCTRINE DE LA RÉFORME


Christum opponere debeamus iræ Dei, non opéra nostra Mélanchthon, Apol, v, 84, p. 182.

3. Aspect positif : Nature de la justification. — En elle-même, la justification comporte nécessairement un double élément, savoir la rémission du péché et le don de la grâce. Sur l’un et l’autre la Réforme a mis sa marque spéciale.

a) Rémission du péché. — Il faut se rappeler qu’à la base du système se trouve l’identification du péché originel et de la concupiscence. Celle-ci est donc absolument mauvaise en elle-même et, comme elle ne cesse d’exister en nous, il s’ensuit que nous sommes toujours en état de péché. La grâce de la justification consiste seulement en ce que ce péché ne nous soit pas imputé.

Telle est la conception à laquelle, sous l’influence de la théologie nominaliste et de quelques textes tendancieusement compris de saint Augustin ou de saint Paul, Luther était nettement arrivé dès son commentaire sur l’Épître aux Romains. Sancti intrinsece sunt peccatores semper : ideo extrinsece justificantur semper… Intrinsece dico, id est quomodo in nobis…, extrinsece autem quomodo apud Deum et in repulatione ejus sumus. Igitur… ex sola Dei reputalione justi sumus… Rêvera peccatores, sed repulatione miserentis Dei justi. Et son mysticisme s’édifie de cette étrange contradiction : Mirabilis et dulcissima misericordia Dei, qui nos simul peccatores et non peccatores habet ; simul manet peccalum et non manet. In Rom., iv, 7, Ficker, t. ii, p. 104106, et de même plus bas, p. 124 : Nunquam remiltitur omnino, sed manet et indiget non imputalione, ou encore p. 115 : Sciunt (sancti) in se esse peccatum, sed propter Christum legi et non imputari. Conduit à cette conception par les expériences douloureuses de sa conscience, Denifie, trad. Paquier, t. ii, p. 445-454, et t. iii, p. 3641, Luther la garda toute sa vie. Voir Th. Harnack, t. ii, p. 424-426 et J. Kôstlin, t. ii, p. 192-194. La formule suivante résume sa pensée : Dominus g’ratuilo non imputando remittil. Dictata sup. Psalt., Ps. xxxi, 2, édition de Weimar, t. iii, p. 175. Cf. t. xl, p. 233-235.

Sous une forme moins vibrante mais non moins nette, elle se retrouve chez les autres réformateurs. En termes juridiques très étudiés, Mélanchthon, dès la première édition de ses Loci communes, parlait de condonatio peccati. Corp. Reform., t. xxi, col. 140. Dans son Apologia, la remissio peccatorum joue un très grand rôle, en particulier iv, 75-110, p. 100-107, comme dans la Confession d’Augsbourg elle-même, art. 4 et 12, p. 39-41. La manière dont il l’entend se fait jour quand, à propos du péché originel, il adopte et défend la doctrine de Luther : Peccatum originis manere post baplismum… Hic palam falctur esse, hoc est manere peccatum, lametsi non imputetur, ii, 35-36, p. 83. Cf. ibid., 38-41, p. 84. Néanmoins cette théorie reste, en somme, discrète dans V Apologia, et dans ce fait on peut voir un germe de l’évolution postérieure de son auteur.

Chez Calvin également, la concupiscence est un péché, et qui demeure même chez les saints, mais qui ne leur est pas imputé. Insl. chr., édit. de 1539, ii, 63 et 64, Opéra, 1. 1, col. 348-3 19. Il faut toujours entendre dans ce sens juridique et extérieur d’une remise des péchés, et non d’une rémission véritable, cette remissio peccatorum dont la Réforme se plaisait à faire état.

