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JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT PAUL

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et ne lui apparaissent pas comme à nous clairement distincts. La justification présente, c’est en même temps la justification future : il n’en conçoit qu’une, c’est la justification messianique. Il n’oublie pas cependant que notre vie est encore cachée, attendant son apocalypse, Col., iii, 4, que nous ne sommes sauvés qu’en espérance, Rom., viii, 23, et c’est pour cela qu’il pourra en d’autres circonstances, présenter cette même justification comme future, comme s’accomplissant au grand jour du jugement. » Le problème de la justification dans saint Paul, p. 218. Ce qui suit achève de dégager la véritable idée génératrice du système, qui en fait aussi la faiblesse principale : « Dans saint Paul, la justification consiste toujours, selon nous, dans le décret d’admission au royaume messianique. Plus tard lorsque la perspective du règne eschatologique s’éloigna et que le règne présent ou préparatoire absorba toute l’attention, la disjonction entre la justification présente et future, entre la justice et le salut s’opéra aussi définitivement. » Ibid., p. 216 note. M. A. Titius admet qu’il existe déjà dans saint Paul des traces de cette différenciation. Cette interprétation, fait remarquer à bon droit M. Tobac, n’est aucunement liée à la doctrine luthérienne de la justice imputée. Cela est si vrai que, chez M. Titius, elle devient l’instrument d’une énergique réaction contre cette doctrine impossible.

Pour séduisante qu’elle puisse paraître à certains égards, l’interprétation forensique-eschatologique de la justification dans saint Paul a soulevé de justes et notables critiques. L’une de ses faiblesses, que le P. Prat a plus particulièrement signalée, c’est de supposer à la formule : justice de Dieu, le sens constant, dans saint Paul, de justice-attribut, de justice divine salvifique. La théologie de saint Paul, t. ii, p. 549. Le même auteur p. 548, témoigne son étonnement en présence du caractère eschatologique attribué à la justification paulinienne. De façon plus générale, l’eschatologisme qui est à la base de cette interprétation de saint Paul appelle des réserves et demanderait, pour le moins, une soigneuse révision et mise au point. Le P. Lagrange conteste l’affirmation suivante de M. Tobac : « Cette justi fication (prononcée par le Messie) dans la théologie juive apparaît donc bien comme forensique et eschatologique ; c’est le décret d’acquittement, d’admission à la vie dans le royaume messianique au jour du jugement. » p. 14. — « Assurément, écrit le P. Lagrange le messianisme, d’après quelques juifs, devait s’ouvrir par un certain jugement… Mais était-ce l’opinion des pharisiens et de la majorité des Juifs ? Dès le temps des Psaumes de Salomon (environ 40 ans avant Jésus-Christ), on distinguait le messianisme temporel et les fins dernières. Les apocalypses d’Esdras et de Baruch supposent cette distinction fondamentale. Le jugement de Dieu, après les temps messianiques, était dès lors vraiment le jugement final. C’est alors que serait rendue pour chacun la sentence du justification et de condamnation. Et c’est cette conception qui avait déjà prévalu (sur la vue ancienne qui mettait sur le même plan l’avènement du Messie et la consommation finale), qui allait prévaloir de plus en plus. Personne ne songeait à nier le jugement final, comprenant la déclaration de justice, la répartition du sort des justes et des méchants. On ne pouvait le transporter tout entier à l’entrée de la période messianique. A-t-on eu l’idée de le dédoubler pour ainsi dire, de placer à l’arrivée du Messie une ombre, une répétition du jugement général, une sentence d’admission aux biens messianiques ? C’est ce dont je ne vois pas trace dans les textes. » Ép. aux Rom., p. 134. Telle n’est sûrement pas, en particulier, l’idée que les Évangiles synoptiques prêtent aux représentants du judaïsme officiel.

Le sens du mol dans saint Paul.

Nous avons

donc le droit d’étudier en eux-mêmes les textes de saint Paul où paraissent le verbe Sixoaoûv et le substantif verbal SixaÊwaiç, et d’user, pour en déterminer le sens, de la liberté que nous laisse l’emploi large et divers qu’en a fait la Bible grecque.

