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JUSTIFICATION, LE MOYEN AGE : SYSTÈMES D’ÉCOLE


créé et de sa source incréée, entre la rémission du péché et la sanctification de l’âme qui forment le double aspect de la justification.

1. Nature de la justification. a) Déjà saint Bonaventure ne conçoit pas que la grâce se puisse attacher à la substance de l’âme, abstraction faite de ses puissances. Non videtur posse intelligi quomodo yratia sit in anima abstracla potentia. VA il est frappant qu’il se réfère pour cela aux « paroles de saint Augustin », qui met toujours la grâce en rapport avec le libre arbitre. Même position chez Henri de Gand. Schwane, Dogmengeschichle, t. iii, p. 463, trad. Degert, t. v, p. 202. Où l’on aperçoit un petit point particulier du grand conflit de tendances qui sépare, au Moyen Age, l’augustinisme traditionnel de l’aristotélisme nouvellement introduit.

Pour son compte, le docteur séraphique se rallie à une* conception intermédiaire, qui situe la grâce dans la liberté, mais en tant qu’elle prolonge l’essence de l’âme. Gratta est una, sicut et substantia, et est semper in actu continuo ; et primo dicitur respicere subslantiam, non quia sit in illa absque potentia vel prias quam in potentia, sei ! quia habet esse in potentiis ut eonlinuantur ad unum essentiam. In II Sent., dist. XXVI, a. unie, q. 5. t. ii. i). 643. Cf. dist. XXVII, a. 1, q. 2, p. 057, et le scholion des éditeurs, p. 658-659.

Cette manière plus souple de comprendre le réalisme surnaturel explique sans doute que saint Bonaventure ne voie plus entre la grâce et le péché qu’une opposition de l’ait, mais non plus de principe. Ad illud quod objicitur quod Deus possil… delere culpam absque gratia, dicendum quod hoc cstverum ; sed largilas divinæ misericordiir sic decrevit au/erre malum, per quod homo Deo displicet, ut simul daretur bonum per quod homo Deo placeret, née unquam expellit culpam quin sanctificet ipsam animam et in ea habitet per gratiam. Ibid., dist. XXVIII, a. 1, q. 1, ad Gara, p. 677.

b) Le même attachement à l’augustinisme et un esprit critique encore plus prononcé allaient fixer en doctrine chez Scot les vues occasionnelles de saint Bonaventure et créer le système qui sera désormais classique dans l’école franciscaine, en regard du thomisme exposé ci-dessus. Voir Uuns Scot, t. iv, col. 1901-1904.

Ici la grâce est identifiée avec la charité, de telle façon qu’il n’y ait plus entre elles qu’une distinction formelle : Habitas… qui est gratta, et ipsa est carilas, In Il Sent., dist. XXVII, n. 35. En conséquence, la grâce a son siège dans la volonté, où elle se développe en amour surnaturel de Dieu. Cette grâce s’oppose évidemment au péché ; mais il n’y a pas entre eux une opposition intrinsèque ou de nature. Le péché, en effet, n’a pas de réalité physique habituelle dans l’âme : il est seulement queedam relatio rationis, c’est-à-dire une ordinulio ad pœnam, mais qui dépend du vouloir divin. Report. Paris., t. IV, dist. XIV, n. 7. De même la grâce ne sanctifie pas précisément comme entité physique, mais en vertu d’une acceptatio bci. In l Sent., dist. XVII, q. ii, n. 23.

D’oii il suit que, dans le jeu de leurs rapports mutuels, il faut toujours faire intervenir la volonté de Dieu. Absolument parlant, Dieu pourrait donc effacer le péché sans nous donner la grâce et, réciproquement) infuser la grâce sans remettre le péché. Report., I. IV, disl. XVI, q. il et In I Y Sent., dist. I. q. i. De la sorte, au lieu délie un acte simple, la justification se décompose en deux éléments logiquement distincts : la rémission du péché, qui consiste a nous dispenser de la peine qu’il comporte, et l’infusion de la grâce, qui se traduit par le don positif et surnaturel de la charité. Voir Schwane, trad. Degert, t. v. p. 202 206,

c) Telles sont les positions sur lesquelles l’école noininalfste s’esl de plus en plus fermement établie a ira vers les xrv’e1 w siècles. El l’on sali qu’elle compte

les noms les plus brillants du second âge scolastique. Voir ici même, pour la France, les articles Durand de Saint-Pourçain, t. iv, col. 1965 : Ailly (d’), t. i, col. 650-652, et Gersok, t. vi, col. 1318-1323 ; pour l’Italie, Grégoire de Rimini, ibid., col. 1853 ; pour l’Allemagne, Biel, t. ii, col. 816 et 821-S25. En attendant l’art. Occam, on trouvera un exposé très substantiel et très documenté de l’occamisinc dans Denifle, trad. l’aquier, t. iii, p. 196-201.

