Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 8.2.djvu/316

Cette page n’a pas encore été corrigée

2041 JUSTICE ORIGINELLE, PROBLÈME THÉOLOGIQUE — JUSTIFICATION 2042

tiples sujétions des puissances, sujétions réalisées dans la nature humaine grâce aux multiples vertus surnaturelles et dispositions naturelles émanant de la grâce et rectifiant les défauts naturels des puissances en vue d’orienter l’homme vers sa fin dernière surnaturelle, Dieu. Mais précisément cette orientation de l’homme vers sa fin surnaturelle donne aux diverses sujétions inférieures leur véritable portée : elle se présente donc, dans la justice originelle, comme l’élément déterminant. Or, elle se trouve formellement réalisée dans la subordination de la raison et de la volonté à Dieu, tandis que la subordination du corps à l’âme, des puissances inférieures aux supérieures n’est qu’une matière qui doit recevoir de la première subordination sa signification et son orientation. Par là se trouve justifiée, dans un sens aussi strict que possible, la double considération de l’élément formel et de l’élément matériel, dans la justice originelle. Ces deux éléments sont inséparables ; l’un appelle l’autre, comme la matière et la forme s’appellent mutuellement dans le composé physique. Voir Gonet, Tract, de vitiis et peccatis, disp. VII, a. 5, § 1, n. 84 ; Salmanticenses, Id., disp. XVI, dub. iv, § 3, n. 104 ; Billuart, De gratia, dissert. II præambula, § 3 ; et parmi les contemporains, Janssens, De homine, part. II, Rome, 1910, p. 635 ; Pignataro, De Deo creatore, Rome, 1914, th. xlix, et coroll. ; Billot, De peccato originali et personali, th. xii ; Pègues, O. P., Commentaire littéral, t. v, p. 121 sq.

Le deuxième courant identifie l’élément formel de la justice originel avec l’essence de cette justice. Sans doute le don de science et d’intégrité appartiennent encore en quelque sorte à la justice originelle, mais comme les propriétés découlent de la nature, unies indissolublement à elle, sans appartenir à ses éléments constitutifs. Ainsi, par voie d’opposition, le péché originel, dans cette interprétation, consistera essentiellement dans la privation de la grâce sanctifiante de l’état d’innocence ; la privation de l’intégrité, de la science, de l’immortalité, c’est-à-dire la concupiscence avec toutes ses conséquences dans l’ordre physique, physiologique et moral, n’appartiendra plus à l’essence du péché originel, mais n’en sera qu’une suite nécessaire. On voit aussitôt tout le parti que la théologie peut tirer de cette interprétation, soit pour réfuter l’erreur de ceux qui prétendent que le péché originel n’est pas un vrai péché, soit pour expliquer plus facilement l’assertion du concile de Trente relativement à la concupiscence qui, chez les baptisés, n’est dite péché que parce qu’elle vient du péché ou y dispose. Sess. v, can. 5. Mais on ne peut s’empêcher de constater que cette interprétation est étrangère à la lettre et à l’esprit de saint Thomas et, à plus forte raison, de saint Augustin. L’initiateur de ce courant paraît avoir été Dominique Soto, De natura et gratia, t. I, c. v, suivi par Grégoire de Valencia, In Jam p. Sum. S. Thomas, <tisp. VII, q. n ; Médina, In //am-J/æ Sum. S. Thomse, q. Lxxxiir, a. 2. Suarez, bien qu’il se défende de suivre l’opinion de Soto, soutient en réalité une interprétation assez semblable. De opère sex dierum, t. III, c. xx, surtout n. 21, Les théologiens modernes et contemporains, à l’exception de l’école strictement thomiste, suivent assez généralement cette opinion. Citons, principalement dans leurs traités du péché originel, Palmieri, Mazzella, Tanquerey, Hurter, Jungmann, Labauche, etc.

Ces diverses interprétations de la pensée de saint Thomas peuvent d’ailleurs parfaitement s’harmoniser avec le dogme catholique du péché originel ; elles ne présentent un intérêt particulier qu’au point de vue de l’explication théologique à en fournir. Pour le reste, on doit conclure avec Bellarmin : sive gratia gralum faciens dicenda sit pars originalis justitiæ, sive tantum radix et causa, non mullum referre videtur. De gratia primi hominis, t. I, c. m.

