Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/337

Cette page n’a pas encore été corrigée
2083
2084
JUSTIFICATION. LA DOCTRINE AVANT LE PÉLAGIANISME


tout aussitôt ses lecteurs « à se ceindre les reins pour servir Dieu dans la crainte et la vérité. » Ibid., ii, 1, p. 298.

On sait assez que tout le but du Pasteur d’Hermas est d’inviter les chrétiens déjà relâchés de son temps à mettre leur vie en harmonie avec leur foi et à réparer leurs fautes par la pénitence. Les branches plus ou moins desséchées du saule, Sim., viii, Funk.p. 554 sq., les pierres plus ou moins raboteuses qui doivent entrer dans la construction de la tour, Sim., ix, p. 576 sq., figurent les dispositions diverses des chrétiens et commandent leur sort en conséquence

b) Parce qu’ils s’adressaient à « ceux du dehors », les Apologistes devaient insister davantage encore sur le < : ôté moral du christianisme. Saint Justin se souvient suffisamment de saint Paul pour opposer à Tryphon qu’Abraham obtint la justice par la foi et non par la circoncision, Dial., 92, P. G., t. vi, col. 696 ; mais il enseigne également qu’il n’y a pas d’autre voie de salut que « de reconnaître le Christ, de recevoir le baptême… et de vivre désormais sans péché, » ibid., 44, col. 572, que le Christ couronne ceux qui font pénitence et observent ses commandements. Ibid., 95 et 134, col. 701 et 789. Et quand on voit que David est donné comme modèle dz cette pénitence, ibid., 141, col. 797-800, il est clair qu’elle doit se traduire en actes effectifs.

Telle est, au demeurant, l'évidence de ces textes que Thomasius lui-même, op. cit., p. 422, est obligé de reconnaître que, chez les anciens Pères, contrairement au postulat du luthéranisme, l’amour et les œuvres qui en découlent restent toujours coordonnés à la foi.

2' Débuts de la théologie catholique. — A travers les rares documents qui nous en restent, on a l’impression que la gnose menaçait de troubler cet équilibre au profit d’un mysticisme inquiétant. D’après saint Irénée, les valentiniens abandonnaient les psychiques à l’humble pédagogie de la foi et des œuvres : ce qui est un hommage indirect rendu à la tradition catholique. Quant à eux, ils s’estimaient sauvés [iq Stà KpâEswç àXXà Stà tÔ « pûasi 7rv£Uji.aTixoùç eïvoa, et ce caractère « pneumatique » était à tel point inhérent à leur nature qu’ils ne pouvaient le perdre, quelles que fussent leurs actions. Cont. hær., I, vi, 2, P. G., t. vii, col. 505-508. Semblable était la conviction des disciples de Simon le Magicien, ibid., I, xxiii, 3, col. 672 : ipsius gralia salvari homines, sed non secundum opéras juslas. Voir Tixeront, Hist. des dogmes, 7e édit., t. i, p. 201-202, et, pour Marcion, A. Harnack, Marcion, Leipzig, 1921, p. 17.'i-175.

a) Cette dangereuse tendance explique la position de saint Irénée. Sans doute l'évêque de Lyon ne méconnaît pas le rôle de la foi : Abraham en reste pour lui le type parfait et « ceux-là qui croient en Dieu comme il y crut commencent à être sauvés… ; car, ajoute-t-il, c’est la foi au Dieu très-haut qui justifie l’homme. » Cont. hær., IV, v, 5, col. 986 ; cf. IV, xxi, 1, col. 10431041. Quand il se rapporte au fait de la rédemption, il affirme que les pécheurs justificantur non a semelipsis sed a Domini advenlu ; mais, tout à côté, il dit de la prédication du Christ aux enfers qu’elle convertit omnes gui sperabant in eum… et dispositionibus ejus servierunt. IV, xxvii, 2, col. 1058. La même loi vaut aussi pour son ministère terrestre : Quolquol limebant Deum et sollicili erant clrca legem ejus, qui accucurrerunt Christo et saluati sunt omnes. IV, ii, 7, col. 979. A plus forte raison celui qui croit est-il tenu à l’observation de la loi divine pour être sauvé : Dominas naturalia legis per qu.se. homo justiftcatur, qua : etiam ante legtsdationem cuslodicbant qui fide justifirabantur et placebant Deo, non dissolvit sed extendit. IV, xiii, 1, col. 1006-1007 ; cf. IV, viii, 3, col. 994-990. Voir d’autres références a l’art, [renée, t. vi, col. 2493-2494, et la note érudite « le Peuardent dans P. G., t. vi, col. 1599-1601. Théolo gien tendancieux mais exégète fidèle. A. Harnack, loc. cit., p. 107, a raison d'écrire, après Werner, Der Paulinismus des Ireneeus, Leipzig, 1889, p. 205 : « Sous des paroles pauliniennes se cachent des pensées qui n’ont rien de paulinien. » Ce qui veut dire que l'évêque de Lyon canalise tout naturellement saint Paul dans le grand courant catholique.

