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JUSTIFICATION, LE MOYEN AGE : TRADITION DOGMATIQUE


articulo semper fuit usurpata. Et il se croyait en droit d’ajouler : Veteres in eamdem plane sententiam usurpasse particulam « sola » sicut in nostris Ecclesiis usurpatur.

Mais aujourd’hui les historiens protestants les imins prévenus renoncent à ces sortes d’anticipations. « On s’efforcerait en vain de trouver chez aucun théologien du Moyen Age le concept protestant de la justification, c’est-à-dire la distinction intentionnelle entre justificatio et regeneratio… Si parfois ils semblent parler le langage de la Réforme, c’est dans un tout autre sens, et la tentative de réunir ces expressions au profit de la doctrine réformée, telle qu’elle s’affirme dans Gerhard, est fortement suspecte d’illusion par suite d’observation inexacte. On dit aussi, au Moyen Age, que la foi seule appartient à la justification, que celle-ci est accordée gratuitement, qu’elle n’est pas conditionnée par nos mérites… : mais ce langage recouvre de tout autres conceptions théolo< : iques que les formules similaires des réformateurs. » A. Ritschl, op. cit., t. i, p. 105-107. De tels aveux autorisent à considérer la question comme jugée et permettent, en tout cas, de s’en tenir à une enquête rapide pour constater la permanence de la tradition catholique à travers les sources diverses où la pensée médiévale se montre à nous sous la variété de ses aspects.

Chez les exégètes.

Luther a prétendu qu’il lui

fallut de longues méditations pour trouver le sens de cette « justice de Dieu » qui, d’après saint Paul, Rom., i, 17, est le grand bienfait de la révélation évangélique. Usu et consuetudine omnium doetorum, assure-t-il, doctus eram philosophice intelligere de justifia, ut vocant, formali seu activa, qua Deus est justus et peccatores injustosque punit. A rencontre de cette unanimité, il aurait fini par découvrir le sens tout contraire de ce texte capital : Ibi justitiam Dei cœpi intelligere eam qua justus dono Dei vivit…, scilicet passivam qua nos Deus misericors jusli/ical per fidem. Et cette découverte l’aurait acheminé vers la véritable doctrine de la justification. Préface générale à l’ensemble de ses œuvres écrite par Luther en 1545, Opéra latina var. argum., édit. d’Erlangen, 1. 1, p. 22-23. Cf. Exegelica opéra latina, même édit., t. vii, p. 74.

Or le P. Déni fie, après avoir brièvement relevé cette allégation, Luther und Lutherlum, 1. 1, p. 387-388 et 413-414, trad. Paquier, t. ii, p. 316-318 et 366-367, n’a pas craint de mettre formellement en cause la bonne foi de Luther sur ce point. Pour en faire la preuve.il a publié en volume tout le dossier exégétique relatif à ce texte ou aux textes apparentés, d’après une soixantaine environ de commentateurs qui se succi dent à travers tout le Moyen Age. Ses conclusions ont été aigrement discutées par G. Kawerau, Studien und Kritiken, 1904, t. lxxvii, p. 614-619, et, plus tard par K. IIoll dans la Festgahe consacrée au 70e anniversaire du professeur A. Harnack, Tubingue, 1921, p. 73-92. Quoi qu’il en puisse être de quelques détails, et abstraction faite de ses tendances polémiques, la publication documentaire du P. Déni lie garde toute sa valeur pour montrer que l’unanimité existe en effet, dans l’exégèse médiévale de saint Paul, mais dans le sens exactement opposé à celui que prétendait l’initiateur de la Réforme. Voir l’hommage que lui rend A. Harnack, Dogmengeschichte, t. m. p. 033.

1. Sature de lu justification. Son loquitur hic

(apostolus) de juslitia acquisiia que ex operibus gèneratur, sed loquitur de juslitia infusa que a solo Dca est causaliter effective, que est gratia gratum faciens sive cari tas infusa. Ipsa enim secvndum qmnes a solo Dca creatur… et creando anime injunditur. (’.'est ainsi que s’exprime sur la justice, à propos de II Cor, iii, 9, le viennois Nicolas de Dinkelsbûhl († 1433). Denitle,

p. 246-217. Non moins formel est son contemporain Denys le Chartreux, à propos de Rom., x, 3, Enarr. in Rom., a. 14 : COMMUNITER enim dicunt doctores non esse intelligendum hoc de increata justifia qua ipse in se justus est, sed de justifia quam efficit in nobis per /idem formatam. Opéra omnia, t. xiii, Montreuil, 1901, p. 82. et Déni fie. p. 258.

