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JUSTIFICATION, DOCTRINE DE LA REFORME


essentiels qui caractérisent l’économie du salut selon la Réforme. S’il est vrai qu’il n’y a pas d’autre médiateur que le Christ, la justification doit en tenir compte et ne peut, dès lors, consister qu’à croire en ses mérites. Quomodo enim erit Christus mediator si in justificatione non utimur eo mediatore ?… Id autem est credere confédéré merilis Christi. De même, ce n’est pas la loi qui nous sauve, mais la promesse qui nous vient du Christ ; al hœc non potest accipi nisi fide. D’où il suit que la foi n’est pas seulement une condition préliminaire, initium justificationis seu præparatio ad justiflcationem. Elle renferme en elle-même et en elle seule la totalité de la justification : Hoc defendimus quod proprie ac vere ipsa fide propter Christum justi reputemur seu acceptiDeo simus. Apol., iv, 69-71, p. 99-100.

C’est pourquoi Mélanchthon accepte hardiment la formule sola fide, ou, suivant ses propres termes, Vexclusiva sola, qu’il lit équivalemment dans Rom., iii, 24, 28 et Eph., ii, 8. Une longue argumentation complémentaire, établie sur le concept de la rémission des péchés, aboutit à la même conclusion. Consequi remissionem peccalorum est justi ficari… Sola fide in Christum, non per dilectionem, non propter dilectionem aut opéra consequimur remissionem peccalorum… Igitur sola fide justi ficamur. Ibid., 75-78, p. 100.

La même doctrine s’exprime également chez les réformés. Témoin cette formule toute primitive de Calvin : Sola Dei misericordia constat nostra juslificatio, quam dum fides apprehendit justi ficare dicitur. Inst. chr., édition de 1536, dans Calvini opéra, t. i, col. 81. Cf. Catech. Gen., dans Niemeyer, p. 138. Dans l’édition de 1539, x, 10, ibid., col. 742-743, Calvin prend à son tour contre les « sophistes » la défense formelle de la particule sola. Aussi en trouve-t-on l’équivalent adouci dans les plus anciennes confessions de foi, telles que la Conf. Basil, prior, art. 9 : Justitiam… non tribuimus operibus…, sed lantum verse fiduciie et fidei in effusum sanguinem Agni Dei, Niemeyer, p. 99, et la première Confession helvétique, art. 12 et 14, ibid., p. 118 : … Sola nos Dei misericordia et Christi merito servari… Non quidquam tamen his officiis, licel piorum, sed ipsi simpliciter (fidei) justi ficationem… tribuimus.

b) Nature de la foi justifiante. — Que faut-il donc entendre par cette foi justifiante ? La pensée des réformateurs est loin d’être aussi claire ou aussi uniforme sur ce point. Elle se caractérise pourtant, d’une manière générale, en ce que, pour eux, foi est synonyme de confiance et signifie avant tout un mouvement du cœur. Voir Foi, t. vi, col. 60-63.

Bien que la doctrine de Luther ne soit pa-s exempte d’obscurité, Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 440-444, et t. iii, p. 256, elle est certainement dominée par ce concept mystique de la foi. De bonne heure, sa crise de conscience l’amenait à traduire la foi par le sentiment de la miséricorde divine. Loofs, Dogmengeschichle, p. 697, et Seeberg, Dogmengeschichte, t. iv, p. 104-107, 217-220. La même conception s’exprime formellement chez Mélanchthon : Fides non aliud nisi fiducia misericordiæ divinse. Loc. com., édition de 1521, dans Corp. Reform., t. xxi, col. 163. Cf. col. 164, où croire est traduit par fidere graluila Dei misericordia. Assurément cette foi suppose d’abord la connaissance de la divine révélation et l’adhésion de l’esprit à la Rédemption par le Christ qui en est le principal élément. C’est pourquoi la Confession d’Augsbourg semble prendre la foi au sens objectif et dogmatique de l’Église. L’art. 4 est, en tout cas, rédigé de telle façon qu’il est susceptible d’être interprété dans ce sens : Gratis justi ficantur propter Christum per fidem, quum credunt se in gratiam recipi et peccala remitti propter Christum. Muller, p. 39. Cf. art. 20, p. 44 : Credenles quod propter Christum recipiemur in gratiam. D’où il suit qu’avec l’histoire du Christ la foi doit en’atteindre l’effet salutaire : …Fidem quæ crédit non lantum historiam sed etiam effectum historiée, videlicet hune arliculum remissionem peccatorum. Ibid., p. 45,

