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1473

JOB (LIVRE DE). THÉOLOGIE, DESTINÉE DE L’HOMME 1474

temps au Schéol jusqu’à ce que la colère de Dieu s’apaise à sou égard, ce n’est dans sa pensée qu’une hypothèse irréalisable…. « Mais non, car, 14a,

Si l’homme meurt, peut-il revivre ? »

S’il se suppose mort, xvi, 18, priant la terre de ne point couvrir son sang, et criant sans trêve son innocence, ce n’est qu’une façon de hâter l’intervenHon en sa faveur, sur cette terre, de son « garant » et de son « témoin » qui vit dans les cieux, car

« S’achève le compte de mes années, ’Et je dois prendre le sentier sans retour,

Mon souffle s’épuise, mes jours s’éteignent, Le sépulcre va être mon partage » xvi, 22-xvii, 1.

Il en est de même du célèbre passage, xix, 25-27 (voir plus haut) de très bonne heure interprété de la résurrection :

C’est des vivants qu’est mon goël…

et qui, selon le mot de Dillmann, Hiob, Leipzig, 1891, p. 117, « a une remarquable histoire. » Point tant corrompu qu’il y paraît, le texte hébreu exprime simplement la quasi-certitude de Job que ses protestations d’innocence, qu’il voudrait écrites en un livre, ou gravées sur le plomb ou la pierre, 23-24, seront bien accueillies par Dieu, son « garant » en même temps que son « adversaire » (voir plus loin), apparaissant « sur cette terre » — non au séjour des morts — pour lui rendre justice contre ses amis trompés et devenus ses accusateurs, ꝟ. 28-29. Leꝟ. 25 :

« Je sais, mon goël est vivant.

Et, dernier, sur terre il se lèvera. »

est fort clair dans ce texte et commande tout le passage. Il cadre parfaitement avec l’idée générale du livre et les contextes immédiats : quand chacun aura parlé, Dieu viendra dire le dernier mot de la cause débattue, ce qui réellement eut lieu, bien que non tout à fait conformément à l’ « espoir » de Job, après réprimande et mise au point par Elihu. Cf. l’excellente traduction latine de Knabenbauer, Com. in lib. lob., Paris, 1886, p. 247 sq.

25. At ego scio : redemptor meus vivus, Et ultimus super pulverem surget ;

26. Et post * pellem meani quic liæc patitur,

  • « post « dans le sens de post ostium, post parietem (Is.,

lvii, 8 ; Gant., ii, 9).

Et ex carne mea, videbo Deura…

C’est vivant lui-même, de son corps et de sa chair en lambeaux, que Job espère voir apparaître son

« témoin ». ou le « garant » de son innocence. La version

syriaque et celle de Théodotion confirment cette traduction en même temps que la teneur et la coupe du texte hébreu actuel, bien que par à peu près :

Syr : « Ego scio quod liherator meus vivus,

Et in fine super terrain apparebit ;

Et super cutem meam circumdata suât hsec,

Et super carnem meam (videbo lumen Dei). Tliéod. : 6 àv/ia-ej ; fiovi Ç-/j,

y.x.1 Ëa’/a~o i~ /oju.sito ; àva<5"nfi<Tït…

C’est par suite de l’omission haplographique du mot hébreu v’ahar « post », ꝟ. 26, après v e’ahârôn « ultimus », t. 25, faite par le traducteur grec des Septante, que cette version a introduit l’idée de la résurrection, en transportant alors au lieu et place de ce mot, de la fin duꝟ. 25 au commencement duꝟ. 26, le ijâqoûm

« surget » de l’hébreu, devenu « resurget » :

(Cod. alexandrinus).

