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JUSTIFICATION, LE MOYEN AGE : TRADITION DOGMATIQUE


foi seule par opposition aux œuvres de la Loi. Ainsi saint Bruno : Fides sola justificat sine opère Legis, col. 41-42, et Denifle, p. 35-36 ; saint Thomas, In Rom., x, 13, ibid., p. 143 ; Gilbert de Saint-Amand, p. 31 et 32. Quand ils se réfèrent aux conditions subjectives de la justification, la foi est pour eux celle qui opère par la charité Ps. -Gilbert, dans Denifle, p. 41. La foi seule n’est admise que pour le cas des enfants Raoul de Laon, ibid., p. 37. Quant aux autres, ils doivent y ajouter les œuvres ; Glosulæ, p. 85 : Pueris sola fides suffîcil ; si autem uixerint, ornare debent fidem operibus, quia fuies sine operibus mortua est. Cf. Claude de Turin, ibid., p. 13 ; Hayinon, p. 20 ; Thietland, p. 27. Jusiitia. id est exsecutio bonorum operum per quam justitiam habetur salus seterna, précise saint Bruno, ibid., p. 34. et P. L., t. cliii, col. 23. On trouvera toutes ces explications réunies et harmonisées chez Hervé de BourgDieu, Expos, in Epist. ad Rom., i, 16-17, P. L., t. clxxxi, col. 608.

Est-il besoin d’ajouter, puisqu’elles sont subordonnées à la foi, qu’il s’agit d'œuvres surnaturelles ? Tout en reconnaissant que ces vieux exégètes de l'époque carolingienne se rattachent aux principes de saint Augustin en matière de grâce, F. Loofs a parlé à leur sujet de « crypto-semipélagianisme ». Leitfaden der Dogmengeschichte, p. 460-462. Ce reproche tombe devant des déclarations aussi précises et aussi équilibrées que celles de Walafrid Strabon, dont la glose fut le bréviaire de tout le Moyen Age : Justifieari hominem sine operibus legis. Non quin credens post per dilectionem debeat operari… ; sed sola flde sine operibus præcedentibus homo fit justus… et non meritis priorum operum ad justitiam fidei venitur… Bona opéra etiam unie fidem inania sunt. Doctrine que quelques mss. résument en cette formule : Sine operibus præcedentibus, non sequentibus, sine quibus inanis est fides, ut ait Jacobus. Denifle, p. 18, et P. L., t. cxiv, col. 481. Cf. In Jac, ii, 19-21, ibid., col. 674-675. Même précision, à la fin du xiie siècle, chez l’auteur anonyme des Quæstiones super epistolas Pauli, q. 246 : Justitiam per gratiam esse, quia non solum gratia venitur ad fidem, sed etiam post fidem gratia necessaria est, ut fides bonis operibus adimpleatur quorum adimpletio jusiitia dicitur. Denifle ; p. 71. Et l’on explique, au besoin, par l’analyse psychologique comment la foi peut devenir la source de la justice ou de la charité. Voir Ps. -Gilbert, ibid., p. 43 ; Qusesl. lxxxviii et i.xxxix, p. 74 ; Robert de Melun, p.80 ; Pierre deCorbeiI, p.92-93 ; glose anonyme sur P. Lombard, p. 96-37

Jusque dans l’inévitable dispersion de l’exégèse, les éléments constitutifs de la doctrine traditionnelle en matière de justification ne manquent pas de se retrouver.

Chez les scolastiques.

Il n’entrait point dans

l’esprit et les méthodes de l'École d'étudier la justification, ainsi que devait le faire la Réforme, comme le phénomène psychologique par lequel l'âme coupable a le sentiment de retrouver l’amitié de Dieu. C’est sous son aspect dogmatique, c’est-à-dire comme opération de Dieu en nous, que les théologiens l’ont toujours envisagée. A ce titre elle a sa place bien déterminée dans leur synthèse de l’ordre surnaturel.

1. Agents de la justification.

En toute rigueur, la justification étant, dans son acception la plus générale, motus ad justitiam, ce terme pourrait convenir.abstraclion faite de tout péché, au don initial de la grâce, per modum simplicis generationis qui est ex privatione ad jorinam. Mais la langue chrétienne l’applique d’ordinaire au rétablissement de l’amitié divine, secundum ralionem motus qui est de contrario in contrarium et secundum hoc juslificatio importât transmutationem quamdam de statu injustifiée ad slatum justitiæ prædiclæ. Cette analyse de saint Thomas, Sum. theol., I » IL*,

q. cxiii, a. 1, répond à la pensée de toute l'École.

