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JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT PAUL


En tout ceci, poursuit l’apôtre, se révèle la parfaite cohérence du plan divin, tel que l'Écriture elle-même l’expose. Cette économie de salut, dont Israël se considère comme le bénéficiaire, ne nous est-elle pas donnée comme inaugurée dans la justification d’Abraham ? La promesse que Dieu lui l’ait n’en est-elle pas la définition et l’officiel établissement ? Or les paroles par lesquelles l'Écriture nous rapporte ce grand événement sont expresses : Rom. iv, 1-14 : « En effet si Abraham a été justifié d’après des œuvres, il a sujet de se glorifier, mais non auprès de Dieu (la construction est embrouillée mais la pensée est claire : Abraham n’a pas été justifié par des œuvres). Que dit en effet l'Écriture ? « Abraham a cru en Dieu et cela lui fut compté comme justice… » Nous disons en effet : « la foi d’Abraham lui fut comptée comme justice. » Comment donc a-t-elle été comptée ? Était-il alors circoncis ou incirconcis ? Il n'était pas circoncis, mais incirconcis. Et il reçut le signe de la circoncision comme sceau de la justice de la foi, justice qu’il avait avant d'être circoncis, de façon qu’il devînt le père de tous ceux qui croient, sans être circoncis, de sorte que leur justice leur soit comptée, et le père des circoncis, qui n’ont pas que la circoncision, mais de plus marchent sur les traces de la foi, qu’avait, encore incirconcis, notre père Abraham. Car ce n’est pas moyennant la Loi, mais moyennant la justice de la foi que fut faite à Abraham et à sa postérité la promesse d'être héritier du monde. En effet, si ceux qui se réclament de la Loi étaient les héritiers, la foi serait sans objet, et la promesse sans effet. » Sur cette idée l’Apôtre avait déjà insisté, Gai. iii, 15 sq. : « Frères, je raisonne comme on le fait parmi les hommes. S’il s’agit d’un homme, encore est-il que personne ne tient pour nulle une disposition en bonne forme, personne n’y ajoute des dispositions nouvelles. Or les promesses ont été dites à Abraham et à son lignage ; il n’est pas dit : « Et aux lignages » comme s’il s’agissait de plusieurs mais comme pour un seul : « Et à ton lignage », qui est le Christ. Eh bien, je le dis : Une disposition déjà prise en bonne forme par Dieu, la Loi survenue quatre cent trente ans après ne l’infirme pas, de façon à rendre nulle la promesse. Car si l’on héritait en vertu de la Loi, ce ne serait pas en vertu de la promesse. » Et poussant à fond son raisonnement, Paul en vient à écrire, ꝟ. 21 : « La Loi serait donc contraire aux promesses de Dieu ? Non certes I Car si une loi eût été donnée capable de procurer la vie, alors vraiment la justice eût procédé de la Loi. » Et c’est alors vraiment qu’elle serait contraire à la promesse, tandis que, par l’impuissance de la Loi à justifier, s’affirme la cohérence du plan divin, tel qu’il a été défini, à l’origine, dans le cas. d’Abraham. La justification par la foi au Christ est, au contraire, en parfait accord avec ce plan divin. Pour l'établir, saint Paul utilise l’incidente rapportée plus haut : Non dicit : ET 8EMINIBUS, quasi in multis, sed quasi in uno : ET SEMIN1 tuo qui est Christus. L’incertitude règne sur le point de savoir qui est ce Christ, descendance d’Abraham. Le Christ individuel, historique, répondent saint Jean Chrysostome, Théodoret, Tertullien, saint Jérôme, l’Ambrosiaster, saint Thomas. Promiserat Abrahse Deus fore ut per semen ipsius benedicentur génies ; semen autem ejus secundum carnem est Christus. S. Jean Chrysost., Comm. in Ep. ad Gal., iii, 4, P. G., t. lxi, col. 654. Au sentiment de saint Irénée, de saint Augustin, c’est le Christ mystique : Semen Abrahæ est Ecclesia, per Dominum adoplionem quæ est ad Deum accipiens. Irénée, Cont. hæres., V, xxxii, P. G., t. vii, col. 1211. C’est cette seconde exégèse qu’adopte le P. Cornely. Le P. Lagrange préfère la première : « Nous croyons donc que Paul a ici en vue le Christ individuel, mais conçu comme principe d’unité du