Cependant le fait que ces formules sont rédigées à la première personne indique déjà qu’il ne s’agit pas seulement d’adhérer à une doctrine générale, mais d’en avoir la perception personnelle. Et ceci tient au principe même du système, d’après lequel la justification est un acte psychologique et subjectif. Dixi neminem justi ficari posse nisi per fidem, sic scilicet ut necesse sit eum certa fide credere sese justificari et nullo modo dubitare. C’est ainsi que Luther établissait, en 1518, sa position à l’égard de l’Église, Acta augustana, édition de Weimar, t. ii, p. 13 : il a toujours continué à s’y maintenir. Fiducia cordis per Christum in Dzum est pour lui le dernier mot de la justifia christiana. In Gai, iii, 6, même édition, t. xl, p. 366. Autres textes dans Th. Harnack, op. cit., t. ii, p. 435-439, et J. Kôstlin, op. cit., t. ii, p. 180-183.

Mélanchthon définit pareillement la foi comme étant le sensus misericordise Dei. Loc. com., dans Corp. Reform., t. xxi, col. 163. Aussi dans VApologia, à côté des passages où la foi est prise au sens objectif : assentiri promissioni Dei…, velle et accipere oblatam promissionem remissionis peccatorum, iv, 48, Muller, p. 95, ou encore : quoties nos de fide loquimur intelligi volumus objectum, scilicet misericordiam promissam, ibid., 55, p. 96, voit-on apparaître la fiducia misericordiæ Dei, ibid., 58, p. 97. Et celle-ci ne peut que signifier un mouvement subjectif du coeur : Sola fide consequimur remissionem peccatorum, quum erigimus corda fiducia misericordiæ propter Christum promissse. Ibid., 79, p. 101. Cꝟ. 86, p. 103 : Reconciliati… per misericordiam propter Christum, si tamen hanc misericordiam fide appréhendant. Ailleurs on voit clairement que cette foi prend un caractère expérimental : Hoc proprie fidei est illius, de qua nos loquimur, quæ sentit se habere Deum placalum. Ibid., ni, 153, p. 136. Cf. xii, 35-36, p. 172, et 60, p. 177 : Nos præter hanc fidem (in génère) requirimus ut credat sibi quisque remitti peccata, ou encore ibid., 73-74, p. 179-180, où il se réclame de saint Bernard.

Cet aspect subjectif de la foi justifiante prend sous la plume de Calvin une forme didactique et précise : Hic præcipuus fidei cardo vertitur, ne quas Dominus offert misericordiæ promissiones extra nos tantum veras esse arbilremur, in nobis minime ; sed ut potius eas intus complectendo nostras faciamus. Hinc demwn nascitur fiducia… Est autem securitas quæ conscientiam coram Dei judicio sedat et serenat. Inst. chr., v, 9, édition de 1539, dans Opéra, t. i, col. 458. Formule qui donne son vrai caractère à cette autre, un peu antérieure, où Bellarmin, De justifie, i, 4, Opéra, t. vi, p. 153-154, croyait voir un concept d’ordre intellectuel : Nunc jusla fidei definilio nobis constabil si dicamus esse diuinæ erga nos benevolentiæ firmam certamque cognilionem, quæ graluitæ in Christo promissionis veritate fundala per Spirilum Sanctum et reuelatur mentibus nostris et cordibus obsignatur. Ibid., 6, col. 456. Car, si cette révélation repose, à n’en pas douter, sur une base objective, elle ne produit son effet qu’en devenant une persuasion personnelle. Quod adeo verum est ut sœpiuscule pro fiducia nomen fidei usurpetur. .. Id autem fieri nequit quin ejus (Dei) suaoitalem vere senliamus et experiamur in nobis ipsis. Toute autre conception s’arrête à mi-chemin. Ibid., 8, col. 457458.

Et rien n’est, en somme, plus logique. Du moment que l’homme est incapable d’aucune bonne œuvre pour se préparer à la justification, il ne lui reste plus d’autre ressource que de s’abandonner à la divine miséricorde avec la ferme confiance que, malgré sa misère, les mérites du Christ lui sont appliqués : Fide medialorem