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    1. JUSTICE ORIGINELLE##


JUSTICE ORIGINELLE, PHUBLÈME DOGMATIQUE

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premiers débuts de l’histoire humaine et qui n’a cessé de prendre de plus vastes proportions. Seules les forces extranaturelles de la religion de l’Ancien Testament, puis de la révélation chrétienne, se sont trouvées capables d’arrêter cette décadence et d’inaugurer un mouvement ascensionnel vers des sommets plus élevés. Ce que nous trouvons au début de l’évolution descendante, ce sont des Tonnes d’une extrême et enfantine simplicité. Mais plus nous nous rapprochons de ce début lui-même, moins nous rencontrons d’absurdités et de déformations, et plus nous découvrons d’éléments réellement purs et élevés. Les données de la préhistoire sont corroborées sur ce point par les remarques de l’ethnologie. Chez les peuples non civilisés, au milieu de la cruauté, de l’immoralité, de la grossièreté, signes non équivoques d’une décadence morale accentuée, se rencontrent néanmoins de nombreux traits de moralité véritable et élevée. Cf. Mgr Le Roy, La relit /ion des primitifs, Paris, 1909. Ces traits sont aussi des signes non équivoques d’un état moral antérieur plus élevé et plus parfait. Depuis longtemps la philosophie catholique avait noté que le progrès de la civilisation intellectuelle et matérielle n’allait pas nécessairement de pair avec le progrès de la civilisation morale et religieuse, et que même, dans les deux ordres, il pouvait y avoir marches opposées. N’est-ce pas à cela, en fin de compte, qu’aboutit la célèbre distinction faite par saint Thomas entre la raison supérieure et la raison inférieure dans l’homme ? La raison supérieure étant celle qui porte sur les choses éternelles pour les contempler ou pour les consulter en vue d’en tirer une règle pratique de conduite, n’est-ce pas le principe de la civilisation religieuse ou morale. La raison inférieure, qui porte sur les choses temporelles, n’est-elle pas la source du progrès intellectuel et matériel ? Or, bien que ce soit la même faculté qui s’applique à la considération des choses éternelles et à celle des choses temporelles, il ne s’ensuit pas qu’elle s’y applique également. CA.Sum. theol., I’. q. lxxix, a.9 ; Dc veritalc. q. xv, a. 2 ; In IV Sent.. t. II, d. XXIV, q. ii, a. 2.

Les données de l’ethnologie en effet, nous montrent l’évolutionnisme impuissant à expliquer l’origine de la religion, et en particulier du monothéisme. Voir, sur ce point désormais acquis, V Introduction du H. I’. Lagrange à ses Etudes sur les Jieligions sémitiques, résumée ici même, voir Idolâtrie, t. vii, col. 609-622. Mais, de plus, la science elle-même conduit à penser que, selon toute vraisemblance, le monothéisme a précédé historiquement les autres formes de religion. Ce ne serait pas trop dire qu’affirmer du monothéisme qu’il a élé la religi m des hommes de l’époque paléolithique, à condition, bien entendu, de ne pas mettre sous ce mot des concepts philo ophiques trop arrêtés. Cf. Th. Mainage, op. cit., c. ix. Les paléolithiques auraient donc eu l’idée de Dieu, et (affirmation en apparence paradoxale, mais en réalité, profondément vraie) dans les millénaires que comprend l’âge paléolithique, les peuplades qui semblent avoir eu de Dieu une idée assez pure sont précisément cilles que leur culture matérielle place au dernier rang. Et ainsi, dans le domaine moral et religieux, se trouve rétablie, au nom de la science même, la doctrine de la dégénérescence, que les catholiques avaient eu le tort d’étendre, sans distinction, à toute espèce de civilisation. Après avoir exposé les causes de la dégénérescence du monothéisme : animisme, mythologie astrale, vicissitudes de la politique (voir, sur ces points, Mainage, op. cit., p. 373, s<|. ; Schmidt, op. cit., p. 115), le P. Mainage COncluI ainsi son étude sur le monothéisme de l’âge paléolithique : « Ainsi l’homme quaternaire, tout animiste et niagiste qu’il fût, a pu garder le souvenir fidèle de Dieu. Et lorsqu’on a pesé, mûri, coin paré les raisons capables d’éclairer le débat. « ni est en droit de conclure qu’au temps des glaciers, la décadence religieuse était peut-être moins prononcée qu’elle ne l’est parmi nombre de peuplades de Primitifs actuels. Le germe morbide était semé. Il n’avait pas encore donné tous ses fruits. Le totémisme, la mythologie astrale, le culte des morts et des ancêtres n’avaient pas encore surgi à l’horizon de cette humanité plus saine, plus vigoureuse que l’humanité sauvage d’aujourd’hui. Et si l’on réunissait, dans un seul chœur, les %oix de tous les primitifs du présent et du passé, celle de l’homme préhistorique monterait, sans doute, plus puissante et plus pure, vers le Dieu créateur. » Op. cit., p. 381. Bien plus, fait observer le P. Schmidt, « ces peuples eux-mêmes, pour primitifs qu’ils soient, ne représentent déjà plus l’état initial de l’humanité. Ils sont eux-mêmes le fruit d’une évolution. D’autre part, tout ce que nous pouvons connaître en matière d’évolution naturelle de l’humanité sur le terrain religieux représente un mouvement de décadence… Nous avons donc le droit, sans quitter le terrain purement scientifique, de supposer chez ces peuples eux-mêmes un certain degré de décadence religieuse par rapport à l’état initial. En d’autres termes, les débuts proprement dits ne sauraient être conçus à la mesure précise de l’état religieux de ces peuples. Ils doivent avoir été plus élevés, plus purs, plus parfaits encore. > Op cit. p. 188.