Un langage aussi ferme atteste que ces témoins du xv siècle sont l’écho d’une longue tradition, dont il est facile, en effet, de vérifier l’existence. Hase est justifia Dei quie, in testamento vetere velata, in novo revelatur, quæ ideo justifia Dei dicitur quod impertiendo eam justos facit, écrit, au IXe siècle, Claude de Turin, précisément sur Rom., i, 17, Denifie, p. 13. Formule qui reparaît chez Rémi d’Auxerre, au xe siècle, ibid., p. 19, et est reproduite par Pierre Lombard, ibid., p. 58. Chez Lanfranc, au xie, la justice signifie également qualiter Deus justos faciat credentes ; Denifie, p. 28. Justifia dicitur quia quos continet justos efficit, dit pareillement Guillaume de Saint-Thierry, au xii e. P. L., t. ci. xxx, col. 557, et Denifie, p. 53. Non qua justus est Deus, précise son contemporain Hervé de Rourg-Dieu, sed qua induit hominem cum jusiificai impium. Denifie, p. 55, et P. L., t. clxxxi, col. 638. Pierre Lombard appuie la même interprétation sur l’autorité de saint Augustin : Non qua Deus justus est, sed qua’homini est ex Deo, id est quam Deus dat homini, Denifie, p. 63, et P. L., t. cxci, col. 1473. Saint Thomas, tout en rappelant d’après l’Ambrosiaster que la justice de Dieu peut désigner ici la fidélité à ses promesses, ne manque pas d’ajouter qu’elle s’entend aussi de justifia Dei qua Deus homines justifical. Denifie, p. 137.

Ces témoignages n’ont pas seulement un intérêt exégétique. En montrant comment le Moyen Age a compris saint Paul, ils attestent aussi que ces divers auteurs se rattachent unanimement à la conception augustinienne, qui fait de la justification une propriété inhérente à l’âme et comme une extension en nous de la sainteté même de Dieu.

2. Conditions de la justification. — Bien qu’elle soit d’origine essentiellement divine, cette grâce requiert le concours de notre volonté. Non quod sine voluntate nostra fiai, sed voluntas nostra ostenditur infirma per legem ut sanet gratia voluntafem, avait dit saint Augustin, De spir. et litt., ix, 15, P. L., t. xi.iv, col. 209. Cette expression est reproduite littéralement par Guillaume de Saint-Thierry, Denifie, p. 54, et P. L., t. clxxx, col. 578, par Pierre Lombard, P. L., t. cxci, col. 1361, et encore, au xve siècle, par Augustin Favaroni, Denifie, p. 229-230. Ailleurs elle est synthétisée en une formule encore plus énergique : Non quod sine Doluntate nostra, sed quod non ex ea, que l’on trouve chez Gilbert (de Saint-Amand ?) au xie siècle. Denifie. p. 33.’Quand ils envisagent la part qui revient à l’initiative divine, nos auteurs font ressortir avec saint Paul, le bienfait de la rédemption et il leur arrive de dire alors que nous ne sommes sauvés que par la foi. Dans ces perspectives dogmatiques, l’expression sola fuie est courante. Voir par exemple l’abbé Smaragde, Coll. in Ep. et Evang., 1’. L., t. en, col. 1 15 et 526 ; Diadema monach., 51, col. 649 : Sedulius Scotus, Coll. in Rom.. iv, P. L., t. ciii, col. 17 : Raban Maur, Enarr, in l-.p. ad Rom., n. P. L., t. < :.i, col. 1313, et Denifie, p. 16 ; Lanfranc, dans Déni lie, p. 29 : saint Bruno, Exp. in Rom., iii, P. L. t. ci.iii, col. 1 1 : et encore, au u f siècle, les Glosulæ Glosularum. Denitle, p. 85. Cette formule, prise la plupart du temps chez les Pères et toujours inspirée de leur langage, n’a pas d’autre portée que chez eux.

D’autant que nos auteurs ont grand soin d’expliquer avec saint Paul qu’ils entendent parler de la