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JUSTIFICATION, DOCTRINE DE LA RÉFORME


ressortir notre misère par l’impuissance où nous sommes de satisfaire à ses exigences ; en un mot, déchéance incurable et profonde, à la fois signe et cause de la colère divine, jusqu’à ce que luise enfin sur le monde désespéré la lumière de l’Évangile annonçant la bonne nouvelle du salut dans le Christ. Voir Th. Harnack, op. cit., t. i, p. 475-599, et t. ii, p. 59-108 ; Kôstlin, op. cit., t. ii, p. 224-230.

Sur ces bases dogmatiques l’édifice de la justification spécifiquement protestante allait s’élever.

Notion de la justification.

Elle est résumée en

ses traits essentiels dans l’art. 4 de la Confession d’Augsbourg, Millier, p. 39 : Item doce.nt quod homines non possinl justificari coram Deo propriis viribus, meritis aut operibus, sed gratis justificentur propter Christum per fidem, quum credunt se in gratiam recipi et peccata remitli propter Christum qui sua morte pro nostris peccatis satisfecit. Hanc fidem imputât Deus pro justifia coram ipso. Cf. art. 20, p. 44. Formule où l’on peut distinguer une partie négative et critique, marquant ce que la justification n’est pas, suivie d’une partie positive qui en indique les conditions et la nature.

1. Aspect négatif et critique.

Tout le pessimisme

théologique de la Réforme, toute son exégèse uniquement attachée à la lettre de quelques passages de saint Paul, le dogme même de la rédemption et de la grâce qu’elle voulait maintenir non sans en abuser, tout cela s’accordait pour faire poser en principe et souligner avant tout que l’homme ne saurait se justifier par lui-même. Imaginer le contraire est un attentat sacrilège contre les droits de Dieu et l’œuvre du Rédempteur. L’Écriture et l’expérience s’accordent à dire que la justification n’est pas due à nos mérites. Dans son commentaire de l’Épître aux Romains, Denifle, p. 319, Luther admettait une préparation à la justification et Loofs ici encore a parlé de « crypto-pélagianisme », op. cit., p. 700. Mais la logique du système entraîne bientôt maître et disciples à exclure toute œuvre humaine.

Au nom de ce principe, non seulement on condamne, en effet, les observances monastiques ou l’abus de pratiques purement extérieures, Apolog., iv, 10, mais on s’acharne contre toute œuvre morale. Tout au plus l’homme peut-il accomplir correctement externa opéra civilia ; mais il lui est impossible d’obéir à la loi divine avec l’esprit et la perfection qui conviennent, impossible surtout d’aimer, de craindre et prier Dieu, de se préparer à la grâce en faisant ce qui dépend de lui par le repentir et les bonnes œuvres. S’il en était ainsi, ce serait une juslilia rationis, et alors à quoi bon l’avènement du Christ ? Quid inleresl inler philosophiam et Christi doctrinam ? Si meremur remissionem peccalorum liis nostris actibus elicitis, quid prwstat Clirislus ? Si justificari possumus per raiionem et opéra rationis, quorsum opus est Christo aut regeneralione ? Apolog., iv, 12, p. 88. Cf. ibid., 87, p. 103, où sont nettement exclues, avec les œuvres légales, toutes sortes d’opéra moralia.

Même avec le secours de la grâce, la nature ne peut accomplir un acte d’amour divin dont elle est incapable : sine juslilia fidei nique exislcre dilectio Dei in hominibus, neque quid sil dilectio Dei inielligi potest. Ibid., 18, p. 90. Cꝟ. 28-35, p. 91-93. D’aucune façon, par conséquent, il ne saurait être question de mérites antérieurs et préparatoires à la foi. Le mérite de congruo lui-même n’est qu’une subtilité inventée pour parer au reproche de péiagianisme. Num si J)cus necessario dut gratiam pro mérita congrui, jam non est meritum congrui, sed meriluni condigni. Ibid., 17-19, p. 89 90.