1. Sens du mot « être justifié ». — Commençons par les textes où Sixaioûv est au passif : Rom., ii, 13 : Non enim audilores legis justi sunt apud Deum, sed factures legis juslifïcabuntur. C’est à tort que saint Augustin traduit : seront rendus justes. Le sens forensiqueeschatologique est regardé par tout le monde comme certain. — Rom., iii, 20, cf. Gal., ii, 16 : Quia ex operibus legis non justi ficabitur omnis caro coram Mo (Deo). C’est une citation du Ps., cxlii (cxliii), 2. Le P. Cornely se prononce pour le sens forensique-eschatologique clans Rom. comme dans le Ps. D’après le P. Lagrange, saint Paul éliminerait la perspective eschatologique du Ps. Le sens déclaratif simple se trouve lui-même exclu par la clause coram Mo. Par qui serait faite cette déclaration de justice devant Dieu ? Sens probable : nul ne sera en état d’établir sa justice.

— Rom., iii, 24 : Justificati gratis per gratiam ipsius xfi aÙToù /api-ut., per(Sià) redemptionem, etc. « Rendus justes par la grâce sanctifiante » (Cornely) suppose à per gratiam une signification qu’il est difficile d’établir avec certitude chez saint Paul. Le P. Lagrange propose : « Devenus justes par la bonté de Dieu », plutôt que « tenus pour justes », à cause de per redemptionem, qui évoque l’idée d’instrument et donc d’efficience. — Rom., iii, 28 : Arbitramur enim justi ficari homincm per fidem (tocttsi). « Est rendu juste ou devient juste » (Cornely) ; de même Lagrange à cause de per fidem (fide). — Rom., iv, 2 : Si enim Abraham ex operibus justi ficalus est : « Aobtenu la justice « (Cornely) ; « est devenu juste, ou, tout au plus a été reconnu juste, puisqu’il est fait allusion à une activité d’Abraham » (Lagrange). — Rom., v, 1, 2 : Justificati ergo ex fide, pacem habeamus ad Deum per dominum Jesum Christum, per quem et habemus accessum per fidem in gratiam istam. « Ayant reçu la justice » (Cornely) ; « reconnus justes en suite de la foi » ou, et mieux, « devenus justes » (Lagrange). Le sens de « devenus justes » ou même de « rendus justes » semble préférable à cause de l’idée de réconciliation suggérée par pacem. — Rom., v, 9 : Justificati in sanguine ipsius (Christi). « Ayant acquis la justice » (Cornely, Lagrange), sous forme de purification, dans le sang du Christ. — Rom., vi, 7 : Qui enim morluus est, justificatif est a peccato. Formule juridique signifiant que l’accusé échappe par la mort à toute action judiciaire. — I Cor., iv, 4 : Nihil enim mihi conscius sum ; sed non in hoc justificatus sum. « Je ne me tiens pas pour juste » (Lagrange) ; le P. Cornely s’attache, sans raison, à maintenir le sens déclaratif large : sese lamen dijudicare et fidelem declarare non audet. — I Cor., vi, 11 : Sed abluli estis, sed sanctificali estis, sed justificati estis in nomine Domini. C’est l’un des textes dont se réclament tout particulièrement les partisans de la théorie forensique-eschatologique. « Ils ont été purifiés…, délivrés de ces péchés que Paul vient d’énumérer et dont quelques-uns d’entre eux étaient chargés ; ils ont été sanctifiés…, arrachés à la tyrannie du péché, à la domination de ce monde mauvais et transplantés dans le voisinage de Dieu et ainsi ils ont été justifiés… (c’est-à-dire) reconnus par Dieu en qualités de justes et d’inscrits au royaume messianique, d’où ils étaient exclus à cause du péché. » E. Tobac, Le problème de la justification dans saint Paul, p. 252. L’intérêt de ce texte, c’est que tout en établissant, croit-on, le sens forensique de justifier, il maintient la réalité de la justice en faisant de la justification comme la reconnaissance et la consécration juridique d’une purification et sanctification préalables. Mais nous avons ici