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JUSTIFICATION, DOCTRINE DE LA RÉFORME


Paul ne cessa plus d’être pour les protestants l’autorité par excellence.

Il faut en dire autant des influences théologiques auxquelles le père de la Réforme a pu être soumis.

D’une part, il n’a vu de la scolastique que l’école nominaliste : l’école thomiste, autrement équilibrée, lui est re : tée inconnue. Loofs, op. cit., p. 689-690. Ce qui peut expliquer plus facilement sa réaction contre le Moyen Age dont il ne connaissait que la moindre et non la meilleure partie.

Mal préparé de ce chef à la résistance, il fut exposé à l’action des principes augustiniens, si propres à entretenir ses conceptions personnelles sur le mal de la concupiscence et la justice imputée. Le pessimisme spirituel de cette théologie offre une indéniable parenté avec celui de la Réforme. Voir col. 2129. Or Luther a connu les œuvres imprimées de Pierre Lombard et des Victorins. Il a surtout pu recevoir l’influence personnelle des théologiens augustiniens qui furent ses maîtres ou à côté desquels il a vécu. J. Paquier, Recherches de science religieuse, 1923, p. 299-301. Est-il étonnant que son esprit en ait reçu quelque empreinte ? Mais de ces matériaux théologiques, comme de ceux que pouvait lui fournir la tradition mystique du Moyen Age, seules ses convictions personnelles lui permirent de tirer parti en les encadrant dans un système nouveau. Quum doctrina de fide… lamdiu jacueril ignota, quemadmodum faleri omnes necesse est…, proclame la Confession d’Augsbourg, art. xx. Toutes les sources qu’on peut découvrir à Luther n’empêchent pas son originalité. Sa pensée n’est pas plus un produit de l’augustinisme que du paulinisme, bien qu’elle ait pu trouver dans l’un et l’autre de quoi s’alimenter.

A ces causes qui purent partiellement concourir à la genèse de la doctrine luthérienne de la justification, il faut ajouter le besoin d’opposition ecclésiastique qui servit à la maintenir et à la développer. D’une part, cette doctrine avait un aspect négatif, la condamnation des œuvres, qui fournissait une plate-forme polémique des plus larges et des plus avantageuses pour critiquer comme entachée de pélagianisme toute l’organisation catholique de la vie spirituelle : bonnes œuvres communes, ascétisme monastique, indulgences et sacrements. Par son aspect positif, savoir l’appel à la foi qui justifie, elle cadrait avec ce mysticisme et cet individualisme qui sont les marques caractéristiques de la Réforme et permettait de leur donner une sorte de base théologique. A ce double titre, la théorie de la justification était faite pour devenir le centre du nouvel évangile.

L’action convergente de ces diverses causes aide à comprendre que cet article fût déjà donné par Luther comme la summa tolius doctrinæ christianæ, Enarr. in Ps. CXXX, dans Opéra exeg. lai., édition d’Erlangen, t. xx, p. 193, et qu’il soit toujours demeuré tel parmi les siens.

il. Développement HISTORIQUE. — En raison de ce caractère fondamental, la question de la justification est étroitement liée à toutes les manifestations doctrinales qui marquèrent les débuts de la Réforme naissante. Il suflira de noter ici brièvement les principales, en vue de fournir son cadre historique à l’exposition qui doit suivre.

1° Manijesles personnels des premiers réformateurs.

— Une première source est fournie par les écrits des divers Initiateurs de la Réforme. Il est unanimement reconnu que tout l’essentiel de la nouvelle doctrine est déjà constitué dans sonespritau moment où, encore moine et professeur catholique, Luther commente l’Épitre aux Romains (1515-1516). Voir K. Holl, Die Rechi/eriigungslehre tri Luthers Vorlesung ùber den Rômerbrlef, dans Zcilscliri/t fur Théologie und Kirche,

1910, t. xx, p. 245-291 ; Denifle, trad. Paquier, t. ii, p. 407-454 ; Loofs, Dogmengeschichte, p. 700-709 ; Seeberg, Dogmengeschichte, t. iv, p. 80-125.