A ces arguments théologiques, l’expérience ajoute son appoint. Car la fiducia operum ne saurait qu’abou tir, ou bien à l’hypocrisie chez les âmes suffisantes qui se confient hardiment en leur propre justice, ou bien au désespoir chez les âmes timorées qui multiplient les bonnes œuvres sans avoir le sentiment d’en avoir jamais fait assez. Ibid., 20-21, p. 90-91.

Toute cette doctrine se résume en un mot, d’apparence affirmative, mais qui n’est, en réalité, qu’une formule d’opposition à la valeur des œuvres humaines : gratuité de la justification. Gratuilum excluait noslra mérita, lit-on un peu plus loin, ibid., 53, p. 96. Cette notion n’est pas seulement imposée par le nom même de grâce et les paroles formelles de saint Paul, Rom., xi, 6 : elle est inhérente à tout l’ensemble de la révélation évangélique, qui s’annonce comme une promesse bénévole de salut pour nous donner ce que la loi ne pouvait accomplir. Ibid., 40-42, p. 94.

2. Aspect positif : Conditions de la justification. — lue fois écartée l’œuvre de l’homme, même sous sa forme la plus bénigne, il ne reste plus comme condition nécessaire et suffisante de la justification que la seule foi

a) Rôle exclusif de la foi. — Cependant la Confession d’Augsbourg use ici d’euphémisme, pour ne pas dire d’équivoque, en se contentant d’écrire sans autres précisions : Docent quod homines… gratis justificentur propter Christum per fidem. Il est vrai qu’un peu plus loin, art. 20, p. 44, on lit : Justificationem tantum fide consequimur. En réalité, toute l’évolution du mysticisme luthérien et toute la logique de sa théologie l’acculaient à la formule exclusive : sola fide, qui du reste était depuis longtemps son programme.

Si Luther, dans son commentaire de l’Épître aux Romains, gardait encore assez de la tradition catholique pour compléter saint Paul à l’aide de saint Jacques, la remarque a déjà été faite qu’il parle surtout des œuvres accomplies par l’homme déjà justifié. Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 439-440. Voir les textes dans Die abendlàndischen Schriflausleger, p. 315-331. Mais, dans son commentaire de l’Épître aux Galates (1519), son point de vue spécial s’accuse nettement par cette distinction : Vides quam non su/ficiat sola fides, et lamen sola justificat. In Gal., v, 21, édition de Weimar, t. ii, p. 591. Par où il ne faut pas entendre seulement, au sens dogmatique, que l’on ne saurait être justifié que par la foi : Xeminem justificari posse nisi per fidem, Acta augustana, 1516, édition de Weimar, t. ii, p. 13, mais encore, au sens psychologique et moral, qu’il n’est pas besoin d’autre disposition : Anima per fidem solam… justificatur, sanctificatur, verificatur, pacipeatur… ne cuiquam opus sit lege aut operibus ad justiliam et salutem. De lib. christ., 10, édition de Weimar, t. vii, p. 53 ; trad. Cristiani, p. 35. Cet attachement exclusif à la foi seule est tellement profond chez Luther qu’il glisse — inconsciemment peut-être — cette réserve dans les textes évangéliques, tels que Joa., vi, 29, qui ne la contiennent pas. Ibid., 8, p. 52, et Cristiani, p. 31. D’une manière plus consciente il a modifié dans le même sens la traduction de Rom., iii, 28 et maintenu violemment cette version tendancieuse contre les « criailleries des papistes ». Edition de Weimar, t. xxx b, p. 636-612. Il n’est pas de point plus fondamental dans le système Luthérien. Voir les textes réunis dans Th. Harnack, op. cit., t. ii, ]>. 430-443.

Aussi bien, si le tenue sola fide ne Qgure pas dans la Confession d’Augsbourg. et cela par une prudence facile à comprendre, il est repris et expressément commenté par Mélanchthon : Cognitio Christi fusttflcatio, cognitio autem sola fides est… Unii’ersx vitiv jnstitia non alia nisi fides, avait-il écrit dans Loc. com., Corpus Réf., t. xiii. C*0l, 178 et 179. De ces formules lapidaires VApologiu fournit un ample développement. Pour les Justifier, l’auteur remonte aux principes