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    1. JUSTICE ORIGINELLE##


JUSTICE ORIGINELLE, PROBLÈME THÉOLOGIQUE

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et justice originelle, quoique concédées par Dieu à l’homme simultanément et en fait inséparables, sont néanmoins formellement et adéquatement distinctes entre elles. La grâce place l’homme dans l’ordre surnaturel ; la justice originelle, quoique don gratuit de Dieu et au-dessus des exigences de la nature, ne fait que rectiiier la nature dans son ordre propre sans l’élever à un ordre supérieur. La grâce sanctifiante est une grâce gratum /aciens ; la justice originelle est une grâce gratis data. Ce sont donc deux réalités physiques différentes, tout comme les concevaient les théologiens antérieurs ù saint Thomas : la première est la racine et la cause de la seconde ; la seconde dispose l’homme à recevoir la première. L’on assure d’ailleurs que cette doctrine est celle de saint Thomas, car : a) Saint Thomas distingue en termes exprès grâce et justice originelle, In IV Sent, , 1. If, dist. XX, q. ii, a. 3 ; De malo, q. v, a. 1 ; Contra Génies, t. IV, c. lit. —

b) Si la grâce était incluse formellement dans la justice originelle, elle en serait, comme l’affirment ceux qui tiennent cette opinion, la partie formelle ; or, saint Thomas ne dit jamais que la grâce sanctifiante est la partie formelle de la justice originelle ; mais bien que l’élément formel est constitué par la rectitude de la volonté, laquelle procède de la grâce comme de sa racine, de sa cause, de sa source. Id., ibid. —

c) La grâce est un don personnel au premier chef puisqu’elle inclut l’adoption et ne saurait être incluse dans la justice originelle, qui est le don de la nature ; on conçoit que le don de la nature, transmis par voie de génération, comme il a été expliqué, appelle nécessairement dans la personne à qui se trouve communiquée la nature, le don personnel de la grâce ; on ne conçoit pas que la grâce sanctifiante puisse être transmise par voie de génération. Aussi saint Thomas ne dit pas que dans l’hypothèse où la grâce donnée à la vierge Marie aurait causé la subordination totale de la partie inférieure de l’âme à la raison et à la volonté, cette grâce aurait restitué la justice originelle ; mais qu’elle aurait eu la vertu de la justice : vim habuil justifiée originalis, Sum. Theol., IIP, q. xxvii, a. 3. —

d) Enfin, dans le Commentaire sur Rom, , c. v, lect. 3, saint Thomas dit que la justice originelle fut concédée à l’âme, « à cause de sa dignité d’âme raisonnable » : n’est-ce pas équivalemment affirmer que son effet était de rectifier l’homme seulement dans l’ordre naturel ? Telles sont les raisons qu’on peut invoquer en faveur de l’interprétation de Cajétan. On ne peut nier que cette théorie présente des avantages pour expliquer plus rationnellement la transmission du péché originel, privation de la justice naturelle, Impliquant comme conséquence la privation de la grâce. Mais on ne doit pas dissimuler qu’elle offre une difficulté considérable en ce qui concerne le rapport de causalité de la grâce vis-à-vis de la justice originelle ? Causalité formelle ou efficiente ?

