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    1. JUSTICE ORIGINELLE##


JUSTICE ORIGINELLE, PROBLÈME DOGMATIQUE

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et l’étendue. Nous pouvons, sur ces points, accepter le principe a priori posé par les théologiens du Moyen Age, à savoir qu’Adam, créé par Dieu à l’état d’homme adulte, a dû recevoir de Dieu les connaissances nécessaires à sa vie personnelle et à son rôle de chef de l’humanité. Mais on peut rejeter les applications exagérées de ce principe indiscutable. Sans revenir sur les conclusions déjà formulées à Adam, col. 371, nous Considérons avec les meilleurs théologiens contemporains que le don de science communiqué à Adam comporte Vraisemblablement trois prérogatives, qui s’harmonisent sans trop de p’ine avec les exigences de la préhistoire et de l’ethnologie. Tout d’abord il faut admettre une révélation surnaturelle d’ordre religieux et moral (sur le contenu de cette révélation, voir Idolâtrie, t. vii, col. 607). Cette révélation non seulement comporte en Adam l’infusion de la -grâce sanctifiante et de son cortège de vertus, notamment la vertu de foi, mais encore implique une véritable perfection de l’intelligence. La préhistoire et l’ethnologie ne sauraient contredire ces affirmations. On peut reconnaître aussi en Adam une sorte de génie, puissance extraordinaire d’intelligence, lui permettant d’acquérir rapidement la science qui lui était nécessaire pour avoir une vie

  • vraiment humaine : et ce génie, qui s’allie fort bien

avec les premiers tâtonnements de l’inexpérience, est très admissible chez le premier homme, sans qu’il lui ait pour cela conféré du premier coup la science très parfaite à laquelle il pouvait, en mettant en œuvre cette puissance intellectuelle, parvenir dans la suite. « Avoir du génie n’est pas la même chose que savoir beaucoup de choses et être matériellement prêt sur tout. Il n’était pas besoin qu’Adam fût initié à tout le détail de la science. Mais il devait posséder un esprit ouvert pour’tout ce qu’exigeait sa situation. Il lui fallait le tact et l’habileté requises pour faire droit à toutes les exigences de cette situation. Il devait faire les premiers pas dans la bonne voie. Mais il appartiendrait à ses descendants de s’engager plus avant. Il ne pouvait entrer dans le plan de Dieu de marquer les débuts de l’humanité par une communication surnaturelle de science et de puissance telle qu’elle eût rendu superflu tout effort vers un perfectionnement ultérieur. » Ch. Pesch, Gotl und Gôlter, Fribourg-en-Br., 1890, p.’62. Cf. Prætectiones dogmalicæ, t. iii, n. 212. Enfin, il ne faut pas pour autant exclure du premier homme, sorti des mains de Dieu, une certaine communication d’idées toutes faites, et qui lui auraient été infusées, pour ainsi dire, d’un seul coup et en bloc, par Dieu lui-même. Privé de l’éducation des parents, créé à l’état d’homme fait, Adam du recevoir de Dieu immédiatement et toute faite l’éducation nécessaire à un homme de son âge et de sa condition ; et Dieu a dû la communiquer d’autant plus largement que le premier couple humain avait à remplir dans la suite, pour la première fois et dans des conditions propres à servir d’exemple, 1e rôle nécessaire d’éducateur à l’égard des hommes <mi naîtraient de lui. Cf. SchmidL op. cit., p. 203. Ces principes permettent de réduire à ses justes proportions la solution théologique de l’origine du langage. Voir Langage (Origine du). Sur l’inerrance du premier homme, voir Adam, t., col. 371.

4. Bonheur. —

Les théologiens considèrent que l’ensemble de ces dons préternaturels constituait pour Adam l’état de félicité relative du paradis terrestre. Gen., ii, 8. Bien plus, grâce à la science par laquelle Adam pouvait connaître sans difficulté tout ce qui, dans l’ordre temporel comme dans l’ordre spirituel, lui était nuisible, utile ou nécessaire, grâce à l’intégrité qui facilitait l’usage complet de cette science, sans obstacle du côté des appétits inférieurs, grâce à l’immortalité qui excluait tout principe intérieur ou extérieur de corruption et, il faut l’ajouter, grâce à la providence spéciale de l’état d’innocence, nos premiers parents pouvaient éviter les peines, les maladies et les épreuves spirituelles et corporelles. Saint Thomas n’hésite pas à considérer comme un enseignement catholique la doctrine de cette félicité relative de nos premiers parents : Habet enim hoc traditio fidei, quad nullum nocumentum creatura rationalis potuissel incurrere, neque quantum ad animam, neque quantum ad corpus, neque quantum ad aliqua exleriora, nisi peccalo prœcedente. De malo, q. i, a. 4.

