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2021

    1. JUSTICE ORIGINELLE##


JUSTICE ORIGINELLE, PROBLÈME APOLOGÉTIQUE

2022

I : Définition. —

Il est impossible de donner une définitions exacte de la justice originelle, avant d’en avoir précisé le concept théologique. Or, ce concept théologique est des plus controversés. On devra donc, en toute hypothèse, se contenter d’une définition assez large pour englober dans le concept de justice originelle les éléments qu’y placent d’un commun accord tous les théologiens, sans toucher cependant aux discussions d’écoles.

Tout le monde est d’accord pour reconnaître que l’état de justice originelle, c’est-à-dire l’état d’innocence où se trouvait Adam avant sa chute, voir Innocence (Étal ci’), t. vii, col. 1939, comporte tout un ensemble de dons naturels et préternaturels destinés à élever l’homme au-dessus de sa condition, c’est-à-dire, d’une part, à l’ordonner à une fin surnaturelle et. d’autre part, à corriger les défauts du composé humain qui pouvaient faire obstacle. à cette fin. Ces dons communiquaient ainsi à l’homme l’harmonie et l’ordre entre ses différentes parties et ses diverses puissances, le corps étant soumis à l’âme, les facultés inférieures aux facultés supérieures, la raison et la volonté à Dieu. La justice originelle était donc un principe rectificateur dans l’homme, et, parce que ce principe rectificateur n’était pas dû à la nature humaine en vertu de ses éléments constitutifs, on peut la définir d’une manière générale : la rectitude parfaite gratuitement accordée par Dieu à l’homme avant le péché.

De quels éléments se compose cette rectitude parfaite : tel est le problème de la justice originelle, envisagé sous son aspect di g not q te. Comment doit-on concevoir le rapport mutuel de ces différents éléments et leur relation avec la nature humaine, tel est le problème envisagé sous son aspect proprement théologique. Ces deux problèmes eux-mêmes ne sauraient être abordés qu’après la solution d’une difficulté d’ordre scientifique : étant données les affirmations de la préhistoire et de l’ethnologie, un état de justice originelle est-il possible, est-il probable aux débuts de l’humanité ? c’est là le côté apologétique du problème de la justice originelle.

II. Problème apologétique. —

1° La difficulté à résoudre. —

Il faut avant tout expliquer comment l’enseignement catholique touchant l’élévation de l’homme primitif au-dessus des conditions de sa nature est compatible avec les données de la science sur les conditions de l’humanité à ses origines. D’après la préhistoire, la civilisation plus que rudimentaire de l’homme primitif témoigne d’une évidente faiblesse intellectuelle et vraisemblablement d’une absence totale d’idées morales ou religieuses. L’homme a pu, a dû se perfectionner, mais le point de départ a été infime, sinon inférieur à l’homme lui-même. C’est le point de vue évolutionniste, soutenu par G. de Mortillet et son école. Cf. G. de Mortillet, Le Préhistorique, 2e édit., Paris, 1883, p. 475, 603. L’ethnologie, venant à l’aide de la préhistoire, voit dans lespeuples sauvages actuels, une reproduction attardée des vrais primitifs, et par là nous montre l’homme à ses origines dans un état voisin de l’animalité.

