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JUSTIFICATION, LA MOYEN AGE : TRADITION DOGMATIQUE


lement chrétienne » du Moyen.Age, lorsqu’elle ne s’exprime pas en discussions d'école mais s'épanche en sentiments pieux devant les grands problèmes de la vie et de la mort. Voir Chemnitz, Examen concilii Trid., pars I a, De justifie, Francfort, 1596, p. 144 : …Doctrinam nostram de justificatione habere testimonia omnium piorum qui omnibus temporibus fuerunt, idque non in declamatoriis rhetoricationibus, nec in oliosis dispulationibus. sed in seriis exercitationibus ptenitentiæ et ftdei. Cf. Loci theol., pars II 3, De justif., ci, Francfort, 1653, p. 227 : … quando conscientia sensu peccati et iræ Dei pressa quasi ad tribunal Dei rapta est. Des théologiens modernes entretiennent encore à cet égard la même confiance. Thomasius, op. cit., p. 432, et Harnack, op. cit., p. 346-347. Tandis, en effet, que la théorie exigeait pour le.salut les mérites et les œuvres de l’homme, la piété tendait à s’appuyer sur la seule miséricorde de Dieu. Mais un examen objectif des textes invoqués s’oppose au parti qu’en veulent tirer les protestants.

1. Saint Anselme.

Comme preuve de cette tendance, on aime citer la célèbre exhortation où saint Anselme invite le pécheur mourant à s’abriter derrière la mort du Christ. In hac » OLA morte totam ftduciam tuam constitue, in nulla alia re fuluciam habeas. Adm. morienti, P. L., t. ci.vin, col. 686.

Lui-même exprime pour son compte personnel, en termes des plus pathétiques, la terreur que lui causent ses péchés à la pensée du jugement, et il n’a plus d’espoir qu’en Jésus. Quid est enim Jésus nisi Salvator ? Ergo, Jesu, propter temetipsum esto mihi Jésus… Rogo, piissime, ne perdat me a iniquitus quod fecit tua omnipotens bonitas. Médit., ii, ibid., col. 725. Et encore, Médit., iv, col. 740 : Cum respicio ad mala opéra quaoperatus sum, si me judicare vis secundum quod merui. cerlus sum de perditione mea ; cum vero respicio ad mortem tuam quam pro redemptionc peccalorum passus es, non despero de misericordia tua. Mais il faut aussi tenir compte qu’Anselme ajoute aussitôt : Unum tantummodo est quod vis… ut de malis noslris pœniteamus et in quantum possumus emendare curemus. Cf. Merf17., iv, col.730, où il exhorte le pécheur aux œuvres réparatrices par cette assurance : Secundum eamdem justitiam qua persévérantes in meditia punit (Deus), resipiscentes a malis bonaque opéra jacientes œlernu mercede rémunérât.

C’est dire que les sentiments d’entier abandon au Christ dont débordent ces textes, ainsi que les Méditations ix-xi, ibid., col. 749-769, s’entendent sous le bénéfice de notre lo aie collaboration et qu’Anselme est bien toujours le même docteur qui demande pour bénéficier de l'œuvre rédemptrice qu’on se l’applique sicut oportet. Cur Deus homo, ii, 20, ibid., col. 429. 1 arce que cette application est toujours imparfaite, il y a lieu de ne pas compter sur ses propres mérites ; mais elle n’en est que plus nécessaire pour cela. Le mysticisme chez Anselme vient suppléer le déficit de notre œuvre morale, non supprimer celle-ci, et il ne s’en reprocherait pas l’insuffisance s’il ne la tenait pour indispensable. En quoi il associe très heureusement cette part de Dieu et de l’homme que l'Église ne voulut jamais séparer.

2. Saint Bernard.

Il en est de même chez le mystique par excellence du Moyen Age, savoir l’abbé de Clairvaux, dont l’autorité fut si grande en son temps et l’influence si considérable dans la suite.

