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JUSTIFICATION, LA DOCTRINE AU MOYEN AGE’2100

. Doctrine catholique : Essence de la justification. — Sans aborder encore précisément ce problème d’école, saint Augustin ici encore a posé tous les principes qui devaient aiguiller la spéculation postérieure.

D’une part, sa philosophie platonicienne ne lui permet pas de comprendre que, même dans l’ordre naturel, les êtres puissent être bons si ce n’est dans la mesure où ils participent au souverain Bien. A plus forte raison dans l’ordre surnaturel, que nous sommes incapables d’atteindre par nous-mêmes, notre sainteté ne peut être qu’un écoulement en nous de la sainteté substantielle de Dieu. L’exégèse vient confirmer cette métaphysique et l’évêque d’Hipponc aime ramener, après saint Paul, toute l’économie rédemptrice à une manifestation de la « justice » divine. Non qua Deus juslus est, précise-t-il, sed qua induit hominem cum justifleat impium. De spir. et lift., ix, 15, t. xliv, col. 209. Cf. ibid., xi, 18, col. 211 : Ideo justitia Dei dicitur quod imperliendo eam justos jacit. La justice ainsi comprise a pour synonyme ou tout au moins pour équivalent la charité. Charitas quippe Dei dicta est difjundi in cordibus noslris, non qua nos ipse diligit sed qua nos jacit dilectores suos, sicut justitia Dei qua justi ejus munerc c/ficimur. Ibid., xxxii, 56, col. 237.

Sous ces diverses expressions s’accuse une même conception de la grâce, qu’il faut considérer comme une réalité dont la source est en Dieu, mais dont nous sommes appelés à devenir participants. Parfois ce don divin semble identifié avec le Saint-Esprit : Eum (Spiritum Sanclum) donum Dei esse, ut Deum credamus non seipso in/erius donum dure. De fuie et sijmbolo, ix, 19, t. xl, col. 191. Cf. Ps.-Augustin, Serm., clxxxii, 2, t. xxxix, col. 2088. De toutes façons, ce qui importe, c’est que, pour être une justice d’emprunt, notre justice n’en est pas moins réelle : Nos sua(Deus)non nostra justitia justos jacit, ut ea sit vera nostra justitia quæ nobis ab illo est. De gratia Christi et de pecc. orig., I, xlvii, 52, t. xuv, col. 384.

On voit si nous sommes loin de l’imputation protestante. Le P. Dcnifle a rudement relevé les falsifications de textes au prix desquelles Luther a pu se réclamer de saint Augustin. Luther et le luthéranisme, trad. Paquier, t. iii, p. 6-36. Et il est bon de noter que, chez l’évêque d’Hippone, cette doctrine de la grâce s’appuie sur les textes mêmes de saint Paul. De cette théologie et de cette exégèse, le Moyen Age ne manquera pas de recueillir le. bienfait.

2° En Orient s’affirme le même réalisme surnaturel.

1. Erreur des euchites.

On y trouve la trace persistante,

à partir du ve siècle, d’obscurs hérétiques, désignés sous les divers noms de messaliens, d’enthousiastes ou d’euchites, qui, entre autres erreurs, réduisaient au profit de la prière l’eflicacité sanctifiante du baptême. Au rapport de Théodoret, « ils disent que le baptême ne sert de rien à ceux qui s’en approchent ; car, à la manière d’un rasoir, il enlève bien les péchés précédents, mais il n’en extirpe pas la racine. » Hæret. fab., iv, 11, P. G., t. lxxxiii, col. 429. Cf. Hist. Eccl., iv. 10, t. lxxxii, col. 1144-1145, et Nicéphore Calliste, Eccl. hist., xi, 14, P. G., t. cxlvi, col. 615. Le même historien rapporte comment ils furent démasqués par l’évêque Flavien d’Antioche. Ce qui ne les empêcha pas de se survivre assez tard en certains milieux populaires. Voir Euchites, t. v, col. 1454-1465.