b) Imputation de la justice ; Le (ail. — La nonimputation du péché a pour corrélatif le don divin de la grâce, qui est elle-même conçue comm ; une simple imputation : le caractère de l’une entrain. 1 celui de l’autre. Pour Luther, c’est, en effet, tantôt Celle Ci qui est la raison logique de celle-là : Tuli enim (credenti ) non imputai peccatum quia reputat ei jusliliam, ! n Ps. xxxi, 2, édition de Weimar, i.iu, p. 175 ; d’autres fois, au contraire, c’est la seconde qui est équiparée à la première et par elle expliquée : Jusliliam dari per

reputationem sine operibus, quod utique fit per nonimputationem injustitiæ. Ergo idem est dicere : « Cui Deus reputat jusliliam » et « Cui Dominus non imputai peccatum. » In Rom., iv, 7, Ficker, p. 119. De toutes façons son hostilité contre les habitus infus de la scolastique le fait insister sur le caractère purement extrinsèque de la grâce : Extrinsecum nobis est omne bonum noslrum quod est Christus. In Rom., iv, 7, Ficker, p. 114. Aussi être justifié est-il toujours synonyme pour lui d’être tenu pour juste : Justi jical, id est justos reputat. In Rom., ni, 7, Ficker, p. 59-60. Voir encore cette glose caractéristique, en marge de Rom., ii, 13 : Non enim quia juslus est ideo reputatur a Deo, sed quia reputatur a Deo ideo justus est. Ficker, 1. 1, p. 20,

C’est pourquoi il ne veut rien savoir d’une justice qui serait une réalité intérieure à notre âme : Justitiam non esse formaliter in nobis, ut Aristoteles disputai, sed extra nos in sola gratia et reputalione dioina. Et nihil formée seu juslitiæ in nobis esse præler illam imbecillem fidem seu primilias fidei quod cœpimus apprehendere Christum ; intérim lamen vere peccatum in nobis manere. Deuxième commentaire de l’Épître aux Galates (1535), iii, 6, édition de Weimar, t. xl a, p. 370. Cf. ibid., ii, 16, p. 225-228. Autres textes réunis dans Loofs, Dogmengeschichle, p. 702 et 706.

On a pu reprocher à Mélanchthon dans sa première manière quelque hésitation, plus exactement quelque confusion sur ce point. Loofs, Dogmengeschichle, p. 825-827 et 836-837. Il admet, en effet, comme également scripturaires l’interprétation réaliste ou l’interprétation purement déclarative de la justification. Et quia justifïcari significal ex injustis justos effici seu regenerari, significal et justos pronuntiari seu repulari. Ulroque enim modo loquitur Scriplura.. Mais, dans ce texte même, on peut déjà voir que la seconde a ses préférences. Il avait d’ailleurs écrit quelques lignes plus haut : Fide propter Christum justi reputemur seu accepli Deo simus. Apol., iv, 72, Millier, p. 100. Aussi peut-on croire que l’idée d’une justification réelle est une concession faite momentanément à ses adversaires, tandis qu’il se rallie partout pour son compte à la notion de justice imputée.

c) Imputation de la justice : Le mule. — Il est d’ailleurs assez difficile de savoir en quoi consiste exactement cette imputation. Dans les débuts, il semble que Luther ait conçu que ce soit la justice même du Christ qui nous est imputée à cause de notre foi. (Christi) justitia eos (peccatores) tegit et cis imputatur. In Rom., vii, 25, Ficker, t. ii, p. 176 Le Christ serait ainsi « le manteau qui cache notre honte ». Peccatum adest, adest vere… ; sed ignoratur et absconditum est apud Deum, obstante mediatore Christo. Deuxième com. sur Gai..n, 16, édition de Weimar, t. xl, p. 234.

Aucune conception n’était plus conforme à ses propres expériences et au pessimisme moral qui en fut le fruit. Denifie, trad. Paquier, t. ii, p. 436-440 et t. iii, p. 67-70. Ce qui lui faisait dire que la justification n’est, de notre part, que pure passivité. Ad primim gratiam, sicut et ad gloriam, semper nos habemus passive sicut millier ad conceptum. In Rom., viii, 27, Ficker, t. ii, p. 206. Autres textes dans Denifie, trad. Paquier, t. iii, p. 261-263, et Loofs, p. 709. Doctrine mystique dont on trouve l’écho fidèle dans les Loci de Mélanchthon : Justi ficamur… ciun illi fuie adluvremus, nihil dubitantes quin Christi justitia sit nostra justilin. quin Cliristi satisjaclio sit expialio nos tri. Corp. Reform., t. xxi, col. 159. Cf. Apolog., iii, 56, Millier, p. 118 : Senticndum est quod reconciliati fide propter Christum justi repulemur. Elle est toujours resiée un élément capital dans le concept luthérien de la Justification. Voir Th. Harnack, op. cit., t. ii, p. 1 13-1 17, et J. Kostlin, op. cil., t. ii, p. 197-201.