Un disciple de Marcion, Apelles, convenait de son côté que, pour être sauvé, il suffit d’espérer dans le Christ crucifié, mais à condition de rester fidèle aux bonnes œuvres. Rhodon. dans Eusèbe, H. E., V, xiii, P. G., t. xx, col. 461. Preuve que le marcionisme luimême conservait ou retrouvait sur ce point l'équilibre doctrinal qui distingue la grande Église.

b) La pensée des fondateurs de la théologie latine est si peu douteuse qu’on leur impute communément d’avoir introduit dans le christianisme occidental les catégories juridiques de satisfaction et de mérite, qui demeureront caractéristique ;, de sa piété. Voir A. Harnack, Dogmengeschichle, 4e édit., 1910, t. iii, p. 14-15, et H. Schultz, Der sittliche Begrifj des Verdienstes, dans Studien und Kritiken, 1894, p. 24-34, dont les vues dominent toutes les histoires protestantes du dogme. Cf. Tixeront, 1. 1, p. 409-410.

Tertullien a des expressions vigoureuses sur le rôle prépondérant de la foi : A fide etiam ipsa vila nostra censetur. De monog., 11, P. L., t. i, col. 995. Cf.Adc. Marc, t. V, c. iii, t. ii, col. 506 : Ut jam ex fidei libertate justificetur homo, non ex legis servitule, quia justus ex fide vivit. Mais il entend que la foi soit féconde en œuvres. Il ne craint même pas de faire une place aux vertus humaines dans la genèse de celle-ci et suggère sans hésiter cette hypothèse aux adversaires qui s'étonnent de voir de braves gens devenir chrétiens : Nonne… ideo christianus quia prudens et bonus ? Apolog., 3, t. i, col. 329. Voir Revue des sciences religieuses, 1922, t. ii, p. 46-47. Une fois converti au Christ, le fidèle doit évidemment conquérir sa récompense en s’appliquant à la pratique du bien : promereri nolle delinquere est, De exhort. cast., 3, t. ii, col. 966, et le pécheur se soumettre à une rude pénitence pour satisfaire à Dieu qu’il a offensé. Voir De pœnitent., 1. 1, col. 1335-1360. On sait que Tertullien est passé au montanisme pour protester contre ce qui lui paraissait le relâchement des catholiques. Au rigorisme près, on trouve dans saint Cyprien la même attitude à l'égard des conditions morales du salut. Voir Cyprien, t. iii, col. 2466.

En analysant les écrits polémiques de Tertullien et les réponses qu’il oppose aux arguments de ses adversaires, A. Harnack croit découvrir chez ceux-ci les traces d’une conception « évangélique ». Pour autoriser le pardon des fautes de la chair, ils en appelaient à la bonté de Dieu, à la valeur de la mort rédemptrice du Christ : double motif d’assurance propre aux croyants, à la différence des juifs et des infidèles. D’où il suivrait que, sinon Calliste lui-même, du moins ses partisans, auraient professé, pour les besoins de leur thèse indulgente, une sorte de justification par la foi. Zcilschri/l fur Théologie und Kirche, 1891, p. 113-122. Mais n’esl-il pas bien téméraire de vouloir reconstituer la doctrine du pape et de ses défenseurs à travers les déformations que lui inflige l’intransigeance du sectaire qui la combat ? Surtout quand il faut reconnaître, p. 123-126, qu' i elle disparaît aussitôt et que saint Cyprien ne la connaissait déjà plus. » Au demeurant, A. I larnack est bien obligé de convenir, loc. cit.. p. 123. qu’il ne s’agissait, pour les catholiques, que

d’adoucissements à introduire dans la discipline péni lentielle. Ce que Callisle en laisse subsister, ce que l'évêque de Cartilage, d' accord avec, Rome, allait bientôt appliquer à la réconciliation des lapsi est assez dur pour ne pas mériter le reproche « le laxisme « t montre que l’Eglise, si elle ne voulait pas fermer toute