5. Caractère héréditaire de ces dons. —

Un dernier point appartient encore à l’enseignement officiel de l’Eglise, et constitue une conclusion théologiquement certaine du dogme de la transmission du péché originel et des peines de ce péché. C’est que les dons préternaturels qui, avec la grâce sanctifiante, constituaient les éléments de la justice originelle, devaient passer aux descendants d’Adam, si l’obstacle du péché ne s’opposait pas à leur transmission.

Aucun doute n’est possible pour la grâce elle-même. Car le Christ est venu, nous rendre la grâce, Joa., i, 12, 16 ; Rom., v, 5, 9 ; viii, 14-17, nous rétablir en l’état primitif. Cette idée est implicitement contenue dans les concepts de réconciliation, Rom., v, 10, de rachatde l’esclavage du démon, Rom., viii, 23 ; cf. Joa., viii, 36 ; plus explicitement dans ceux de rénovation ou nouvelle création, II Cor., v, 17 ; de récapitulation, de restauration du genre humain dans le Christ Jésus ; voir surtout les textes si expressifs, Eph., iv, 23-24 ; i, 10 ; Col. i, 20. De là la comparaison paulinienne du « premier Adam », principe de la vie naturelle et du « nou /el Adam », principe de la vie surnaturelle. I Cor., xv, 45 sq. ; Rom., v, 15 sq. Or, on ne peut réparer, restituer, donner à nouveau, récapituler, restaurer que ce qui existait ou aurait dû précédemment exister. 11 est bien évident que la mort, dont Adam avait été menacé par Dieu s’il péchait, Gen.. ii, 15, 17 ; iii, 17, n’est entré dans le monde que par le péché, Rom., v, 12, dont elle est la rançon, vi, 23 ; cf. Sap., i, 13 ; ii, 23. Il faut en dire autant de la concupiscence qui est représentée comme la suite du péché, Gen., ni, 7, 11, au point que saint Paul l’appelle péché. Rom., vi-vii. Quant à l’ignorance, l’Écriture semble l’attribuer à l’homme par suite du péché, Sap., ix, 14-16 ; Eccli., vu, 30, et les Pères n’hésitent pas à en faire, comme ils le font pour la concupiscence et la mort, la suite du péché originel. Voir, en particulier, S. Augustin, Opus imperjectum, t. V, c. i, P. L., t. xlv, col. 1432, et, tout aussi explicite, S. Jean Chrysostome, dans un texte trop souvent négligé. In Joannem. homil. xxwi, n. 2, P. G., t. lix, col. 205. Toutefois, le don de science, en partie communiqué à Adam pour suppléer à l’absence d’éducation, Adam ayant été créé à l’état d’homme fait, ne paraît pas susceptible d’une transmission intégrale, puisque les enfants, nés de la race d’Adam, eussent reçu de leurs parents cette bienfaisante et nécessaire éducation : mais ces enfants, dépourvus de la science infuse, eussent cependant hérité d’Adam la facilité d’acquérir la science et d’utiliser, au temps marqué par la nature, la lumière des principes intellectuels qu’ils auraient reçue plus abondante que dans l’état présent. Cf. S. Thomas, Sum. theol., i, q. ci, a. 1, et ad 3’"Q.

L’enseignement officiel de l’Église corrobore indirectement toutes ces assertions. D’après les conciles, en effet, c’est Adam qui nous a transmis, à tons, par sa faute initiale, non seulement le péché et la mort. mais encore la concupiscence, un véritable amoindris sèment des forces de l’âme et du corps, la corruption du corps, la captivité sous le joug du démon, les peine-, corporelles : signe évident de la vérité de la proposition inverse : Adam ne péchant pas nous aurait transmis son état de félicité relative, c’est-à-dire la justice originelle tout entière. Cf. le XVIe concile dé Carthage.