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JUSTIFICATION, LA DOCTRINE DANS SAINT PAUL


poser un homme qui n’a pas encore été mis en présence de la loi divine. Il serait, par hypothèse, dans un état d’innocence qui est la vie par rapport à Dieu. C’est sur ce thème que la question peut être résolue sans aucune donnée la tranchant d’avance, et la solution sera d’autant plus solide que l’homme ne sera pas un enfant. D’un enfant il aura l’innocence, mais il aura la responsabilité consciente de l’homme fait. Or cette situation a existé en réalité. Ce fut celle d’Adam. Tout naturellement les faits se déroulent comme au Paradis, et on s’aperçoit au texte que Paul en a conscience, sans ôter tout à fait à la scène ce qu’elle a de transcendant par rapport à l’histoire. De cette façon, la question est tranchée à fond, il ne restera qu’à faire l’application à la loi mosaïque. » Épître aux Romains, p. 168. Exégèse séduisante, à laquelle on ne peut guère objecter que le peccalum revixil du y. 9. Le P. Cornely s’attache à l’interprétation d’Origène, précisée par saint Jérôme. Ep. ad Rom., p. 359 sq.

Nous avons, en toute hypothèse, dans la seconde partie de notre texte, ꝟ. 13-25, une description de la vie sous la Loi mosaïque. : « Ce qui est bon est-il donc devenu pour moi la mort ? Loin de là. Mais le péché afin de paraître péché m’a donné la mort au moyen d’une chose bonne, afin que le péché soit (tenu) pour coupable à l’excès par le fait du commandement. Car nous savons que la loi est spirituelle (c’est-à-dire de l’ordre de l’esprit) ; mais moi je suis charnel (aâpxivoç, fait de chair, non pas axpxixôç, dominé par la chair) vendu au service du péché. Car ce que je fais, je ne le sais pas ; car je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais (La Vulgate glose : non enim quod volo bonum hoc ago : sed quod odi malum illud faa’o). Si donc je fais ce que je ne veux pas, je reconnais que la loi est bonne. Mais alors ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. Car je sais que ce n’est pas le bien qui habite en moi, c’est-à-dire dans ma chair. En effet le vouloir est à ma portée, mais non la pratique du bien. Si donc je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, mais le péché qui habite en moi. Moi qui voudrais faire le bien, je constate cette loi que c’est le mal qui est à ma portée ; car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l’homme intérieur, mais j’aperçois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison, et qui m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres… Ainsi donc je suis le même qui sers par la raison la loi de Dieu, mais par la chair la loi du péché. »

Le « moi », désormais, n’est plus considéré dans cet état d’innocence, au moins relative, que supposaient lesꝟ. 7-9. Le péché, réveillé, a triomphé. Le conflit se développe dorénavant dans des conditions plus défavorables. Le péché n’est plus un agent extérieur à l’homme, comme dans le cas d’Adam innocent, ou un principe intérieur mais engourdi, comme dans le cas de l’enfant. Il est devenu, à côté de la loi de la convoitise, une « loi » des membres. De ce « moi » nouveau, l’apôtre dit qu’il est « tombé au pouvoir du péché ». Presque tous les commentateurs anciens et la quasi-unanimité des contemporains, catholiques et non catholiques, entendent ce nouveau « moi » de l’israélite sous la Loi mosaïque.

Par réaction contre le pélagianisme, saint Augustin, reprenant une idée de saint Méthode et de saint Hilaire, en vint, vers la fin de sa vie, à entendre ce « moi » du chrétien : Verba Apostoli, quibus caro contra spirilum (en fait Paul évite de dire spiritum) confligere ostenditur, eo modo exposui lanquam homo describatur nondum sub gralia constilutus. Longe enim postea, etiam spirilualis hominis, et hoc probabilius, esse posse illa verba cognovi. Retract., ii, 1, P. L., t. xxxii, col. 629

L’autorité de saint Augustin a entraîné saint Grégoire le Grand, Pierre Lombard et saint Thomas. Au xvie siècle, Cajétan, Salmeron, Estius, etc., ont suivi. Cette exégèse ne pouvait que plaire aux réformateurs. Luther, Mélanchthon, les calvinistes l’ont adoptée. Tout ce qu’il semble possible d’accorder à saint Augustin, c’est que ce conflit entre la loi divine et l’homme, que saint Paul contemple et décrit dans l’âme de l’Israélite vivant sous la loi de Moïse, demeure possible, mutatis mutandis, même chez le chrétien, tant la loi est impuissante par elle-même à assurer la pratique du bien.