De ce chef, la justification est corrélative à la rédemption. Le premier agent de l’une comme de l’autre est nécessairement Dieu. Car la justification a pour terme la grâce, et la grâce est une réalité intrinsèquement divine. Ibid.. q. cxii, a. 1. De même elle suppose la rémission du péché que Dieu seul peut accomplir. Ibid., q. cix. a. 7. Voir Grâce, t. vi, col. 16331634. C’est pourquoi la justification est une œuvre divine dont l’importance ne saurait se comparer qu'à la création. Ibid., q. cxiii, a. 9.

Néanmoins Dieu a voulu qu’elle nous fût acquise par les mérites du Rédempteur. Saint Anselme avait mis en évidence la nécessité d’une satisfaction poulie péché et la valeur surabondante à cet égard de la mort du Fils de Dieu. Un moment compromise par Abélard, cette base objective de notre salut avait été énergiquement défendue par saint Bernard, et Pierre Lombard avait fixé l’essentiel de la foi traditionnelle en maintenant que le Christ nous a mérité la grâce de notre réconciliation. /// Sent., dist. XVIII, P. L., t. cxcii, col. 792-795. Voir J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Essai d'é udes historiques, p. 346-351. Il ne restait plus à l'École qu'à recueillir paisiblement les résultats de la controverse. Ainsi le docteur angélique note-t-il, parmi les effets de la passion, non seulement que par elle nous fûmes liberati a potestate diaboli, mais liberati a peccato, a peena peccati et, d’un mot, Deo reconciliati. IIP, q. xlix, a. 1-4.

C’est pourquoi, lorsque les docteurs commencent à élaborer le schéma des causes de la justification, l'œuvre rédemptrice du Christ reçoit le rang de cause efficiente : per rcdenjptionem tanquam per causam unioersalem et eflicientem. Pierre de Tarentaise, dans Denifle, p. 149. D’une manière plus exacte et plus complète, Jean de la Rochelle précise qu’il s’agit là de la cause -secondaire, la première et la principale étant Dieu lui-même. Ostendil causam efficientem justificationis, que triplex est : principalis sive prima, scil. Deus, que notatur cum dicitur « quem proposuit Deus » ; med.a Christus, que notatur cum dicitur « propitiatorem » e/conj. ncla, cum dicitur « per fidem in sanguine ipsius », id est per fidem passionis ejus. Dans Denifle, p. 129.

2. Nature de la justification.

Tout le monde convient que, pour la scolastique, la justification signifie un changement réel introduit dans l'âme du pécheur. A. Ritschl, op. cit., p. 106. Il n’est pas, en effet, de vérité plus intimement liée à la tradition médiévale. Mais une doctrine aussi centrale, et qui est, à vrai dire, le confluent de toute l’anthropologie surnaturelle, mettait en jeu des éléments tellement nombreux et divers qu’on peut s’attendre à ce qu’elle ne soit pas saisie du premier coup dans toute sa perfection. De fait, un développement s’y manifeste, dont la scolastique du xme siècle représente l’apogée.

a) Première scolastique. — La théologie des xie et xiie siècles reste dominée, dans son ensemble, par un augustinisme des plus rigides.

Un des points qui intéressent la, question présente, c’est que le péché originel y est encoie plus ou moins étroitement' confondu avec la concupiscence. Voir Péché originel, et J.-N. Espenberger, Die Elemente der Erbsiinde nach Augustin und der Frùhscholastik, Mayence, 1905, p. 85-154. D’où non seulement une sorte de tare congénitale qui emporte la dépréciation de la nature humaine et de ses œuvres natives, mais des conséquences sur l’idée même de la justification. Celle-ci ne consiste pas dans la rémission entière de la faute originelle, puisque la concupiscence subsiste toujours en nous, mais dans le fait que ce désordre ne nous soit plus imputé comme coupable.

Hugues de Saint-Victor, qui admet cette conception du péché originel, voir t. vii, col. 276-277, et que la