Il est d’ailleurs acquis à l’histoire que Luthei 1 n’a guère connu du Moyen Age que cette école nominaliste, Denifle, op.cù*., p. 155-156, 193, 201-202, et, depuis longtemps, les défenseurs de l’orthodoxie protestante ont pris l’habitude de se tourner vers ces théologiens quand ils ont voulu se chercher des ancêtres. Voir Dorsche, Thomas Aquinas, … con/essor veritalis evange. lica’, p. 507-522. Seulement il leur faut pour cela déformer la pensée de ces vieux maîtres en donnant comme réel ce que ces auteurs se contentaient d’envisager par manière d’hypothèses spéculatives. Il n’en est pas moins vrai que l’école nominalist-, quelques textes de saint Paul aidant, s’avançait parfois bien loin dans la voie qui menait à une justification tout extrinsèque. Témoin cette exégèse théologique du viennois Pierre Tzech de Pulka († 1425), qui écrivait sur Boni., ii, 13 : Justi ficubuntur, … ici est justi hibebuntur vel justi reputnbuntur apud Deum et homines. Dans Denifle, Die abendlàndischen Schrijlausleger, p. 237.

2. Conditions de la justification.

- Étant à ce point soumis au bon plaisir divin, il semblerait que le processus de la justification dût être d’autant plus énergiquement ramené à l’ordre surnaturel. Cependant c’est l’école nominaliste qui paraît avoir le plus accordé aux forces humaines sur ce point et contre laquelle les historiens protestants dirigent le plus volontiers leurs accusations de néo-pélagianisme. Voir Loofs, op. cit., p. 613-615 ; Seeberg, op. cit., p. 648, et Bitschl. op. cit., p. 138.

Seul, en réalité, Durand de Saint-Pourçain semble établir une corrélation stricte entre le bien moral et la justification, sans aucune intervention d’un secours divin spécial. Voir S. Bonaventure, édition de Quaracchi, scholion des éditeurs, t. ii, p. 081. Scot, qui fut suspect autrefois à beaucoup de théologiens catholiques, par exemple Scheeben, Handbuch dur kath. Dogmatik, t. ii, p. 411, est seulement responsable de quelques impropriétés de langag.’. l.e 1’. Parthénius Minges a longuement démontré que l’influentia communis dont paraît se contenter le docteur subtil est déjà une grâce et exclut seulement l’intervention d’une Providence extraordinaire, Die Gnadenlehre des Dans Scolus, Munster, 1906, p. 10-31 ; que Scot réclame expressément, contre le seini-pélagianisme, la nécessité de la grâce pour le commencement du salut et qu’il en souligne suffisamment, sans être toujours très clair à cet égard, le caractère gratuit. Ibid., p. 56-102. Cette démonstration n’est pas adoptée seulement par des théologiens catholiques, voir Duns Scot, t. IV, col. Pton, mais aussi par les protestants impartiaux, par exemple Seeberg, p. 588.

Il reste que, d’une façon générale, l’école nominaliste appréciait d’une manière assez optimiste les forces de la nature déchue pour admettre la possibilité sans la grâce d’un amour naturel de Dieu par-dessus foutes choses, voir Occam, dans Denifle, » />. cit., p. 122, ainsi que Biel, Ibid., p. 1 17-1 18, et, ce qui en est le principe ou la conséquence, d’une suffisante observation de la loi morale. Actes qui deviennent tout naturellement dispositio ultimata et suffleiens de congruo ad gratta tnfusionem. Biel, cité ibid., p. 149. C’est pourquoi l’adage traditionnel se présente ici « gène ralement parlant », Denifle, ibid., p. 171, avec une