Seule, comme il a été établi plus haut, l’observation effective de la Loi peut conduire l’Israélite à la justice des œuvres et de la Loi. La Loi est, d’ailleurs, faite en elle-même pour assurer la pratique du bien. Mais le péché, par le moyen de la convoitise, péché et convoitise qui ont leur siège dans « les membres », dans « la chair » même de l’homme, tournent la Loi à un effet tout opposé. A quoi il se trouve que la Loi, du moins pour ce qui est de l’homme fait de chair, donne occasion, en irritant la convoitise par la défense même et en réveillant le péché. Si bien qu’elle succombe sous leur commun assaut ; n’étant par elle-même qu’une norme extérieure et nullement une force active. Situation sans issue, du moins sans autre issue que celle-ci : « La loi de l’esprit de vie en le Christ Jésus (que Paul, Eph., ii, 15, oppose à la loi des ordonnances toutes en prescriptions : tôv v6[jlov tûv êv-roXôSv èv S6yji.aaiv) cette loi de l’esprit l’a délivré (Vulgate me liberavit) de la loi du péché et de la mort. Car ce qui était impossible à la Loi, parce que (in quo) elle était sans force, à cause de la chair… « Rom., viii, 2sq.

Saint Paul, se référant implicitement à cette belle analyse, en vient à écrire I Cor, xv, 56 : Stimulus autem morlis peccatum est, virtus vero (la force) peccali lex. Ainsi se trouve justifié et expliqué le mot plusieurs fois répété : Non jusliflcabitur homo ex operibus legis. La raison donnée par saint Paul est que la Loi, à la prendre toute seule, est condamnée à n’être point observée par l’homme, et à provoquer même les transgressions.

Que signifie, dans ces conditions, le témoignage que saint Paul se rend à lui-même, Phil., iii, 6 : Secundum justitiam, quæ in lege est, coni>ersalus sine querela, irréprochable quant à la justice de la Loi…, à savoir au temps de sa jeunesse pharisienne ? Saint Thomas commente ainsi : Hsec justitia consista in exterioribus… Nom quantum ad justitiam exteriorem, Apostolus innocenter vixit… Non autem ail : sine peccato, quia querela est peccatum scandali proximorum (c’est-à-dire un péché particulier) in his quæ sunt exteriora. In Ep. ad Phil., c. iii, lect. 2. Ce doit être cela. Saint Paul, en tout cas, marque peu d’estime pour cette justice de la Loi qu’il possédait : « Ces titres qui étaient pour moi des avantages (à savoir cette justice et ses autres avantages juifs), je les ai considérés comme un préjudice à cause du Christ. Oui certes, et même je tiens encore tout cela comme un préjudice, eu égard à l’extraordinaire valeur de la connaissance du Christ Jésus mon Seigneur. Pour lui, j’ai voulu tout perdre regardant tout comme de l’ordure, afin de gagner le Christ et d’être trouvé en lui, non avec ma propre justice — celle qui vient de la Loi — mais avec celle qui naît de la foi dans le Christ. >

5° Altitude de saint Paul par rapport aux œuvres. — Il y a lieu, toutefois, d’observer que la pensée de saint Paul, lorsqu’elle passe de l’ordre en quelque mesure abstrait, où se meut Rom., vii, 7-25, à l’ordre réel, où d’autres facteurs, en dehors de ces quatre : la loi, la raison, la convoitise, le péché, peuvent intervenir et, par exemple, la grâce de Dieu, se révèle plus