Après sa rupture avec l’Église, sans être nulle part traitée ex professo, la justification par la foi s’affirme suffisamment dans les sermons ou les œuvres exégétiques du maître pour être aperçue comme une de ses erreurs. Voir spécialement le sermon De duplici justitia, vers 1519, édition de Weimar, t. ii, p. 143-152, et le commentaire sur l’Épître aux Galates, septembre 1519, ibid., p. 436-618. Plusieurs des propositions condamnées par Léon X, le 15 juin 1520, la supposent ou en dérivent : par exemple, les prop. 2-3 sur la persistance du péché originel, les prop. 31-36 sur l’extinction du libre arbitre et le vice radical de toutes nos bonnes œuvres, les prop. 10 et 15 sur le rôle de la confiance par rapport aux sacrements de Pénitence et d’Eucharistie. Denzinger-Bannwart, n. 742-743, 771-776, 750 et 755. En réponse à la bulle pontificale, vers le début de novembre 1520, Luther publia son petit traité De libertate christiana, qu’on a donné, non sans raison, Loofs, p. 736, comme la meilleure synthèse de sa doctrine en matière de justification. Édition de Weimar, t. vii, p. 49-73 ; traduction française, avec introduction et notes, par L. Cristiani, Paris, 1914. On le complétera principalement par son Traité des bonnes œuvres, 1520, édition de Weimar, t. vi, p. 196-276, et son traité De servo arbitrio, composé contre Érasme en 1525, édition de Weimar, t. xviii, p. 551-787.

Cependant Luther n’avait rien d’un docteur. Il était réservé à son jeune disciple Mélanchthon de transformer ses intuitions mystiques ou ses polémiques véhémentes en un corps raisonné de doctrines. Les Loci communes parurent en décembre 1521, petit livre dont Luther devait dire qu’il était non solum immorlalitate sed canone quoque ecclesiastico dignus. Opéra lat. var. arg., édition d’Erlangen, t. vii, p. 117. Douze éditions se succédèrent de 1535 à 1541, Corpus Reform., Brunswick, 1854, t. xxi, col. 230-242, en attendant l’édition augmentée de 1543 dont la diffusion devait être plus grande encore. Ibid., col. 561-594. Naturellement la justification y occupe la place centrale et y est traitée avec un soin tout spécial. Voir l re édition, ibid., col. 159-183, et dernière édition, ibid.. col. 739-800.

En même temps, Zwingle établissait la Réforme en Suisse sur la base des mêmes conceptions fondamentales. Mélanchthon lui a reproché de méconnaître la foi justifiante et de trop accorder aux œuvres. Lettres du 5 octobre 1529 et de mars 1530, Epist., iv, 637, et v, 670, dans Corp. Reform., t. i, col. 1099, et t. ii, col. 25. Tous les historiens modernes s’accordent à lui rendre meilleure justice et à reconnaître son accord essentiel avec Luther en matière de justification, encore que sa conception plutôt pratique de la Réforme l’empêche en général d’accorder à cette doctrine le même relief. Ritschl, op. cit., p. 165-174, et Loofs, Dogmengeschichte, p. 79-1-801. De toutes façons ses écrits n’ont pas la même importance documentaire que ceux des protagonistes du luthéranisme allemand primitif.

Symboles officiels de l’Église luthérienne.

Aussitôt

que le protestantisme voulut prendre figure d’Église, il éprouva l’obligation de définir ses doctrines en confessions de foi. La plus importante est la célèbre Confession d’Augsbourg, du 25 juin 1530. Texte dans J. T. Mùller, Si/mb. Bûcher, p. 35-70. Rédigée par Mélanchthon pour être soumise à l’empereur Chai’les-Quint, elle contient sous une forme succincte et modérée les positions officielles de la première Réforme. L’art. 1, De justificatione, Millier, p. 39, y est très bref ; mais il doit être complété par l’art. 2 sur le péché originel, ibid., p. 38-39, plus encore par les