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JUSTIFICATION, DOCTRINE DE LA RÉFORME


trinal où la tradition représentée par les augustiniens du xvi c siècle risque d’avoir son germe lointain.

Il en est de même pour un autre docteur du même ordre, Grégoire de Rimini († 1358), célèbre pour son augustinisme. Son opposition à l’école nominaliste en matière de grâce lui valut les sympathies de Luther et, encore aujourd’hui, l’attention des historiens protestants. C. Stange, Neue kirchliche Zeilschri/l, 1900, t. xi, p. 574-585 et 1902, t. xiii, p. 721-727. Mais il est reconnu que sa doctrine ne va jamais qu’à réclamer, avec toute la tradition catholique, contre le pélagianisme, les droits de Dieu dans l’affaire de notre salut. Voir Denifle, trad. Paquier, t. iii, p. 150-155. Encore

  • st-il qu’il les pousse un peu loin, jusqu’à dire que, sans

la grâce, aucun de nos actes ne peut être moralement bon. Le péché originel étant d’ailleurs par lui identifié avec la concupiscence et celle-ci conçue comme une qualité morbide inhérente à l’âme, le baptême n’en enlève pas l’essence, mais seulement la responsabilité. J. Paquier, Revue de philosophie, 1923, p. 203. Cet augustinisme n’est pas sans présenter quelques rapports, sinon avec les pensées, du moins avec le langage de Luther.

De ces théologiens A. V. Millier propose de rapprocher ces déclarations des exégètes et des mystiques sur la vanité des œuvres humaines dont on a rapporté plus haut, col. 2124, les spécimens les plus caractéristiques, mais en marquant aussi qu’elles n’ont pas toute la portée doctrinale qu’on se plaît à leur attri-, buer. Ces divers indices ne suffisent donc pas pour établir proprement l’existence et la continuité d’une école augustinienne. La question ne pourrait être résolue que par la publication, souhaitée par J. Paquier, Recherches de science religieuse, 1923, p. 298-299, de tant d’oeuvres théologiques encore inconnues des xive et xve siècles, pour « y trouver la filière des idées qui se manifestèrent au concile de Trente. »

En attendant, ce qui semble bien acquis, c’est la persistance, à côté de l’optimisme théologique dont s’inspire la grande école, d’une tendance pessimiste dont les représentants, parce qu’ils aiment souligner l’impuissance de l’homme, arrivent à donner la grâce de la justification comme de plus en plus extrinsèque à son être moral. Il ne faudrait pas exagérer la signification de ces systèmes jusqu’à méconnaître les données traditionnelles de la foi qui en sont la base commune et qui imposent à tous d’affirmer une participation réelle de l’âme régénérée à la grâce du surnaturel. Mais il est indéniable que ces notions fondamentales furent inégalement comprises et diversement systématisées.

C’est dans ces conditions complexes que se trouvait, à la fin du Moyen Age, la doctrine de la justification et qu’elle aurait sans nul doute continué le cours paisible de son développement, lorsque la Réforme vint tout à coup déchaîner un vent d’orage qui, avec les systèmes théologiques en cours, menaçait d’ébranler le dogme même dont ils essayaient de réaliser l’interprétation.


IV. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION A l’époque de la réforme

A la différence des époques précédentes, qui n’avaient connu que des affirmations dispersées ou de sereines spéculations d’école, le xvi’siècle marque le moment où la justification commence pour la première fois à se poser dans le monde chrétien sous forme de problème aigu. Le fait est dû aux innovations révolutionnaires introduites sur ce point parla Réforme, qui allaient avoir pour conséquence, in même temps que les réactions diverses de la théologie catholique (col. 2151), les définitions du concile de Trente, où la loi traditionnelle de l’Église serait solennellement affirmée et entourée de toutes les précisions dont l’erreur avait fait sentir le besoin (col. 2165).