peuple chrétien. » Ep. aux Gal., p. 76. C’est seulement dans la suite que la pensée évolue vers le Christ mystique : « Mais l'Écriture a tout enfermé sous le péché afin que la promesse fut réalisée par la foi en.lésusChrist en faveur des croyants… Vous tous qui êtes unis au Christ par le baptême, vous avez revêtu le Christ. Il n’y a plus ni juif, ni gentil ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus d’homme ni de femme, car vous êtes tous un dans le Christ Jésus. Or si vous faites partie du Christ, donc vous êtes le lignage d’Abraham, héritiers selon la promesse. » ni, 22 ; 27-29. La justification par la foi au Christ est donc en parfait accord avec la plan divin de salut établi au bénéfice d’Abraham et de sa postérité. Par contre, insiste plus loin saint Paul : « Vous avez été séparés du Christ, vous qui cherchez votre justification dans la Loi. » v, 4.

Saint Paul avait donc le droit de dire, Rom., nr, 21 : Nunc autem sine lege justitia Dei manifestala est, testificata a Lege et prophetis. A présent, c’est sans loi que se manifeste la justice de Dieu à laquelle rendent témoignage la Loi et les Prophètes.

II. la JUSTICE de la FOI.

Ayant ainsi éclairé notre marche, nous pouvons aborder l'étude de la justice de la foi.

Existence d’une justice conférée par Dieu.

1. Les

divers textes. — a) Rom., i, 17 : Justitia enim Dei ineo (i. e. in evangelio) revelatur ex fide in fidem, sicut scriptum est : Justus autem ex fide vivit (vivet). Dans l'Évangile se révèle la justice de Dieu, allant de la foi à la foi, comme il est écrit : Or le juste par la foi vivra.

Justitia Dei, SixaioauVY) Geoû, peut être un génitif d’attribution et signifier la justice attribut de Dieu. C’est l’exégèse d’Origène : Justitia enim Dei in evangelio revelatur per id quod a salute nullus excipitur, sive Judœus, sive Grœcus, sive barbarus veniat. Comm. in Ep. ad Rom., i, 15 ; P. G., t. xiv, col. 861. Il s’agit de la justice distributive de Dieu, qui ne fait pas acception des personnes. L’Ambrosiaster l’entend plutôt de la fidélité de Dieu à ses promesses. In Ep. ad Rom., i, 17, P. L., t. xvii, col. 56. En faveur de cette exégèse on peut alléguer avec le P. Lagrange les raisons suivantes : a. C’est le sens des mots dans l’Ancien Testament spécialement, quand il y a révélation : àTtEKaXu^sv ty)V Sixa107ÙVY]v aÙTOÛ, Ps. xcvm (xcvn), 2 ; b. la colère de Dieu qui se révèle ( ꝟ. 18) est mise en parallèle avec la justice de Dieu ; or cette colère est bien la colère de Dieu même ; c. la justice de Dieu, Rom., ni, 5, est bien l’attribut divin. Ép. aux Rom., p. 19. — Justice de Dieu, cependant, peut être un génitif d’auteur ou d’origine et signifier la justice qui vient de Dieu, la justice conférée à l’homme par Dieu. C’est l’interprétation de saint Jean Chrysostome : Et justitiam, non luam, sed Dei, ejus largilalem et facililalem subindicans. Neque enim ex sudore et labore illam perficis, sed ex superno dono accipis, hoc unum ex te ipso ufjerens quod credas. Deinde, quia vix credibilis sermo videtur esse quod mœchus, mollis, sepulcrorum effossor, prsesligiator confeslim, non modo a supplicio eripiatur, sed eliam justus fiai et justus suprema (i. e. Dei) justitia, a Veteri Testamento sermonem confirmât… In Ep. ad Rom., ii, 6 ; P. G., t. lx, col. 409. De même saint Augustin : Hœc est justitia Dei quæ, in Testamento Veteri velata, in Novo revelatur ; quæ ideo justitia Dei dicitur quod, imperliendo eam, justos facit : sicut Domini est salus (Ps. iii, 9), qua salvos facit. De spiritu et littera, xi, 18, P. L., t. xliv, col. 211. — Une troisième exégèse, qui essaie de, combiner les deux précédentes, a été proposée par Sanday-Headlam, qui arguent de Rom., ni, 26 : ut sit ipse justus et juslificans eum qui est ex fide Jesu Christi. « La seconde partie de cette formule n’est nullement en opposition avec la première ; elle en dérive au contraire par une suite naturelle et inévitable. Dieu