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JUSTICE (VERTU DE) - JUSTICE ORIGINELLE

2020

La vertu de religion, qui rend à Dieu le culte qui lui est dû, est donc, en même temps qu’une justice, une justice déficiente.

Aux pan nts, non plus, il n’est pas possible de rendre tout ce qu’on doit, et la raison est proportionnellement la même. C’est pourquoi la pieté filiale sera jointe à la justice sans se confondre avec elle.

1 c même encore ce qui est dû à la vertu, aux dévouenii nts dont font preuve à notre endroit ceux qui gèrent nos intérêts, nous instruisent, nous gouvernent, etc., ne prête à aucune égalité rigoureuse. La vertu ne se paye pas, se trouvant placée, en tant que bien de la raison au-di ssus de toute réalité extérieure. En effet, la verlu est le triomphe de la raison, car la raison, selon le mot de saint Thomas, Sum. theal., la 1 1°, q. lxiii, a. 2, ad 3um, par la vertu prend possession d’elle-même et des appétits. Un certain culte (observantia), impliquant, unis ou distingués suivant les cas, l’honneur, l’obéissance, la crainte, la reconnaissance, etc., se trouvera, de ce chef, annexé à la justice.

Voilà donc trois vertus qui sont jointes à la justice sans se confondre avec elle, parce que tout en concernant un autre que le sujet qui agit et en lui rendant ce qui lui ( st ùù. au titre le plus strict, elles sont, impuissantes à acquitter cette dette dans sa totalité.

Vertus n’impliquant pas strictement la notion de dû.

Mais d’autres vertus peuvent être considérées comme annexes à la justice, parce que la raison de dette au sens strict du mot ne peut leur convenir.

Or il y a deux sortes de dettes : la dette légale et la dette morale, et à chacune de ces espèces de dette correspond un droit spécial. Le droit légal appartient à la justice proprement dite, comme la dette légale à la vertu principale de. justice. La dette morale relève de la simple honnêteté, c’est-à-dire qu’elle est ce qu’on doit par honnêteté, par vertu. Et parce que le mot dette implique une nécessité morale, la dette morale dont il est ici question présente un double degré.

1. Au premier ; elle est tellement nécessaire que, sans elle, l’Honnêteté morale ne saurait être conservée : et ici le concept de dette est mieux réalisé qu’il ne le sera dans le second degré. Vue avec ce caractère de nécessité nettement accentué, la dette morale peut être envisagée soit du côté de celui qui doit, soit du côté de celui à qui l’on doit.

Dans le premier cas, la dette fait une obligation à l’homme de se présc uter à autrui tel qu’il est, dans ses paroles et dans ses actes. On adjoindra donc à la justice la vérité, verilas, par laquelle, dit Cicéron, on exprime fidèlement, ce qui est, ce qui fut ou ce qui sera. Et ideo adjuni/itur justifias iteritas, prr qitcan, ut Tullius dicil (De invent. lib. II, aliquant. anle fin.), immutata ta quæ sunt, aut juerunl. nul jutura sont, dicuntur. Sum. theol., q. lxxx, a. unie.

Le second cas est susceptible de deux hypothèses, lui effet, la dette morale peut également être considérée du côté de celui à qui l’on doit, en ce sens (prou rend à quelqu’un, par voie de compensation, selon qu’il a lui-même agi. S’il est question du bien l’ail par autrui, alors on parle de la gratitude, où se trouve comprise la volonté de récompenser autrui, en souvenir de son amitié et de ses bons offices. Et sic. dit saint Thomas, adjungitur justitim gratia, in </"", ut Tullius dicit (ibid.). amicitiarum et offteiorum alterius menwriii, ri allcrius rcinuncrandi voltintas continctur. S’il est question du mal, alors s’ajoute à la justice le soin de la vindicte, qui consiste, comme le marque Qloéron, > repousser, par la défense ou par l’attaque, la violence ou l’injure dont on a été victime. L’/ sic

adjuni/itur juslili ; c vindicatif), per ipiuin, ut TuiliUS dicil (ibid.l, vis aut injuria dejciulendo. <iul uteiscendo pmpuls(dur.

