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JUSTIFICATION. LE MOYEN AGE : TRADITION DOGMATIQUE

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il fait entrer la justification, /// Sent., dist. XIX, 1, col. 795. Chemin faisant, dans une glose qui devait susciter plus tard beaucoup de commentaires, il semble donner le Saint-Esprit comme principe formel de la grâce sanctifiante, // Sent., dist. XXVI 1, 6, col. 715. Cf. /, dist. XVII, 2 et 18, col. 564 et 569. Par où il a donné une puissante impulsion à l’approfondissement de cette doctrine. Schwane, Dogmengeschichte, t. iii, p. 448, traduction Degert, t. v, p. 178-179.

Mais, dans l’ensemble, ces premiers débuts de la scolastique n’offrent encore, pour la théologie de la justification, que des indications et des éléments dispersés.

Apogée de la scolastique.

Ici encore la situation

reste pour une bonne part la même, et pour les mêmes raisons. Non seulement la justification n’est généralement pas traitée, dans les Sommes, sous forme de problème spécial ; mais les données relatives à la doctrine de la grâce restent le plus souvent éparpillées en divers endroits. Cependant le développement général de la méthode et l’effort de systématisation qui en est le résultat arrivent, ici également, à faire sentir leurs effets.

1. Causes.

D’une part, un des principaux progrès

de la scolastique sur l’ancien augustinisme est la distinction plus nette des deux ordres, naturel et surnaturel. Voir Augustinisme, t. i, col. 2531.

Il devait en résulter un besoin général et croissant de mieux délimiter les rapports entre le premier et le second, d’analyser, par conséquent, la portée de notre libre arbitre et de ses œuvres quant à l’acquisition de la grâce en général et particulièrement de la première grâce. C’est ainsi que le P. Stufler a pu réunir, à travers les écrits de saint Thomas, tous les éléments d’une étude sur sa doctrine de la préparation éloignée à la justification. Zeitschrift fur kalh. Théologie, 1923, p. 1-24 et 161-184. Et l’on en trouverait autant chez les autres scolastiques. D’une manière générale il est reconnu que c’est alors que s’élaborèrent les notions, si importantes pour notre problème, du mérite de condigno et de congruo. Voir Mérite. On commence même à rencontrer en ces matières, autour des certitudes communes de la foi, ces divergences d’école qui ne cesseront plus dans la théologie de la grâce, en connexion avec l’idée qu’on se fait de la chute et de ses conséquences sur les forces de notre nature. Voir Péché originel.

En même temps l’étude de la rédemption devait amener celle de la justification qui en est. le fruit et l’on ne pouvait parler de grâce, dans un siècle d’analyse gagné aux catégories d’Aristote, sans en chercher la nature intime, les relations avec le péché qu’elle fait disparaître, la position ontologique par rapport aux facultés de l’âme et l’influence dynamique sur l’ensemble de notre activité. C’est ainsi que se constitue une technique de l’état surnaturel, dont devait profiter l’étude de l’acte justificateur qui en est le premier moment.

2. Résull it littéraires.

Les matériaux groupés par le maître des Sentences et les commentaires qu’il y ajoute forment ici la première base, sur laquelle le travail méthodique de l’École élèvera peu à peu l’édifice.

Il est déjà très avancé chez Alexandre de Halès, dont l’importance historique, bien mise en évidence par K. Heim, Dus Wesen der Gnade bei Alexander Halesius, Leipzig, 1907, p. 35-63, tient à ce qu’il a réalisé, la première et sans doute la plus complète application de l’aristotélisme à cette matière. Cf. Seeberg, Dogmengeschichte, p. 326. Mais ici encore la place d’honneur revient à saint Thomas d’Aquin, à qui les pages consacrées par lui à l’état surnaturel ont mérité, même aux yeux des protestants, d’être

appelé le « docteur de la grâce par excellence ». Harnack, Dogmengeschichte, t. m. 4e édit., p. 621. Ces pages constituent pour nous la meilleure synthèse de la théologie du temps.

3. Résultats théologiques.

Il en résulte pour le problème de la justification un double progrès : progrès formel, par le groupement d’un certain nombre de questions connexes auxquelles chaque docteur devra désormais s’efforcer de rér ondre ; progrès réel parla précision des idées elles-mêmes.

C’est ainsi que le commentaire des Sentences amène saint Bonaventure à disserter de gratinquidditate et de gratia in comparatione ad alium habitum. In II Sent., dist. XXVI et XXVII, édition de Quaracchi, t. ii, p. 630-661, et que saint Thomas consacre à la justifîcatio impii une étude assez poussée parmi les « effets de la grâce ». Sum. theol., Ia-IIæ q. cxiii. De cette technique on retrouve les traces jusque chez les exégètes, témoin le thème classique des « causes de la justification » qui reparaît chez un si grand nombre à partir du xme siècle. Voir Jean de la Rochelle, dans Denifle, op. cit., p. 129 ; Pierre de Tarentaise, p. 149 ; Agostino Trionfo, p. 168 ; Alexandre d’Alexandrie, p. 184 ; Nicolas de Lyre, p. 191, etc.

Trop de facteurs présidaient à ce travail pour que le résultat pût en être uniforme. Aussi bien, en cette matière comme en toutes les autres, voit-on se dessiner, sur le fond commun du christianisme traditionnel, des courants provoqués par les tendances philosophiques et théologiques propres à chaque école. Leur variété et parfois leur hardiesse ont donné le change à certains historiens, qui ont voulu transformer en contradictions ou hésitations sur la foi ce qui n’était que divergence dans les conceptions spéculatives. Mais, à ce point de vue, grand est leur intérêt, puisqu’on en retrouve partout l’influence à pa.tir du xme siècle et jusque dans la rédaction des décrets du concile de Trente.

Pour faire leur juste part à ces divers éléments sans en fausser l’importance respective, il y a donc lieu d’étudier séparément la tradition dogmatique telle qu’elle s’affirme à travers le Moyen Age et les principaux systèmes qui s’efforcèrent en même temps d’en réaliser l’élaboration.


II. Tradition dogmatique. —

Il n’est pas de période qui soit plus sévèrement jugée que le Moyen Age chez les polémistes protestants. Ce serait, dans la doctrine aussi bien que dans la pratique, le règne complet de la Loi et des œuvres au détriment du vrai christianisme. Thomasius, op. cit., p. 432. Et l’auteur d’ajouter, ibid., p. 439-440, que cette décadence était le fait d’une disposition providentielle pour préparer les âmes, par l’expérience de ce nouveau pharisaïsme, à la prédication du pur Évangile que Luther devait leur offrir. C’est dire combien est indéniable, pour qui regarde les faits sans parti pris, la continuité de la tradition catholique à cette époque.

Les protestants ont essayé de s’en consoler en cherchant quelques lueurs jusque dans cette nuit obscure. Et ils ont cru les trouver dans quelques textes où s’affirmerait l’idée de la justification par la seule foi ou de la justice imputée qui en est la conséquence. Ces sortes de dossiers tiennent une place considérable chez les controversistes du xvr’siècle. Voir en particulier H. Hamelmann, Unanimis… consensus de vera justificatione hominis, p. 45-53 et 72-80 ; Gerhard, Confessio catholica, t. II, pars III, art. xxii, c. 3, 4 et 6, Francfort, 1679, p. 1465-1474, 1485-1494, 15161518. Chemnitz écrivait avec une absolue confiance, Loci theologici, pars II ?, De justificatione, C. 4, Francfort, 1653, p. 285 : Particula « sola fide » in articula justipcationis non a nosiris primum excogilata est, sed in iota antiquitale summo consensu in hoc