Aucun docteur médiéval n’a été davantage exploité par les protestants. Luther invoquait déjà son patronage contre Cajétan, Acta augustana, 1518, dans Opéra latina var. argum., Erlangen, 1865, t. ii, p. 381-383. Jusque dans les temps modernes, ce ne sont pas seulement des théologiens, comme Thomasius, op. cit.. p. 135-137, qui le veulent inscrire au Catalogua te

iium verilatis, mais des historiens qui découvrent en lui des pensées parallèles à celles des réformateurs. Loofs, op. cit., p. 524-525, après Ritschl, op. cit., p. 112-115, et Theol. Studien und Kritiken, 1879, p. 317-331.

a) Nature de la justification. — Quelques textes de lui, qui semblent ramener la justification à la simple non-imputation des péchés, ont été discutés à l’art. Bernard (Saint), t. ii, col. 777-778. Il en résulte que saint Bernard ne conçoit pas la justification du pécheur sans la communication intime d’un don divin qui sanctifie et régénère son âme. Aux passages cités on ajoutera le beau parallèle qu’il établit entre l’action du premier et du second Adam, pour montrer que la justice de celui-ci a pu et dû devenir nôtre, plus encore que la faute de celui-là : Justum me dixerim, sed illius justitia… Quæ ergo mihi justifia fada est(l Cor., i, 30) mea non est ? Si mea trad.cta culpa, cur non et mea indulla justitia ? Tract, de err. Abœlardi, vi, 16, P. L., t. clxxxii, col. 1066.

Les endroits où Bernard paraît tenir un langage contraire s’expliquent par ces réminiscences bibliques dont son style est toujours rempli et aussi par la tournure mystique de son esprit, qui le porte à marquer, soit pour rappeler l’homme à l’humilité, soit pour rendre à Dieu ce qui lui est dû, que la grâce, loin d'être un produit de notre nature, lui est en somme étrangère tout en devenant sienne.

b) Conditions de la justification. — Cette même tendance se retrouve en ce qui concerne les conditions du salut.

A n’en pas douter, saint Bernard aime dire, avec saint Paul, que nous sommes justifiés gratuitement par la foi. In festo Annunt., serm. i, 3, t. clxxxiii, col. 384. II ajoute même une fois que c’est par la foi seule. In Cantica, serm. xxii, 8, col. 881. Et il ne semble pas moins catégorique pour exclure nos mérites : Non est quo gratia inlret ubi jam meritum occupavit… Nam, si quid de proprio inest, in quantum est gratiam cedere illi necesse est. Deest gratia' quidquid meritis députas. Ibid., serm. lxvii, 10, col. 1107. Mais l’orateur de continuer tout aussitôt par ces paroles qui donnent la clé de sa pensée et que les protestants oublient trop souvent de reproduire : Nolo meritum quod gratiam excludat. C’est dire que l’abbé de Clairvaux a ici en vue un mérite qui serait l'œuvre naturelle de l’homme. Mais condamner, avec saint Augustin et toute l'Église, le mérite qui exclut la grâce, n’est-ce pas déjà sousentendre qu’avec la grâce le mérite devient possible et nécessaire ?

Saint Bernard s’en explique formellement dans un sermon voisin, où sont équilibrées en ingénieuses antithèses les doubles données de ce problème : Sujficit ad meritum scirc quod non suffeiant mérita. Sed, ut ad meritum satis est de meritis non præsumere, sic carere meritis satis ad judicium est… Mérita proinde habere cures ; habita, data noveris… Perniciosa paupertas penuria meritorum ; præsumptio autem spiritus, fallaces divitise. Félix Ecclesia, cui nec meritum sine prœsumptione, nec præsumptio absque meritis deest. In Cantica, serm., lxviii, 6, col. 1111. Cf. De gratia et lib. arbitrio, xiii, 43. et xiv, 49-51, t. clxxxii, col. 1024 et 1028-1030. L'évidence de ces textes finit par s’imposer aux plus impartiaux des protestants eux-mêmes, qui reconnaissent que, pour saint Bernard, la grâce appelle le mérite, loin de l’empêcher. Deutsch, art. Bernhard, dans Realencyclopàdie, t. ii, p. 635. Il n’est pas jusqu'à Ritschl, op. cit., p. 111, qui ne soit obligé d’admettre que les principes fondamentaux de saint Bernard sont parfaitement catholiques.

Aussi l’abbé de Clairvaux réclame-t-il pour le salut la foi au rédempteur, mais une foi qui se développe en charité. Ni.m nec Spiritus datur nisi credentibu*….