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JOB (LIVRE DE). AGE ET AUTEUR DU LIVRE

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nions. Que Job, assurément fort humilié de l’intervention et des discours de Dieu, soit arrivé à concevoir par l’effet d’un raisonnement intérieur — non provoqué, dans l’hypothèse, par Elihu — sa culpabilité et la raison providentielle de ses épreuves, cela peut bien s’établir et s’établit en effet (voir plus haut) à la réflexion et à une lecture attentive et pénétrante du livre amputé des c. xxxii-xxxvii. Mais l’enseignement voulu par l’auteur « était-il donc si simple et si facile à concevoir qu’il ait pu demeurer inexprimé pour le lecteur ? et Job lui-même s’est-il montré (dans sa confession négative du c. xxxi qui clôt la série de ses discours) de sentiment si éveillé qu’on ait pu lui laisser Je soin de tirer (à part lui) la juste conclusion ? » Job, à ce point des débats, se montre, au contraire, extrêmement convaincu de son innocence au double point de vue intérieur et extérieur ; il envisage plus que jamais comme injuste le sort qu’il subit ; il est à mille lieues de soupçonner la solution de l’énigme là où la placerait Elihu ; la tension du sens de la justice appuyé sur la conscience d’une longue vie sans tache est arrivée chez lui à son point critique, car il s’érige en

« censeur » de Dieu, cf. xl, 2. « Que là-dessus suive

immédiatement le discours de Jahvé, avec son âpre fin de non-recevoir, avec sa totale insouciance de la question en litige, il est problématique qu’à l’entendre Job ait dû néanmoins parvenir à la juste conclusion, puis à la reconnaissance contrite de sa faute et de son ingratitude envers le paternel dessein de Dieu. Bien plutôt était-il à craindre qu’il ne se rendît qu’à la force, comme il le dit si souvent auparavant, sans profit intérieur. » Pour son humiliation salutaire il convenait que l’énigme contre laquelle avait failli échouer sa propre justice fût résolue par un homme comme lui, et plus jeune que lui…

Les derniers mots des discours de Job, xxxi. 35-37 :

Voici ma croix ! Que Schaddaï me répDiide ! …

renferment à l’égard de Dieu une si audacieuse provocation, que d’amener, immédiatement après, la manifestation divine dans l’orage, eût constitué pour le lecteur juif une extraordinaire invraisemblance. Vouloir se présenter à Jahvé avec l’orgueilleuse et hautaine assurance qu’ils supposent équivalait à une malédiction, à un blasphème. Et le Juif pieux pouvait-il endurer qu’on pût blasphémer Dieu en sa présence sans mourir à l’instant ? La femme de Job ne lui dit-elle pas : « Tu persévères encore dans ta justice ? Maudis Dieu, que tu meures ! » L’intervention d’Elihu, bien faite pour faire tomber l’exaltation du patriarche, accorde un moment de répit d’où peut venir le salut…

Allégés de toute la démonstration un tant soit peu laborieuse des discours d’Elihu, ceux de Jahvé, n’en sont que plus majestueux, efficaces et définitifs. Leur « puissante ironie » peut s’y déployer tout à l’aise ; leur effet de terreur y seconde merveilleusement l’impression pénétrante causée en Job par la vive remontrance d’Elihu et le tableau des œuvres et du gouvernement divins ; résumant à la fin seulement, xl, 2, 8-9, 10-14, la longue et véhémente leçon du Buzite, ils mettent au dialogue 1’ « indispensable sceau » final.

Ainsi encore en introduisant Elihu l’auteur « épargnait à la haute figure divine de disputer et de se quereller avec des humains. Il n’avait que ce moyen d’y réussir, et il y a vraiment réussi : il l’a gardée intangible et digne en face du lecteur… ; il lui a donné une élévation qui surpasse de toul le ciel celle des autres interlocuteurs, même là où ceux-ci se rencontrent dans leurs dires avec Jahvé. » Budde, op. cit.,

p. XLV-XLVIII.