2. A un second degré, la délie morale existe encore

niais non plut en ce sens que, si elle n’est pas acquittée, l’honnêteté morale, ou l’harmonie des rapports sociaux, ne serait Ras conservée dans sa perfection substantielle. Pourtant l’acquittement de cette dette morale donne à ces rapports plus de souplesse et de beauté. C’est cette dette qu’ont en vue la libéralité, l’i fjabilite ou l’amitié et les autres vertus de ce genre. Cicéron les a omises dans, son énumération, dit saint Thomas, parce qu’on n’y trouve plus grand’chose de la notion de dette. Aliud vero debitum est necessarium, sicut conferens ad majorem honeslatem, sine quo lamen hanestas conservari potest, quod quidem debi’am attendit liberalitas, affabilltas, sive amicilia, aut alia hujusmodi, quæ Tullius prmtermiltil in prædicta enumeratione, quia parum habent de ratione debiti. Ibid ;

Saint Thomas donne à ces vertus annexes le nom de parties potentielles, en désignant par là ces autres vertus qui participent en quelque manière de la raison propre de la justice, mais ne la reproduisent point totalement. Ainsi qu’on vient de le voir ces parties potentielles de la justice sont au nombre de huit : la religion, la piété, le respect (observantia), la reconnaissance, la vengeance (vindicatio), la vérité, l’amitié, la libéralité.

Saint Thomas en ajoute une autre qu’il appelle, à la suite d’Aristote, l’épikie, èrrLeîxstx, et qu’il fau<diait appeler en français la « largeur d’esprit ». Voir Épikik, t. v, col. 358. Tandis que les autres vertus précédemment énoncées se rattachaient à la justice particulière, celle-ci est à adjoindre, comme un indispensable complément, à la justice générale ou légale. Elle a pour objet de contrebalancer l’esprit formaliste qui va si vite à l’esprit pharisaïque. L’épikie a pour rôle en effet, d’incliner la volonté à se porter, comme il convient, là où se trouve réalisée la notion de justice, malgré l’obstacle apparent d’un texte de loi formulé en sens contraire. Son objet propre est donc d’incliner la volonté de l’homme à suivre, toujours ce que l’équité naturelle requiert lorsqu’il peut y avoir conflit entre le droit naturel et le droit légal. C’est la sauvegarde suprême de la justice, au point le plus délicat et le plus essentiel, alors qu’une observance étroite et mal entendue d’un texte de loi ferait agir contre les droits imprescriptibles de la plus élémentaire équité. Et c’est par l’étude de cette vertu que saint Thomas couronne son traité de la justice et de ses parties.

La source principale reste toujours Aristote, que saint Thomas n’a guère fait que commenter. Voir surtout FAhic. Nicom., 1. V ; Politic, t. I, III, IV : Cicéron, De ofliciis, t. I, c. vii-xviii, a été, lui aussi, copieusement utilisé. La doctrine de saint Thomas est exposée : Sum. llteol., I a II æ, q. LV-i.xvin (théorie générale des vertus) et Il a H », q. i.vmcxx ; Quæstiones disputâtes, q. ii, de virtutibus in comtn >ni, de virtutibus cardinalibus ; et aussi dans le Comment, sur les Sentences ; voir A. D. Sertillanges, La philosophie morale de saint Thomas. Paris, 11)11, — De saint Thomas dérive immédiatement T. Bègues, O. P., Co/miicn/uire français littéral de la Somme theologique, Paris, 1910, t. xi et xii ; voir aussi les principaux auteurs récents de théologie morale : M. làberatorc, InstitUtioneS elhie.e el / « ris nalunc, Prato, 1887 ; A. Feneili, Iiuttlutioncs philosof >hiæ moralis, Rome, t. i, 1808 ; V. C.alhrein, Bîltlosophia moralis, Fribourg-en-H., 1805 i A. Lclimkulil, Theologia maralts, I. [ ; G. Mare, InstitUtioneS morales, l.i ; Cli. 1Vm-|i, l’rccleeliones dogmaticr, Fribourg-en-U., t. vui : I) i irtutibus in generei t. i : De virtutibus moralibus, - l’ami les prédicateurs, voir Bossuet, dans.1. Lebarcq, Œuvres oratoires

de Bossuet, Paris, IN’./l el 1802, i. m et ; Mgr d’ilulst,

Conférences de N.-D., carême de 1898 ; Janvier, Exposition de la monde catholique, iv, La vertu, carême de 1006.

Dom J. lS.u cuRR.


JUSTICE ORIGINELLE. -
I. Définition.
II. Problème apologétique (col. 2021).
III. Problème dogmatique (col. 2024)
IV. Problème théologique (col. 2081).