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JOB (LIVRE DE). THÉOLOGIE, DIEU ET L’ORDRE MORAL 1476

C’est pourquoi, mai tenant qu’il souffre. Dieu lui paraît changé à son égard, et l’auteur même de son triste sort. Son cœur s’est brisé de voir son « ami » d’autrefois devenu ainsi son* ennemi, » xxiii, 16 ; xiii, 24 ; xiii. 9 ; xix, 11. Dieu s’est jeté sur lui comme un homme de guerre, les yeux étineelants, grinçant des dents, xvi, 9 : il le saisit à la nuque et le renverse. 12 ; le crible de traits, vi, 1 ; xvi, 13-14 ; il lui barre le chemin, xix. S ; l’assailli’comme une forteresse, xix, 12 ; xxx, 112-14, brise son arc, foule aux pieds sa Lumière, 11, etc. D’avoir ainsi perdu la faveur divine Job ne peut plus vivre, vi, 8-10 ; vii, 15-16 ; x, 18-22, etc. Dieu traite avec une terrible rigueur son fidèle serviteur, xxiii, 11-17, sans vouloir écouter sa défense, ix, 14-20, 27-33 : xix, 20, lui ravissant son honneur et le jetant dans la fange, xix, 9 ; xxx, 19, faisant de lui une manière de banni, xix, 13-19. Dieu procède avec lui de la manière la plus dure : il le happe dans un tourbillon, ix. 17 : le fascine de son regard et ne le laisse plus même déglutir, vii, 19, ni respirer, ix, 18 ; l’épouvante île songe ? et de visions, vii, 14 ; n’a-t-il pas agi de ruse en le créant d’une main soigneuse et expérimentée, x, 8-12, pour mieux passer ensuite sur lui sa colère, 13-17 ? ou procéder avec lui comme une force aveugle dont on ne peut arrêter le cours, xiv, 13, 18-19 ?

Est-il même juste dans la rétribution des bons et des méchants ? Ceux qui ne s’inquiètent pas de lui, il les laisse vivre et mourir en paix, xxi ; mais lui, ne s’inquiète guère de ceux qui le craignent, ix, 23-24 ; xiv, 3. Ainsi Job, proche du désespoir, en arriverait à concevoir Dieu, à la manière antique, sous les traits d’un destin capricieux et inexorable, comme un être doué seulement de force, de toute-puissance, et non d’équité.

Cependant, le désespéré sait aussi souvent s’abstraire de sa souffrance pour se retourner vers Dieu et vouloir reprendre avec lui les heureuses relations d’autrefois, xiii, 3 ; xvi, 20-21 ; xvii, 3, surtout en vue d’obtenir de lui justice, ou juste appréciation de sa conduite, comme de la bouche d’un témoin, d’un garant, d’un défenseur, xvi, 19 ; xix, 25. Selon lui, Dieu reviendra aux sentiments d’autrefois et cherchera son ami prêt à disparaître, vii, 21, se souvenant de lui, xiv, 13 ;  !e créateur et sa créature se retrouveront alors pour une amnistie réciproque et une durable réconciliation, xix, 25-27 ; xxiii, 2-5. Que si Dieu, pourtant, se présente encore en adversaire, le profond sentiment de son bon droit et de la justice divine assure Job du succès dans la plaidoirie finale où se heurteront Dieu et l’homme, pour la vérité, xvi, 21 ; xxxi, 35-37.

Ainsi apparaissant de nouvi au comtne l’Être moral, saint et bienfaisant, qui déplus en plus se dégage des ombres et des terreurs antiques, Jahvé, qui a pardonné au juste s’humiliant à la fin du livre, peut dire que Job, « son serviteur a, bien parlé de lui, » xlii 7-8.

5° Dieu et l’ordre moral. La rétribution. Haute moralité du livre de Job. — Les rapports de l’homme avec Dieu comportentau point de vue moraldeux attitudes : Ou l’homme s’attache à Dieu, dans le sentiment d’une entière dépendance à son égard ; et c’est alors la rectitude de vie, la vertu, la justice, xxiii, 11-12 ; c. xxix. Ou l’homme s’écarte de Dieu, le méconnaît, veut

gnorer ou ne se soucier de lui ; et c’est l’impiété, le péché, xxi, 14 ; xxii, 13-17 ; xxiv, 13 ; le péché es1 un acte de lèse-majesté divine, xv, 25.