I. Problème apologétique. — Schmidt-Lemonnyer, La révélation primitive et les données actuelles de la science, Paris, 1914 ; Th. Mainage, Les religions de la préhistoire, Paris, 1921 ; Guibert-Chinchole, Les origines, Paris, 1923, c. viii ; E. Hugueny, Adam et le péché originel, dans Revue thomiste, 1911, p. 64 sq. ; H. Breuil, A. et J. Bouyssonie, art. Homme, dans le Dictionnaire apologétique de la Foi catholigue, t. ii, col. 462-492 ; et parmi les auteurs plus anciens, mais toujours utiles à consulter, Hamard, L’âge de pierre et l’homme primitif, Paris, 1883 ; de Quatrefages, Introduction à l’étude des races humaines, Paris, 1889 ; Hommes fossiles et hommes sauvages, Paris, 1884 ; de Nadaillac, Le problème de la vie, Paris, 1893.

II. Problème dogmatique.

S. Thomas, Sum. theol., 1*, q. xciv-ci, et les commentateurs, Suarez, De opère sex dierum, t. III, De hominis creatione ac statu innocenlix ; Bellarmin, De gratia primi hominis, Opéra, Vives, t. v, p. 169-207 ; Bipalda, De ente supcrnaturali, Paris, 1871, t. v, 1. I ; Petau, Theologica dogmata, De sex primorum mundi dierum opificio, t. II, avec l’appendice du P. Casini, S. J., Quid est homo, Bar-le-Duc, t. iv, p. 353, 362, 587, sq. ; et parmi les auteurs plus récents, Palmieri, Tractatus de ordine supernaturali, Prato, 1910 (3e partie du De Deo créante et élevante), c. n ; Mazzella, De Deo créante, disp. IV, Borne ; Pignataro De Deo creatore, Borne, 1904 ; Janssens, De homine, part. II, Borne, 1919 ; Chr. Pesch, Prælectiones dogmalicæ, c. ni, Fribourg-en-B., 1880, 1914, p. 113 sq. ; Lepicier, Tractatus de prima hominis formatione, Paris, s. d. (1910) ; et, en langue française, Hugueny, O.P., Critique et catholique, Paris, 1914, t. ii, c. vii ; Labauche, Leçons de théologie dogmatique, Paris, 1911, t. ii, c. i, La justice originelle ; L. Grimai, S. S., L’homme, Paris, 1923, 1. 1, c. xii-xiv.

III. Problème théologique.

Gonet, Clypeus theologiee thomisticæ, De homine, disp. I, a. 5 ; Suarez, De opère sex dierum, t. III, c. xx ; Mazzella, op. cit., n. 651-661 ; Palmieri, op. cit., th. xxvin ; et, très récemment : a) dans le sens de l’opinion de Cajétan, Martin, O. P., La doctrine sobre el pecado original en la « Summa contra Gentiles » dans Ciencia thomista, Madrid, 1915 ; J. Bittremieux, La distinction entre la justice originelle et la grâce sanctifiante, d’après S. Thomas d’Aquin, dans Revue thomiste, avril-juin 1921, et surtout J.-B. Kors, O. P., La justice primitive et le péché originel, d’après S. Thomas, Kain, 1922 ; &)dans le sens de l’opinion de Capréolus, Gonet, etc. : A. Michel, La grâce sanctifiante et la justice originelle, dans Revue thomiste, 1922, p. 424, et surtout J. Van der Meersch, De distinctione inler justitiam originalem et gratiam sancti ficantem, dans Collationes Brugenses, 1922 ; G. Huarte, Justifia originalis et gratia sancti ficans, dans Gregorianum, juin 1921 ; c) dans un sens plus large, les critiques du B. P. Stufler, S. J., sur le livre du B. P. Kors, dans Zeitschrift jiïr kathoUîche Thea’76, 1923, p. 79-82.

A Michel.


JUSTIFICATION. — Sous le nom de justification la théologie désigne l’acte par lequel Dieu lait passer une âme de l’état de péché à l’état de grâce. Le même mot s’applique encore à l’état même où l’acte divin constitue l’âme, jusque-là pécheresse et devenue par la justification amie de Dieu. Mais ce second aspect n’est pas celui que l’on étudiera principalement ici ; c’est au mot Grâce sanctifiante qu’il a été surtout envisagé. Toute l’attention doit se concentrer à présent sur le processus par lequel l’âme, d’abord ennemie de Dieu, en devient l’amie. Qu’implique de la part de Dieu cet acte ? Que suppose-t-il dans celui qui en est l’objet ? On sait, en bref, que la doctrine de la justification est le point essentiel de divergence entre catholiques et protestants ; et il est impossible de l’exposer sans entrer dans le vif de la querelle entre les deux confessions. Pourtant l’exposé que l’on trouvera ici évitera volontairement toute allure de polémique. Il se contentera d’exposer la manière dont s’est précisée au cours des âges la doctrine de la justification. Il suivra donc cette doctrine :


I. Dans la Sainte Écriture. —
II. A l’époque patristique (col. 2077). —
III. Chez les scolastiques du Moyen Age (col. 2106). —
IV. A l’époque de la Réforme