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JUSTIFICATION. LE MOYEN AGE : SYSTÈMES D'ÉCOLE
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L’existence de prétendus « réformateurs avant la

Réforme » est due à la même illusion d’optique. Fr. Pfeifïcr, op. cit., p. xxiii, déclare expressément, contre l’ilmann, op. cit., t. ii, p. 251-256, que « la Tlicologie germanique n’a rien de protestant. > Et il en faut dire autant desautresmystiqu.es. Aucun d’entre eux, pas même Wesscl, constate mélancoliquement Thomasius, op. cit.. p. -139, n’a saisi la doctrine de la justification dans sa pleine pureté. Pour l’ilmann luimême, op. cit., t. i, p. 90, « la doctrine de la justification par la foi ne se présente pas encore chez Goch comme le point central qui domine tout, ainsi qu’elle le sera chez les Réformateurs. » Et Ritschl, op. cit., p. 132, a beau jeu de lui opposer que les extraits qu’il en donne, t. i. p. 77-79, parlent de la grâce comme de l’amour de Dieu infusé en nos âmes et devenant le principe de nos œuvres saintes, c’est-à-dire qu’ils reflètent la pure doctrine catholique de la sanctification.

Chez Wessel également, « on rencontre la même double direction que chez tous les théologiens pratiques du Moyen Age, savoir que la justification rend les mérites possibles et qu’on doit en faire abstraction pour s’abandonner à la grâce de Dieu. » A. Ritschl, op. cit., p. 129-130. Et l’auteur de faire plus loin, p. 132-133, la même démonstration pour Savonarole, WicJef et Jean Hus, dont les protestants se sont tant de fois réclamés. Quoi qu’il en soit des hardiesses de leur pensée sur d’autres points, leur doctrine de la justification ne sort pas de la ligne catholique. Voir dans le même sens Loofs, op. cit., p. 636 et 658.

r) Pessimisme des mystiques. — Il n’est pas douteux cependant que les mystiques en général étaient portés à déprécier l'œuvre de l’homme au profit de la grâce de Dieu. Quelques-uns ne semblent pas, à cet égard, avoir échappé à toute exagération.

Témoin libertin de Casale. qui parle ainsi de luimême : « Le Seigneur l’a relevé de ses chutes presque malgré lui. Il ne pouvait rien de lui-même, le péché lui commandait en maître. Aussi ne songe-t-il pas à s’attribuer le mérite du peu de bien que Dieu lui a permis de faire : tout l’honneur en revient au divin Maître, qui aime à manifester sa toute-puissance et sa miséricorde inlassable en faisant coopérer à sa gloire même les plus méchants. » Autobiographie spirituelle. analysée dans P. Callacy, Étude sur Ubcrtin de Casale, Louvain. 1911, p. 14. Sur quoi le biographe de remarquer : « libertin suit en tout point la théorie de l’impuissance pratique de l’esprit humain en face de la chair et du péché qui l’habite exposée par saint Paul, Rom., vii, 20 sq. »

On trouverait sans doute bien d’autres passages de ce genre et ce mysticisme, plus ou moins associé aux théories augustiniennes de la concupiscence, atteste l’existence d’un courant pessimiste qui n’a jamais cessé dans l'Église et qui a pu entraîner parfois quelques écoles ou quelques individus à de véritables excès. Mais il serait non moins excessif de transformer en doctrines arrêtées ce qui n'était que de simples tendances, et ces poussées extrêmes ne doivent pas, au demeurant, donner le change sur les perspectives de l’ensemble. Ces tableaux poussés au noir de la misère humaine ont leur contre-partie dans ce que d’autres mystiques moins sombres, et souveut les mêmes, nous « lisent de la noblesse et de la puissance d’une âme régénérée par le Christ.

Au Moyen Age comme auparavant, et chez les mystiques non moins que chez les théologiens, il reste vrai que « l’appel à la grâce et le renoncement au mérite s’associent dans l'Église catholique avec le souci d’une conduite correcte. > Et loin de présenter un caractère exceptionnel, cette association constitue, « dans un certain sens, un des traits perpétuels et caractéristiques du catholicisme romain. » A. Ritschl, op. cit.,

p. 135. Pour la preuve, voir le dossier liturgique réuni dans Denifle, trad. Paquier. t. ii, p. 327-303, avec les commentaires extraits des auteurs du Moyen Age qui en font déjà ressortir la valeur.