3. Affirmer que l’auteur du livre, après avoir soulevé, posé et débattu la question de la raison providentielle

des souffrances du juste, ait précisément entendu la laisser sans réponse et solution, n’est-ce pas affirmer l’invraisemblance même de tout débat philosophique institué en vue d’aboutir à une conclusion ? Un tel scepticisme est incompatible avec la mentalité juive à la fin du ve siècle. Les lecteurs se fussent trouvés dans les mêmes dispositions que Job lui-même avant la rude humiliation subie de la part de Jahvé seul surarbitre ; et, au surplus, celui-ci n’ayant aucunement rempli son rôle, ils seraient demeurés dans les mêmes perplexité ; que le patriarche — perplexités qu’une fin de non-recevoir, si majestueuse fût-elle, ne pouvait manquer de faire renaître, au grand détriment de la sagesse et de la providence divines.

Il faut donc conclure avec Budde déjà longuement cité : « A l’endroit (du livre) où concourent toutes les lignes tracées (en vertu des données explicites ou sousentendues ) nous trouvons les discours d’Elihu. Ils apportent dans leur contenu l’entière solution du poète. Comme ils sont bâtis, ils se plient avec une conciliation intelligente aux besoins d’âme de Job et l’amènent de degré en degré à détente et compréhension. Par une série d’invitations à répliquer demeurées vaines, ils font voir que Job ne sait que répondre, se range à la solution proposée et, de la sorte, se trouve tout à fait préparé dès la fin des discours à l’intervention de Dieu. Ils assurent enfin une transition bien ménagé- 1, et de grandiose façon, à l’apparition de Jahvé dans la tempête ; de sorte que quiconque s’abandonn ? sans réserve à l’art du poète, ne peut douter un seul instant que la solution acceptée par Job ne soit aussi la vraie, et ne reçoive de Dieu même tacite confirmation. » Ibid., p. xlviii.

Age et auteur du livre.

 Depuis l’époque du

Talmud, la date de la composition du livre de Job a été graduellement descendue, de Moïse à Salomon, de Salomon à Isaïe, d’Isaie à Jérémie, de Jérémie à Malachie, de Malachie à Esdras, d’Esdras au temps des Ptolémées. Voir Dictionnaire de la Bible, Paris, 1912, t. iii, col. 1565-1566, et les auteurs cités. La période post-exilienne paraît devoir s’imposer, pour cette raison qu’il est fait allusion, xii, 17-23, à la déportation d’Israël et surtout de Juda. — Dans le parallélisme frappant des deux passages Jérémie. xx, 14-18 et Job, iii, 3 sq., x, 18, la priorité appartient au prophète ; c’est Job qui imite Jérémie lorsqu’il maudit le jour de sa naissance. — II en est de même pour la doctrine des fautes des pères punies dans leurs enfants et petits-enfants, dont Jérémie, xxxi, 29-30, et Ezéchiel, xviii, 2 sq., annoncent seulement pour l’avenir l’abrogation, et qui dans Job, xxi, 19, est formellement blâmée et rejetée. — On ne peut nier non plus, que notre livre ne dépende de la seconde partie d’Isaïe, xl, 27 ; xlix, 4 ; i., 6, 8 ; lii, 14 ; lui, 3, 4, 8, 11, en ce qui concerne l’énigme des souffrances du juste, serviteur de Jahvé ; et encore de passages tels que Isaïe, xl, 7 ; xliv, 24 ; lix, 4 ; l, 9 ; li, 9 sq. ; i.xiii, 10, à rapprocher de Job, xiv, 2 ; ix, 8 ; xv, 35 ; xiii, 28 ; xxvi, 12 sq. ; xxx, 21, au point de vue de l’imitation littéraire. Ici encore la priorité en faveur d’Isaïe se décide contre Job, mais pour un autre motif que celui qui pourrait résulter exclusivement de la comparaison littéraire de ces passages. Isaïe paraît bien se placer, dans sa description des souffrances du juste, à un point de vue plutôt national : son juste souffrant peut toujours symboliser le peuple d’Israël. Job est franchement individualiste, et dans ses reproches à Jahvé, qui paraît se désintéresser de su fidélité et combler de biens l’impie, se rencontre plutôt avec Malachie, et de façon tout à fait frappante ; comp. Mal., i, 2 ; ii, 17 ; iii, 11 sq. — Le scitdn de Job i et u et les anges de iv, 18 ; v, 1 ; xv, 15 ; xxi. 22 : xxv, 2 ; xxxiii, 23 représentent vraisemblablement l’angé-