A vrai dire, jusqu’en ces derniers temps, les théologiens se sont montrés assez peu préoccupés de cette difficulté. Ils y répondaient par une sorte de fin de non recevoir, reléguant l’objection parmi les assertions rationalistes, voir Adam, 1. 1, col. 370, et considéraient les sauvages actnels, non comme des arriérés ou des retardataires, mais comme des dégénérés, déchus d’un état supérieur. Cette thèse s’appuyait sur le dogme du péché origin-1, en vertu duquel il existe dans l’homme une dégénérescence morale rejaillissant en dégénérescence intellectuelle d’ordre pratique. Cf. S. Thomas, Sam. theol., Ia-IIæ, q. lxxxv, a. 3. On sait d’ailleurs que saint Thomas considère, au simple point de vue philosophique, les infirmités humaines, corporelles et spititnelles, comme des indices probables du péché originel. Contra Gentes, t. IV, c. lu. D’autre part, les apologistes ont cherché dans l’ethnologie elle-même une démonstration scientifique de la dégénérescence des sauvages actuels. Leur thèse se résume en trois points : 1. le sauvage actuel est un dégénéré, un dégradé et non un retardataire ; 2. de multiples causes, parmi lesquelles il faut mettre au premier rang les dillicultés de la vie matérielle, font rétrogader l’homme déjà civilisé jusqu’à l’état sauvage ; ?>. sous l’influence de cette action dégradante, les hommes sont voués à la dégénérescence intellectuelle et morale jusqu’à leur complète disparition. Guibert-Chinchole, Les Origines, Paris, 1923, p. 624-642. Cf. Tanquerey, Synopsis thalogiæ dogmalicee specialis, Paris, 1913, t. i, n. 893

Cette solution est vraie en substance ; mais elle a grand besoin d’être nuancée. D’une part, en effet, l’hypothèse évolutio miste, qui ne mêle à ses conclusions aucune prétention antireligieuse, doit reconnaître que ni la préhistoire, ni l’ethnologie ne lui permettent de conclure au caractère inférieur de la vie intellectuelle chez les hommes de l’époque paléolithique : les premiers hommes connus sont déjà des hommes. Cf. Schmidt-Lemonnyer, La révélation pri* milive, Paris, 1914, p. 150-160 ; Th. Mainage, Les religions de la préhistoire, Paris, 1921, c. ii, m. Mais. d’autre part, la doctrine apologétique de la dégénérescence n’est pas plus scientifiquement établie que’la doctrine antireligieuse de l’évolutionnisme absolu. Le P. Schmidt n’hésite pas à conclure ainsi une discussion sur cet objet : « Sans doute, l’hypothèse d’une régression vers l’état sauvage et la barbarie se vérifie pour un assez grand nombre de peuples non civilisés actuellement existants. Toutefois, ces dégénérés ne représentent, parmi les.non civilisés, qu’une minorité. La grande masse des non civilisés ne sont pas des dégénérés ; ce sont des retardataires, qui se sont immobilisés à l’une des étapes anciennes de l’évolution humaine. » Op. cit., p. 78. En tout état dee a se, il nous faut donc tenir compte, dans la solution à proposer, de ces nouvelles dispositions des savants catholiques.

Esquisse d’une solution.


La conciliation entre la thèse catholique de l’élévation primitive et les affirmations de l’ethnologie reste néanmoins encore possible. Les ethnologistes font tout d’abord observer que les différences profondes existant entre peuples non civilisés et peuples civilisés n’intéressent guère, après tout, que la civilisa/ion matérielle, et qu si l’on regarde la civilisation spirituelle, c’est-à-dire la possession des forces intellectuelles, les non civilisés sont des hommes aussi bien que les civilisés. Ils sont des hommes, non pas à moitié ni au quart, mais complètement, et cette assertion représente une des conquêtes les plus précieuses de la nouvelle ethnologie par rapport aux théories évolutionnistes absolues. Toutefois, la civilisation matérielle apporte elle-même un progrès notable dans le domaine de la civilisation spirituelle ou intellectuelle, parce que cette civilisation matérielle amène forcément l’esprit à une connaissance plus parfaite et plus complète de ses ressources et de ses énergies. La découverte de l’écriture, l’habitude de la réflexion et de l’abstraction dans le raisonnement contribuent aussi à amener à son dernier perfectionne ? ment la civilisation intellectuelle. Et, en tout cela, il faut accorder qu’il y a eu, dans l’humanité, non pas régp ssion, mais progrès.

Néanmoins, les progrès réalisés par les peuples dans le domaine de la civilisation maténVIle at intellectuelle n’ont pas réussi à enrayer un mouvement parallèle de dégénérescence, de décroissance, que l’ethnologie elle-même constate, dans le domaine, moral / religieux : I mouvement qui a commencé à se faire sentir dès les