I. La Réforme. —

Jetée dans le monde religieux par l’âme passionnée de Luther comme le programme de son opposition à l’Église et le principe essentiel de sa nouvelle doctrine, puis élaborée par les premiers docteurs et fixée par les symboles de la Réforme naissante, la justification par la seule foi au Christ fut regardée de bonne heure et n’a plus cessé d’être considérée depuis, chez les protestants, comme Yarticulus stanlis et cadentis Ecclesiæ. Luther lui-même en disait : Articulus juslificationis est magister et princeps, dominus, rector et judex super omnia gênera doctrinarum, gui conservai et gubernat omnem doctrinam ecclesiaslicam. .. Sine hoc arliculo mundus est plane mors et tenebrse. Dans P. Drews, Dispulationen Dr. Martin Luthers, Gœttingue, 1895, disp. du 1 er juin 1537, p. 119. Voir une abondante collection de textes semblables pris à travers toute l’œuvre du réformateur dans Fr. Loofs, Der articulus stanlis et cadentis Ecclesiæ, Gotha, 1917, p. 4-14. On ne fait pas tort à la Réforme en la ramenant tout entière à ce point fondamental que Mélanchthon appelait preecipuus locus doctrinæ christianse. Apol. Conf., iv, 2, dans J. T. Mùller, Die symb. Bûcher, p. 87. Autres déclarations du même ordre dans Loofs, op. cit., p. 14-25.

I. ORIGINE.

Personne ne songe à mettre en doute l’originalité foncière de la Réforme sur ce point capital. Articulus juslificationis quem nos soli hodie docemus, ou encore quem lotus mundus ignorât, disait Luther en 1527-1529, Scholia in lsaiam, xlii, 21 et xlih, 24, Luthers Werke, édit. de Weimar, t. xxv, p. 276 et 282. Dès 1521, Mélanchthon allait jusqu’à parler en termes lyriques d’une nouvelle révélation de l’Évangile : O miseros nos qui jam a quadringenlis fere annis neminem habuimus in Ecclesia scriptorem qui reclam ac propriam pœnilentiæ jormam prodidissel… Nunc tandem Dei misericordia respexit nos revelavitque Evangelium populo suo. Apologie pour Luther contre les Parisiens, dans Luthers Werke, édit. de Weimar, t. viii, p. 311. Dans la genèse de cette « révélation » il n’est pas étonnant de rencontrer comme le confluent de toutes les causes d’où est sortie la Réforme.

1° Cause déterminante : l’expérience religieuse. — Quelle qu’en soit la nature exacte, et que ce soit pour l’en louer ou l’en blâmer, tout le monde reconnaît que l’expérience personnelle du premier des réformateurs est à la source de sa théorie de la justification.

1. Point de départ psychologique.

Luther lui-même aimait à se présenter comme la malheureuse victime du système catholique des œuvres. S’il était entré au cloître, s’il s’y était, à son dire, livré à des austérités de toutes sortes, c’était, assurait-il vers 1539-1540, « parce que je tâchais d’arriver à la certitude que ces œuvres m’obtenaient le pardon de nies péchés. » Enarr. in Gen., xxii, dans Opéra exeg. latina, édit. d’Erlangen, t. v, p. 267. Mais, devant l’impuissance de cette méthode, il se serait jeté dans les bras de la divine miséricorde, qui sauve gratuitement le pécheur par la seule foi. Telle est la conception tendancieuse que les historiens et théologiens protestants entretiennent volontiers pour expliquer la conversion de Luther. Voir quelques témoignages dans Denifle, Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, t. a, p. 2392Il et.’i(i. r) -370. En réalité, les documents permettent d’établir que, si la part de l’expérience ne fut pas moins grande dans cet événement, elle fut d’un autre ordre. Voir Denifle, ibid., p. 377-151 et, plus loin, l’art. Luther.

Dans une lettre du 8 avril 1516, Luther encore moine invite un de ses confrères à « prendre en dégoût sa propre justice pour respirer et se confier en la justice du Christ. » C’est que beaucoup de son temps, surtout

parmi les hommes vertueux, lui paraissent tentés de présomption et appliqués à faire le bien par eux-