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    1. JUSTIFICATION##


JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT PAUL

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b) La doctrine qui s’en dégage et l’interprétation luthérienne. — Pour conclure. — a. La foi n’est pas la justice. — La formule de Luther citée par le P. Prat : Ea (vera fiducia cordis) est formalis justifia propler quam homo justificatur, c’est-à-dire est déclaré juste par imputation légale de la justice du Christ, outre qu’elle est libellée dans une langue philosophique peu intelligible, n’est pas paulinienne. Si la justice n’est pas la foi, elle en procède d’une certaine manière, en ce sens que la foi est un titre réel, secundum graliam et non secundum debitum, à l’obtenir de Dieu. Bien plus, dans cette collation de la justice par Dieu, elle joue, conjointement avec le baptême, le rôle d’instrument. Qu’est-ce à dire ? La théologie luthérienne a accueilli cette notion de la foi instrument de la justification, mais en l’accommodant à sa façon de concevoir la justification et la foi elle-même. Simple condition sine qua non et qui ne joue aucun rôle positif dans la justification, ou moyen d’appréhender la justice du Christ, elle garde toujours ce caractère essentiel de n’avoir par elle-même aucune valeur morale, d’appartenir à un ordre distinct et hétérogène par rapport à la justice. Ce n’est sûrement pas ainsi que saint Paul l’entend. La foi, pour lui, représente une activité de l’homme et, de sa part, une préparation positive à la justice. Comme l’a dit fort justement le Concile de Trente, elle est humanse salutis initium, fundamentum et radix omnis juslificationis. Sess. vi, De juslificatione, c. vrn. Si la justice, au sens de saint Paul, représente, dans sa notion la plus générale, un état normal de relation avec Dieu, il est aisé de comprendre que la foi, par où nous accordons créance à la parole de Dieu et par où nous commençons de prendre à son égard les dispositions effectives qui conviennent, représente une amorce et un inilium de la justice. C’est ainsi qu’elle est de notre part une vraie collaboration à la justification et qu’elle peut être utilisée par Dieu comme instrument de pleine justification. Très généralement, les exégètes protestants contemporains reconnaissent, au moins tacitement, que Luther et les théologiens luthériens orthodoxes ont trahi la pensée de saint Paul. Aussi les voyons-nous réintroduire une notion sensiblement différente de la foi, de son rôle dans la justification, et, en fin de compte, de la justification elle-même.La foi recouvre une valeur religieuse et morale ; la justification n’est plus aussi radicalement isolée de la sanctification ; la foi redevient l’un des principes de la vie du croyant justifié. Voir plus loin. Ces multiples relations de la justice avec la foi, toutes fondées sur la nature même de la foi, dont la valeur morale et religieuse la rend propre à amorcer dans l’homme une vraie justice et la qualifie, secundum graliam, pour devenir aux mains de Dieu, l’instrument approprié de notre complète justification, saint Paul les exprime par cette formule synthétique : la justice de la foi, dont il aime à se servir, Rom., iv, 11, 13, etc., quand il veut opposer la justice conférée par Dieu à la justice de la Loi et des œuvres. Cf. Lagrange, Ép. aux Rom., p. 137 sq. ; Prat, La théologie de saint Paul, t. il, p. 540 sq.

b. La justification par la foi seule. — Commentant Rom., iii, 28 : Arbitramur enim jusliftcari hominem per fidem (nlazsi) sine operibus legis, Luther s’est cru autorisé à traduire per fulem par per fidem solam. C’est la doctrine luthérienne de la justification par la foi seule. Préoccupé de l’anéantir à sa source même, le P. Cornely se jette dans une exégèse discutable et bien superflue de ce texte de l’Épître aux Romains : In hac sententia autem…, uti ex vocabulorum ordine… clare jam eluect, prwcipuum pondus inesse verbis SixaioûaGxi et /c-piç ëpycov vôfxo’j… quippe quæ primum et ultimum locum occupent, aliud autem nomen (memç, per fidem) nonnisi velut secundarium quoddam complemen DICT. DE THÉOL. CATHOL.