Job et ses amis connaissent par quelles actions se manifeste et peut donc se juger cette double attitude. A la justice appartiendront : la sollicitude pour le prochain la veuve et l’orphelin, le pauvre et l’affligé, l’aveugle et l’< xxix, 12-16 ; l’équité dans

les Jugements envers l’innocent ou le coupable, 16-17 ; toutes le’ir p i rs contraires aux fautes

énumérées ci-api A l’impiété el l’injustice :

l’exigence du gage injuste, xxii, 6 ; le refus d’aliments à l’affamé, d’eau à l’assoiffé, 7, et xxxi, 17 ; de vêtements à l’indigent, xxxi, 19-20 ; le déni de justice au faible, xxxi, 16, 21 ; l’acception faite du violent et du puissant, xxii, 8 ; le renvoi sans aumône de la veuve et de l’orphelin, xxii, 9 ; xxxi, 16 ; le brigandage, xxiv, 2-9 ; l’homicide, 14 ; l’adultère. 15 ; le vol. 16 ; le regard lascif, xxxi, 1-4 ; la fausseté et le mensonge, 5-6 ; l’exaction, 7-8 ; la convoitise de la femme d’autrui, xxxi, 9-10 ; la méconnaissance des droits des serviteurs, 13-14 ; l’attachement à la richesse, 24-25 ; l’idolâtrie, le culte des astres, 26-27 ; l’envie ou joie causée par l’infortune de l’ennemi, 29-30 ; l’inhospitalité, 31-32 ; la dissimulation et le respect humain, 33-34 ; l’assassinat et la fraude comme source de la propriété, 38-39.

Ce sont là vertus ou crimes dont Dieu s’inquiète pour les récompenser ou les punir, et qui constituent l’ensemble de la vie morale, en caractérisant le juste ou l’impie. Mais, selon Job, il est d’autres fautes qui n’empêchent nullement l’homme d’être attaché de cœur à Dieu, et que celui-ci doit juger vénielles parce que inhérentes à la faiblesse et à la caducité humaines. Si lui-même les a commises, elles ne peuvent donc être la cause de ses malheurs et Dieu a dû les lui pardonner, vu, 20-21 ; x, 3-7 ; xiii, 13, 26-27 ; xiv, 16-27.

Les actes de l’homme ayant ainsi une valeur morale qui intéresse hautement la divinité, celle-ci, qui par définition est infiniment juste — c’est le principe fondamental qui gouverne toute la discussion — rétribue ces actes par récompense ou châtiment. Tout, dans le livre, suppose que la rétribution s’opère en ce monde, « sur terre. » Pour les trois amis de Job, elle s’exerce, pour ainsi parler, automatiquement ; au juste, la joie, la paix, la prospérité, la santé, nombreuse et belle postérité, fin digne d’envie. Eliphaz :

« Puis, tu iras au tombeau comme un fruit mûr,

Comme le gerbier qu’on érige en son temps. » v, 26.

A l’impie, le remords, le tourment, la ruine, la maladie, la stérilité, la terrible mort. Bildad :

« Son corps est consumé par la maladie.

Le premier-né de la mort ronge ses membres.

Il est arraché de sa tente

Il est conduit au Roi des terreurs. » xvni, 13-14.

Job fut, au fond, du même avis ; mais la doctrine lui apparaît tout à coup en défaut pour son cas particulier — innocent, il subit le triste sort du coupable et de l’impie — et même pour la généralité des cas : tous les avantages dont on dit que jouissent les justes, les impies les ont aussi en partage, xxi, 6-16 :

< Leur vie s’achève dans la félicité, Kn paix au Schéol ils descendent…

xxi, 13.

Au lieu de punir le coupable lui-même, Dieu ne l’atteint et ne le châtie ordinairement que dans sa postérité, xxi, 19-20 ; xxvii, 13-15 :

« C’est aux enfants qu’il fait porter la peine !

Qu’il le frappe, lui, ce lui sera sensible !

Puissent ses propres yeux voir son châtiment,

Kl lui-même boire le courroux de Schaddai ! » xxi, 1 0-20.

Ce fait déconcertant est d’expérience vulgaire, xxi. 6-7 ; c’est ce que rapportent aussi les étrangers :

« N’avez-vous donc interrogé les voyageurs.

Prêté attention à leurs récits,

Qu’au jour de la ruine l’impie reste indemne,

Qu’au jour îles grandes eaux il surnage ?

Qui lui reproche eu face sa conduite,

Qui le rétribue selon ses actions ?

Mais on le porte à son tombeau,

L’on prend soin de son mausolée.

La terre de le allée lui est légère,

Et beaucoup y viennent après lui.

Comme avant lui tant y sont venus. » xi, 27-33.