III. Systèmes d'école. Ces données tradition nelles communes à tous soulèvent cependant bien des problèmes auxquels l’esprit spéculatif du Moyen Age ne manqua pas de s’appliquer et qui reçurent, comme il arrive à peu près toujours, des réponses diverses en fonction des prémisses rationnelles adoptées par chaque école.

École thomiste.

De toutes la plus connue est

l'école thomiste, qui s’est tellement incorporée avec la théologie moderne que beaucoup n’en soupçonnent pas d’autre. Il sullïra d’en rappeler ici les principaux traits d’après l’enseignement de saint Thomas.

Son caractère dominant est d’accorder à la grâce son maximum de réalisme et de l’encadrer dans les catégories du système aristotélicien. Le plan divin du salut consistant dans la régénération spirituelle de l’humanité, la grâce est et doit être aliquid in anima, Sum. theol., Ia-IIæ, q. ex, a. 1, c’est-à-dire une réalité qui se caractérise par une participation d’un ordre absolument surnaturel à la divinité. En raison de cette surnafuralité essentielle, la grâce ne saurait être en nous une substance, mais seulement 'forma accidentalis ipsius anima-, forme d’ailleurs permanente, qui dépasse la simple « vertu » et répond à la catégorie de la qualité : Gratin redui -itur ad primam speciem quulitatis, nec tamen est idem quod virlus, sed hubitudn qua-dam quas præsiipponitur virhilibus in/usis. Ibid., a. 2 et 3.

De ce chef, sa place est dans l’essence de l'âme, d’où son influence s’exerce ensuit.' sur nos diverses facultés, ibid., a. 4 : ReUnquitur quod gratia. sicut est prjus virliilc, ila habeat subjectuin prius potentiis animée, ita scilicet quod sit in essenlia anima'… Sicut ab esseptiu anima' e/jluunt ejus potentise qu.se sunt opcrumprineipia, ita eliam ab ipsa gratia cfjhiunt virtutes in potentias animée per quas polenU.se movenlw ad actns.

Les cfîets de la grâce sont conformes à son être. Étant une participation à la nature divine, non seulement, elle exclut le péché, mais elle l’exclul essentiellement comme la lumière les ténèbres. Ibid., q. cxiii, a. 8, ad lura. Réciproquement le péché qui ; 'st son contraire ne peut être remis que par l’infusion de la grâce : Non posset intelligi remissio culpæ si non adesset in/nsio gratise. Ibid., a. 2. Aussi la justification du pécheur est-elle un acte unique dont les divers aspects ne sont distincts qu’au regard de la raison : Gratiainjusio et remissio culpæ dupliciler considérai i possunt : uno modo secundum ipsam substanliam actus, et sic idem sunt… ; alio modo possunt considerari ex parle objectorum, et sic differunt secundum difjen nliam culpse quæ tollitur et gratise quas in/unditur. Ibid., a. <i, ad 2um. Il s’ensuit également que la justification se fait in instanti et que l’abstraction logique en peut seule distinguer les divers moments. Ibid., a. 7 et 8.

C’est aussi parce que la grâce est d’ordre essentiellement surnaturel qu’aucun acte naturel ne peut proprement la préparer. On a marqué plus haut, col. 2120, comment saint Thomas a progressivement modifié sur ce point ses opinions de jeunesse et est arrivé à poser nettement en thèse que toute préparation à la grâce est et doit être elle-même un fruit de la grâce. Ibid., q. c : xii, a. 5. Aucune autre conception ne pouvait être logiquement en harmonie avec son. éné

rai du surnaturel.

2° École nominalislc. Tandis que l'école fhon est à base de réalisme, d’autres a côté appliquaient le iiominalisme à la théorie de la grâce et aux problèmes qui en dérivent. Ici. par conséquent, les liensvon ! progressivement se distendre entre le concept du don