Il convient enfin de faire remarquer qu’il est téméraire de juger l’état d’une civilisation morale et religieuse par les vestiges d’industrie qu’elle nous a légués. M. Carthaillac rappelle que l’ethnographe Tylor avait comparé naguère les Tasmaniens avec les hommes de l’âge paléolithique. Pourquoi ? Les Tasmaniens « avaient laissé dans des monticules de coquillages, interminables amas de débris de cuisine, quantité de pierres simplement taillés, d’aspect analogue à celles des chasseurs de rennes et de mammouths. » Cet outillage était « très sauvage, le plus sauvage connu. » Donc, pensait-on, on avait là « quelque survivance de nos civilisations paléolithiques, » « Or, il se trouve que cet outillage jugé des plus inférieurs appartenait a des hommes doués d’une intelligence remarquable, d’une grande douceur, de sentiments élevés. » Ils avaient c leurs terrains de chasses., rigoureusement délimités. Ils axaient leurs chefs. Les règles observées pour le choix des épouses étaient compliquées, l’adultère puni… Inutile d’ajouter que les Tasmaniens avaient leurs croyances surnaturelles et leurs su]) rstitions. » Grottes de Grimaldi, Monaco, 1912, t. ii, p. 245-246.

On peut donc conclure que les indications des sciences préhistoriques et de l’ethnologie ne nous interdisent pas de considérer le premier homme comme capable de recevoir de Dieu une révélation surnaturelle d’ordre religieux et moral ; que, dans l’ordre des connaissances naturelles, ces disciplines, tout en nous montrant comme assez limité l’objet de ces connaissances (les besoins de l’homme primitif ne sont pas tels qu’ils nécessitent une science extraordinaire), n’élèvent aucune objection irréfutable contre l’idée de placer, tout au début de l’évolution de l’humanité, l’apparition d’une sorte de génie dans l’intelligence du premier homme, génie lui permettant d’acquérir facilement, au contact de l’expérience, les notions dont il pouvait avoir besoin ; qu’enfin la civilisation intellectuelle et matérielle, ti ue rudimentaire qu’1 fil.de l’homme primitif ne s’oppose en rien a sa parfaite droi turc morale. Ces conclusions sont absolument indépendantes de l’hypothèse d’une déchéance prononcée par Dieu en punition d’une faute originelle, et ne font que recevoir une valeur plus considérable d’une telle hypothèse.


III. Problème dogmatique. —

L’enseignement dogmatique de l’Eglise, louchant l’élévation du pic