Il ne semble pas que cette minimisation de la grâce baptismale ait eu de grandes répercussions théologiques. Pareille théorie heurtait trop directement la tradition pour constituer un danger et appeler des ripostes, ("est sans doute pourquoi les héréséologues successifs se contentent de la signaler, en l’englobant dans la réprobation générale dont ils couvrent les impiétés de la secte. Voir Timolhéc, De recepl. hæret, |

P. G., t. lxxxvi, col. 48, et saint Jean Damascène, De hser., 80, P. G., t. xciv, col. 729.

Peut-être cependant était-elle à l’origine de la consultation qu’adressait à saint Grégoire le Grand la princesse Théoclista, et qui provoqua une réponse très nette de celui-ci : Si qui vero sunt qui dicunt peccata in baptismale super fteietenus dimitli. quid est hac prædicatione infidelius in qua ipsum fulci sacramentum destinant solvere ? Dx quo principalitcr ad cœleslis munditias mi/slerium anima ligatur, ni absoluia radicitus a peccatîs omnibus soli illi(Deo) inhuereat. Et le pape de rappeler à ce propos les figures du baptême dans l’Ancien Testament, qui en signifient la souveraine, efficacité, surtout les promesses du Christ et la scène symbolique du lavement des pieds, pour conclure : Nihil ergo ci (qui lotus est) de peccati sui coniagio remanet quem lotum jatetur mundum ipse qui redemit. Episl., xi, 45, P. L., t. lxxvii, col. 1162. Théodoret avait affirmé de même que nos péchés nous sont remis de telle façon qu’il n’en reste plus de traces. In Ps..YXA7, 2, P. G., t. lxxx.coI. 1088.

2. Doct’ine catholique — Loin de cette chétive controverse, la grande théologie orientale continuait à développer en paix le thème classique de la divinisation. Si l’on a pu dire que cette doctrine « semble plutôt perdre du terrain, » Tixeront, Hist. des dogmes, t. iii, p. 217, c’est comme explication de la rédemption et dans ce sens que s’y ajoutent de plus en plus des vues plus concrètes sur le sacrifice du Christ ; mais elle garde toute sa valeur comme vue théorique de l’état surnaturel.

A cet égard, le maître est saint Cyrille d’Alexandrie, qui utilise cette doctrine, soit pour expliquer l’incarnation, soit pour établir la divinité du Saint-Esprit. Abondantes références au t. iii, col. 2516-2517 et du même auteur dans Revue d’hist. eccl., 1909, p. 30-40. Quand on veut préciser la pensée de Cyrille, il est peut-être difficile de savoir si la grâce est, en définitive, pour lui un don créé ou si elle ne serait pas plutôt la présence mystique du Saint-Esprit dans l’âme. Toujours est-il qu’après Pi tau les modernes partisans de cette dernière thèse se sont surtout réclamés de son nom. Voir Adoption, t. i, col. 426, et Grâce, t. vi, col. 1614. Plus éclectique. Ed. Weigl, op. cit., p. 174-203, reconnaît en lui la double notion connexe d’une grâce créée et d’une grâce incréée, qui sont l’une par rapport à l’autre dans le rapport de la cause à l’effet. Cf. p. 239-244. Dans le même sens, m aïs avec un plus grand souci des nuances, voir J. Mahé, Revue d’hist. eccl., 190, p. 469 sq. Quoi qu’il en soit de ces ultimes précisions, il est clair, en toute hypothèse, qu’Userait difficile de trouver un plus ferme témoin du réalisme surnaturel que le grand alexandrin.

Il fut suivi dans cette voie par toute la théologie postérieure. Voir en particulier le Ps.-Denys, De eccl. hier., i, 3, P. G., t. iii, col. 376 ; S. Maxime, Opusc. theol., t. xci, col. 33 et Epist., xlhi, col. 640 ; Léonce de Byzance, Cont. Nest. et Eutych., ii, t. lxxxvi a, col. 1324, 1348-1352, et surtout S. Jean Damascène, en qui se résume toute la tradition orientale. De fide orth., iv, 4, cf. iii, 5, iii, 18, iv, 9, t. xciv, col. 1108, 1 05, 1072, 1117-1121, et Hom., ix, 2, t. xevi, col. 725.

C’est ainsi que l’Orient est pleinement d’accord avec l’Occident pour concevoir la grâce de la justification comme un don divin que l’homme prépare sans le mériter, mais qui sanctifie réellement notre âme et que celle-ci doit faire fructifier de manière à accroître en elle la vie qu’elle tient de Dieu.


III. LA DOCTRINE DE LA JUSTIFICATION AU MOYEN AGE.

De ces matériaux épais que lui fournissait la tradition patristique, le Moyen Age allait progressivement réaliser la synthèse. Non que la justi-