tum inseri ad viam indicandam, qua homo sine operibus Legis justificetur, Op. cit., p. 200. Saint Thomas explique plus objectivement : Non autem solum sine operibus cseremonialibus, quæ graliam non conferebant sed solum significabant, sed eliam sine operibus moralium prœceptorum, secundum illud : Non ex operibus justiliæ quæ fecimus nos, Tit., iii, 5, ita tamen quod intelligat (vel intelligas) : sine operibus prsecedentibus justiliam, non autem sine operibus subsequenlibus, quia ut dicitur, Jac, ii, 16 : Fides sine operibus, scilicet subsequenlibus (la parenthèse est de saint Thomas), morlua est et justificare (ce qui s’entend ici de la « justification seconde » )> non potest. Ep. ad Rom., c. iii, lect. 4.

Inacceptable, la formule per fidem solam ne l’est proprement qu’au sens luthérien, c’est-à-dire dans une doctrine qui, après avoir faussé le concept paulinien de foi, représente la justification, non pas comme l’acte inaugural de la vie du croyant dans le Christ — ce qu’elle est pour saint Paul — mais comme une sentence divine formulée en dehors de la vie réelle et qui ne s’inquiète pas des œuvres qui pourront suivre, sentence irrévocable à la seule condition que la foi subsiste. Cette doctrine est si manifestement étrangère et contraire à la pensée de saint Paul que les exégètes protestants contemporains se voient contraints de l’abandonner, à des degrés divers et par des voies différentes, l’un après l’autre. Le texte Eph., ii, 10 est particulièrement catégorique : « Nous sommes son ouvrage (de Dieu) ayant été créés en Jésus-Christ pour faire de bonnes œuvres, que Dieu a préparées d’avance afin que nous les pratiquions, xTiaOsVTSÇ èv Xpia-rcp’Iyjctoû sttI spyoïç àyaôoù ;. » Sur quoi le P. Cornely fait remarquer très justement que êxcl désigne ici la fin, le but » Ep. ad Ephesios, Philipp., et Col., Paris, 1912, p.77. Cf. aussi, II Cor., ix, 8 ; Col., i, 10 ; Tit., iii, 8, etc.

Le long passage Rom., vi-vm, si intimement lié à la péricope iii, 21-v consacrée à la justification, décrit amplement la vie nouvelle, vie de justice et de sainteté, que doit désormais mener le croyant justifié. Bien plus le jugement final portera sur les œuvres du chrétien postérieures à sa justification première, II Cor., v, 10 : « Tous il nous faut comparaître devant le tribunal du Christ (il s’agit des chrétiens justifiés par la foi et le baptême) afin que chacun reçoive ce qu’il a mérité étant dans son corps, selon ses œuvres, soit bien soit mal. »

La foi, qui persiste, bien entendu, dans le justifié, devient comme le milieu intérieur où se développe sa vie dans le Christ. Gal., ii, 20 : « Si maintenant (depuis le baptême) je vis dans la chair, je vis dans la foi du Fils de Dieu, qui m’a aimé et s’est livré pour moi. » La foi est dite agir par la charité, Gal., v, 10 : Sed fuies quæ per charilalem operatur. La pensée de saint Paul rejoint ici celle de saint Jacques, Jac, ii, 16 : Sic et fides, si non habeat opéra, morlua est in semelipsa.

3. Gratuité de la justice.

C’est en fonction de cette dépendance de la justice par rapport à la foi, dans sa première origine, que saint Paul signale la gratuité de la justification. Il faut noter comme particulièrement catégoriques en ce sens, Rom., iii, 24 : Juslificati gratis per gratiam (i.e. benevolenliam) ipsius (Dei) : Eph., ii, 8 : Gratia enim estis saluali per fidem, et hoc non ex vobis. Dei enim donum est — non ex operibus, avec cet objectif cher à saint Paul : ne quis glorictur. L’on ne peut douter que la reprise : Dei enim donum est n’ajoute quelque chose à l’affirmation première : Gratia enim estis salvali per fidem. S’il s’agissait seulement de marquer la différence qui existe entre la justifia ex fuie et la juslitia ex operibus, dans l’esprit de Rom., IV, 5, le mot gratia suffisait. Si saint Paul revient et insiste, c’est apparemment qu’il veut rapporter la foi elle-même à cette gratia. Saint Thomas entend directement la clause : Dei enim

VIII.

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