25. otôx yip n-’. àévvao ; èotiv 6 èxXusiv ij.s fj.î).A(ov èiîi YÔï

26. àvaff-ïiiTe ! 5 : u.ou t’j cmuix tô àvavxXoCv taûta.

suivie par la vieille latine (revision de S. Jérôme, P. L., t. xxix, col. 86) :

25. Scio emm quia teternus est qui me resoluturus est

26. Super terram resurget cutis mea quae hrec patitur,

serve du texte du Codex valicanus qui phrase beaucoup plus mal encore : …6 èxXûew j.z [i.éXXcov km. yîjç àvac-TTJaoa tô Sép|j.a ii, ou…

On conçoit que des Pères grecs tels que Clément Romain, I Cor., 26, P. G., t. i, col. 265 ; Origène, In Matth., xxii, 23, t. xiii, col. 1565 ; saint Cyrille de Jérusalem, Calech., XVIII, xv, t. xxxiii, col. 1036 ; saint Épiphane, Ancorat., 99, t. xliii, col. 196, aient vu dans ce passage une preuve de la résurrection. Mais il est significatif aussi qu’un exégète tel que saint Jean Chrysostome nie formellement en deux endroits de ses œuvres que Job connût la résurrection : Epist. II ad Olumpiad. diaconissam, 8, P. G., t. lui, col. 565 :

« At hic (Job) cum et probus vir esset, et de resurreclione

nihil exploratum haberet… » ; et In Matth., hom. xxxiii (al. xxxiv), 6, t. lvii, col. 396 : « Nulla ex illis inlolerabilibus calamitalibus illum (Jobnm) perlurbabal… Et qnid gravius, inquies, Job accepit ? … Graviorn quippe… Primo, quod nihil sciret de regno cœlorum et de resurrectione. » Le silence absolu de nombre d’autres pères et écrivains ecclésiastiques grecs et latins ayant à parler de ce dogme de la résurrection ne renforce point non plus la tradition. Et il est à croire que l’idée de voir cette vérité exprimée dans Job, xix, 25-27, se fût perdue, si la Vulgate hiéronymienne ne lui eût donné, par une traduction des plus libres ou, du moins, par l’interprétation d’un texte fort différent du texte hébreu supposé par les anciennes versions, un nouvel appui. Saint Jérôme ne laisse, du reste, planer aucune incertitude sur l’intention de sa nouvelle traduction : Epist., lui, ad Paulinum, P. L., t. xxii, col. 545 : Resurrectionem corporum sic prophelat, ut nullus de ea vel manifestius, vcl cautius scripseril : « Scio, inquit, quod… » ; Liber contra Joann. Hieros., 30, t. xxni, col. 381 : Job… resurrectionis spe et vcrilale soletur :

« Scio quod… » Quid hac prophetia manifestius ?

Nullus tam aperte post Christum quam isle ante Christum de resurrectione loquitur. Saint Augustin, acceptant enfin la Vulgate, fera le succès du texte dans l’Église latine : Decivit. Dei, t. XXII, c. xxix, 4, P. L., t. xli, col. 799 : « Job, sicut in exemplaribus quee ex Hebrieo sunt invenitur, Et in carne mea videbo Deum : resurrectionem quidem carnis sine dubio prophelavil. »

D’après la lettre Job serait donc resté sur une douloureuse impression de cette vie et do la mort, sans espoir précis de l’au-delà. Pourtant l’on peut dire que celui sur qui pèse si lourdement le fardeau de la non-espérance, aspire, au fond, à se survivre ; que celui pour qui s’est réalisé (comme on va le voir) un commerce si personnel avec Dieu, possède en germe la foi à l’éternelle destinée de l’âme ; et que celui en qui habite le sentiment d’une si haute responsabilité morale (voir aussi plus loin), soupçonne l’impérissable valeur de l’homme, supérieure à celle de 1’ « arbre » dont la vie paraît indestructible. « Dieu — dira Elihu, xxxv, 11 —

Nous fit plus instruits que les bêtes de la terre, Plus sages que les oiseaux des cieux. »

3. Rapports avec Dieu.

Quand il touche à ses rapports individuels avec Dieu, Job s’exprime lui-même de double façon, selon qu’ils appartiennent à l’une ou à l’autre des deux périodes, si nettement tranchées, de sa vie : temps de prospérité, temps d’épreuves. Mais la fusion des contrastes, ou la conciliation des contraires, s’opère finalement dans son appel de Dieu à Dieu. Avant son malheur il était dans l’union la plus intime avec Dieu, xxix, qui élait pour lors son protecteur, 2, son guide, 3, son familier, 4-5.