2. Aussi, l’école thomiste a-t-elle généralement interprété la pensée de saint Thomas d’une façon différente. Sans doute la justice originelle est réellement distincte de la grâce sanctifiante, mais, elle en es1 distincte comme le tout l’est de sa partie, la justice incluant formellement la grâce : la distinction réelle n’est donc plus adéquate, mais simplement inadéquate. C’est l’interprétation de Capréolus, In IV Sent., t. II, disl. XXI, a. ; i : non sola gratin gratum faciens erat justilia originalis, sed ultra eam aliud includebat. Gonet l’expose, Clypeus, tract, viii, disp. I, a. 5, en deux affirmations : d’abord, adéquatement considérée, la justice originelle n’est pas une simple qualité ou disposition de l’âme, niais tout un ensemble de qualités et de dispositions ; elle Importait en effet, outre la grâce sanctifiante, les dons préternaturels rectifiant les diverses puissances de l’homme. En second lieu, inadéquatenient considérée, c’est-à-dire considérée dans l’élément primordial qu’elle communique à l’âme et qui est la source, la racine, l’origine de tous les autres, la justice originelle est proprement la grâce sanctifiante, de même nature sans doute que la nôtre, mais avec des effets plus étendus et des propriétés que l’état de nature réparée ne connaît plus. Ces effets, elle les produisait par une vertu particulière que lui avait annexée Dieu dans l’état d’innocence, ralione cujusdam accidentis annexi, dit saint Thomas. In IV Sent., t. II, dist. XXXII, q. i, a. 2, ad 2um. Tous les auteurs modernes, depuis le xvie siècle, se recommandant du patronage de saint Thomas, admettent, du moins dans ses lignes générales, cette interprétation. Les raisons alléguées en faveur du patronage du docteur angélique sont les suivantes :

a) Déjà dans le Commentaire sur les Sentences, saint Thomas parle de la grâce sanctifiante comme de la racine de la justice originelle, à laquelle elle est si intimement liée qu’elle en paraît être l’élément principal ; et. il n’hésite pas à déclarer qu’elle aurait été, dans l’état d’innocence, transmise par la génération, comme un don, non de la personne, mais de la nature. In IV Sent., t. II, dist. XX, q. 2, a. 3, et ad lum. Mais dans la Somme, I 1, q. xcv, a. 1, la justice originelle est présentée comme un effet préternaturel, qui ne peut être causé que par la grâce sanctifiante. C’est dire implicitement que la grâce sanctifiante est la cause formelle de la justice originelle ; — b) Partout où saint Thomas parle de l’effet du baptême dans l’âme régénérée, il explique que le péché originel (privation de la justice originelle) est enlevé quant à sa partie formelle, par la restitution de la grâce sanctifiante, De malo, q. v, a. 6, ad 4um ; q. iv, a. 2, ad 2 « m (e terlia série obj.) ; cf. In IV Sent., I. II, dist. XXXII, a. 1, ad fum et ad 2um. On trouvera dans Gonet les objections soulevées contre cette interprétation et résolues par lui dans la mesure du possible. On ne peut nier que, si cette interprétation offre une solution facile aux difficultés des protestants contre l’essence du péché originel (lequel consisterait surtout dans la privation de la grâce sanctifiante), elle impliquerait en saint Thomas une rupture complète avec les thèses généralement admises de son temps : or, il semble bien que saint Thomas ne se sépare pas d’Alexandre de Haies, de Pierre de Tarentaise, de saint Bonaventure, sur la nature de la justice originelle, mais simplement sur le moment de la sanctification d’Adam. De plus, on peut observer que les conciles ont parlé de la « sainteté » et de la « justice », dans lesquelles Adam avait été constitué : cette double expression implique une nuance à laquelle le théologien ne saurait être insensible.

3. Cette seconde interprétation de la pensée, de saint Thomas, a donné elle-même naissance à deux courants dissemblables.

Le premier, fidèle à la lettre de saint Thomas, considère que la justice originelle consiste essentiellement dans la rectitude complète de toute la nature humaine, la soumission de la raison et de la volonté à Dieu (issue de la grâce sanctifiante) étant l’élément formel, la soumission des puissances inférieures aux parties supérieures étant l’élément matériel de cette rectitude. A l’opposé, on concevra le péché originel, comme essentiellement constitué par la privation de la justice originelle, c’est-à-dire, formellement par la privation de la réel i lude de la raison et de la volonté et matériellement par la concupiscence (avec toutes ses conséquences dans l’intelligence et dans la sensibilité). Cf. S. Thomas. In IV Sent., I. II. dist. XXXII, q. I, a. 1, ad lum ; De malo, (|. iii, a. 7. Sans doute, la justice originelle considérée dans son élément primordial qui est la grâce sanctifiante (mais la grâce sanctifiante de l’état d’Innocence, avec toute la vigueur particulière à cet état) est un « habitus » unique, dont les effet ! sont les mul-